L’océan … lieu désormais maudit où l’homme n’est plus à sa place.
L’océan … sombre et noir, contrée des abominations divines que l’on veut voir.
L’océan … endroit où nul ne s’aventure plus.
Le vent ne souffle pas, les voiles restent désespérément pendues, ne pouvant faire se mouvoir l’immobile navire en train de cuire sous l’implacable soleil. Les hommes dégoulinent de transpiration en souquant ferme, dans l’espoir de gagner quelques nautiques sur leur proie. Les cris du capitaine donnent du courage aux hommes … ou serait-ce la peur du fouet du bourreau qui fait qu’ils se donnent pleinement ? Ou alors l’espoir d’une somme d’or faramineuse lors de la capture de la bête ?
Calypso se tient à l’avant du navire et observe l’immensité plate de l’océan. Pas une vague, pas une voile, pas un oiseau … Elle se souvient du temps où quelques mouettes faisaient compagnes des bâtiments au large, tentant ça et là de récupérer un poisson une fois la pêche accomplie … Mais tout ceci est révolu. Tout ceci fait partie des anciens temps.
Ca … lyp … so …
Elle se retourne prestement et regarde les hommes sur le navire. Tous sont concentrés dans leurs tâches et aucun ne la regarde. Le murmure de son nom ne vient donc pas d’ici. Son regard scrute à nouveau l’océan, dans l’espoir d’apercevoir quelque chose.
Ca … lyp … so … Tu … ne devrais pas être là …
Elle se retourne une nouvelle fois et regarde le capitaine qui la fixe alors de son regard sombre en souriant de ses dents pourries. Son visage dévasté par les journées en mer se détourne alors tout aussi vite que son sourire s’efface. Calypso ne sait quoi penser de cet homme : pourquoi est-elle ici, à bord de son navire ?
-
Capitaine … Le soleil est réellement une plaie. Et les hommes réclament une pause … annonce le second.
- Le soleil est une plaie ? Hahaha ! Veux-tu voir ce qu’est une plaie ? demande-t-il en sortant son épée et en la plaquant sur la gorge de son second.
- Non … capitaine, répond le second difficilement.
- Annonce aux hommes qu’ils doivent souquer plus vite s’ils veulent manger ce soir.
Son regard se balade sur son navire, observant les détails de ses anciennes batailles. Observant les cicatrices laissées par cette chose immonde, fils bâtard des océans. Il entend de nouveau les cris de ses hommes morts, happés par les gigantesques tentacules et impitoyablement broyés et écrasés par sa force divine. Il se souvient aussi du cri de détresse du Kraken lorsqu’une lance s’était figée dans son œil droit, le rendant ainsi borgne, mais également plus hargneux. Il s’en était allé néanmoins, laissant le navire continuer sa traque.
Ca … lyp … so … il arrive …
Son regard vif et acéré scrute l’océan. Son regard d’un bleu glacial aperçoit alors quelques rides sur l’avant-bâbord du navire.
- Capitaine … là bas, annonce-t-elle d’un ton calme et plat.
- Il est enfin là. Sortez les armes ! Tout le monde sur le pont ! Préparez-vous ! hurle alors le capitaine, sa voix portant loin sur les eaux lugubres.
- Qu’est-ce donc ? demande-t-elle en s’approchant du capitaine.
- Ça ? C’est le Kraken ma chère … et vous allez vous battre vous aussi si vous voulez survivre ! Le rire dément du capitaine glace le sang des hommes et ces derniers hésitent en observant les vagues prenant de la hauteur et de la vitesse. On se remue tas de larves ! Voulez-vous vivre ? Ou mourir comme vulgaire boustifaille pour cette immonde chose ?!
Calypso sort son arc et arrache une flèche vers les vagues, certaine de toucher la chose se cachant sous la masse marine. La flèche disparait sous l’eau à une vitesse ahurissante. Le capitaine observe la scène en se demandant qui elle était finalement.
Un cri sombre et strident déchire alors les profondeurs aquatiques et les vagues se réduisent d’un coup, désormais simplement plus que petit clapotis à la surface calme et plate de l’océan. Le soleil est à son zénith et la peur des hommes à son paroxysme.
L’eau se soulève alors lourdement près du navire, se déversant en trombes gluantes et sales sur le navire, menaçant de le faire chavirer sous le poids informe de cette nouvelle masse. Les hommes glissent et chutent. Le capitaine hurle ses ordres, demandant aux hommes de se tenir prêts et d’attaquer lorsque le Kraken sortira.
Les tentacules apparaissent alors, membres difformes et abjects, frappant à droite et à gauche sur le navire, malmenant les hommes et les broyant comme de vulgaires jouets en bois dans les mains d’un titan. Les cris d’horreur s’emparent des plus vaillants.
Calypso décoche flèche sur flèche dans la chair tendre des membres de cette chose immonde, lui arrachant de temps à autre des cris stridents et des spasmes musculaires. Mais les hommes perdent courage et espoir face à cette chose … même le capitaine ne donne plus d’ordres et se met à fouetter les hommes pour qu’ils reprennent leurs postes et défendent le navire.
Les lourds tentacules s’effondrent sur la vulgaire coque de bois et se mettent à l’enlacer, massacrant et tordant le bois, réduisant en bouillie les hommes. Un son grave émane alors de sous le navire, faisant trembler les torses. Le temps semble se geler lorsque Calypso observe autour d’elle, voyant les hommes tomber les uns après les autres. Le capitaine lui-même attaque la chose en plantant son épée dans les tentacules visqueux et gluants, avant de disparaître sous le poids et l’assaut répété de la chose.
Ca … lyp … so … tu dois vivre … nous avons besoin de toi …
Les tentacules serrent alors le navire, brisant le bois et la coque. Calypso regarde les hommes mourir et sait que tout est perdu. Le navire se brise en son centre, s’ouvrant sur la gueule béante du Kraken. Elle y décoche encore quelques flèches, par pure politesse envers la chose volant son embarcation. Elle décide alors qu’il est temps qu’elle saute du navire et s’éloigne vers les quelques débris s’éloignant déjà, dans l’espoir de pouvoir s’échouer sur une côte.
L’eau est glaciale, sombre et froide lorsqu’elle y plonge … Elle rejoint un morceau du mât et s’y accroche. Elle se retourne et regarde le monstre géant qui termine de briser la coque en hurlant.
Exténuée, elle se laisse sombrer dans les méandres d’un rêve incertain où le doux nom de Calypso y est murmuré …