[Autre] [Coécriture] Une absurde absurdité

  • Auteur de la discussion Jahl de Vautban
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Petite coé avec Tranoscu, on verra où ça mène.



Affalé sous des tentures de lin, par une chaleur infernale, Vincent Angon sirote tranquille un soda. Ce bar est miteux, mais il a l’avantage d’être au bord de mer, et une brise marine quand les œufs peuvent cuire sur les pavés de la route, ça ne se refuse pas. Question de logique. Et Vincent aime la logique. A vrai dire, il adore ça. Sa vie est réglée par un rapport qualité/prix auquel il n’a jamais dérogé. Lui-même est d’ailleurs un excellent androïde accessible à un prix abordable. Du moins, c’est ce qu’il était avant qu’il ne décide du jour au lendemain de quitter ses acquéreurs de quelques mois, lesquels se trouvaient plutôt lésés dans leur transaction.

Défaut de fabrication ? Auto-évolution de son I.A. ? Autant de questions qui n’intéressent pas Vincent. Les inspecteurs sur sa trace peut-être un peu plus. Car Vincent Angon est désormais un fugitif. Les médiocres portraits au crayon censés le représenter lui fournissent plus de protection qu’il n’en espérait. Le visage découvert, c’est en pleine confiance qu’il règle au patron les deux-trois piécettes que coûtait sa boisson, ignorant royalement les deux policiers suants sous leurs armures à quelques mètres de là. Quittant l’établissement, c’est dépité qu’il constate que la lanière de sa tong gauche a lâché et qu’il va devoir s’en racheter une paire.
 
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Robert avait faim, alors il persuada son collègue Bertrand d'aller manger un p'tit coup dans la gargote la plus proche. Les hallebardes menaçantes, ils s'appliquèrent à écarter de leur chemin le troupeau de bergers que le Mouton Henri menait à la montagne. Ils trouvèrent un établissement de troisième classe au dessus de la rade, avec une petite terrasse couverte duquel sortait un individu plein d'assurance dont la tong pendait, ce qui éveilla la méfiance professionnelle de Robert sans non plus trop l'inquiéter car c'était l'heure du déjeuner. Bébèr' partit prendre les commandes directement, deux pintes, des frites et un jambon à l'os. Robert, lui, avait tout le temps d'observer la fripouille qui traînait ici. Il dégrafa son sac de sa lourde cuirasse, et défit celle-ci de sa jaque en soupirant de soulagement. La chaleur l'accablait mais il ne renonça pas à sortir son tabac. En fouillant à la recherche de ce dernier, il dut sortir tout son bordel : la carte grise du scooter, un disque de johny halliday, une petite marmite souvenir des Caraïbes, trois dés à coudre, un tupperware avec une culture de moisissures, des avis de recherches...

Qui était le con chargé de dessiner les portraits robots ? Ils devaient embaucher des manchots à la brigade en ce moment. Deux béliers accusés de matricide. Un trône accusé de lèse-majesté en fuite vers l'orient. Un enfant disparu, on l'aurait vu pour la dernière fois au confessionnal. Une connexion internet. Un androïde porteur de tongs, en fuite.

Tout ça lui paraissait aussi familier qu'étranger, il y fila un coup de briquet discrètement, ça prendrait moins de place dans ses poches. Robert n'était pas du genre à vouloir monter en grade. Il avait sa solde de flic chaque mois, la même qu'il savait méthodiquement diviser pour pouvoir picoler toute la journée et une grosse partie de la nuit, fumer de gros tarpés et même nourrir sa famille (c'est à dire les quelques bâtards et madones qui lui réclamaient des pensions). Bon, parfois, il empruntait deux, trois deniers au Bertrand mais rien de bien méchant, et il s'appliquait à lui rendre en liquide et en fume.

Il avait pas d'opinion politique et préférait laisser le vote et toutes ces conneries aux gens que ça intéressait. Bébèr revint, suivi du serveur, avec les commandes, et bam, ils s'en mirent plein le bide !
 

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Les tongs sont devenues hors de prix. Paraît-il que la plus grosse usine de production est en grève. Ou a explosé. Ou les deux. Les unes sur l’étagère semblent ne pas être sur la même longueur d’ondes et se livre une bataille sans merci à coup de titres tapageurs. Vincent s’en tire pas trop mal en achetant une paire de sandales puant la contrefaçon. En parlant de ça, il va bientôt être à sec. Il vivait jusque-là sur les quelques économies qu’il avait fauché à ses précédents propriétaires, mais le coût de la vie le rattrapait peu à peu. Il allait devoir trouver un job. Eh merde. Vincent retourne à l’air libre et regrette par la même occasion la clim du magasin qu’il vient de quitter. Le long de la rue s’aligne un pressing, une grande surface, un coutelier et une agence immobilière. Rien qui lui fasse vraiment envie. Dépité, Vincent se dirige au hasard des rues, et sa marche tranquille bien qu’un peu lasse, soumise à quelques instants de nervosité, l’amène sur la grande place.

La mairie de cette ville est un de ces édifices néo-classiques qu’on a construit en masse pour chercher un pseudo idéal gréco-romain, des vitres en plus. Le bâtiment semble ouvert, à en juger les quelques badauds, sans doutes retardataires, qui s’y précipitent. Vincent leur emboîte le pas et pénètre dans l’hôtel de ville, emprunte deux ou trois volées d’escalier, bouscule une commode, et arrive enfin dans une grande salle de réception, où l’assemblée, organisée de manière rationnelle, semble écouter ce qui semble être le maire de la ville, vociférant devant des diapositives.

- … moment très grave pour le pays, une catastrophe de grande ampleur !

Vincent prend un siège et écoute avec plus d’attention le présentateur qui s’excite sous la lumière tamisée.

- Une armée étrangère a fait une percée au nord. Qui sont-ils ? Que veulent-ils ? Où vont-ils ? Nous ne le savons pas. Mais il est de mon devoir de maire de vous prévenir, concitoyens. On m’a demandé de recruter. L’Etat-major cherche des volontaires pour organiser la défense. La nourriture n’est pas fameuse, mais la solde est bonne. Y a-t-il ici des personnes prêtent à se battre pour notre pays ?

Vincent saisit l’occasion. Elle est trop bonne pour qu’on puisse passer à côté.

- Je suis volontaire !

Sa voix s’est mêlée à l’unisson aux autres vaillants cœurs de la salle. Le maire, ému, murmure quelques brèves prières reprises par l’assemblée.

- Vous partirez demain à l’aube ! Soyez en forme !
 
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Il était quatorze heure du matin quand Robert sortit enfin du bar où Bertrand l'avait abandonné quelques heures plus tôt pour sa mémère. Sa respiration trébuchait sous le roulis du sol, pris dans la houle de l'alcool. Il faisait une chaleur torride sous un ciel couvert, les nuages en colère ne tarderaient pas à éclater. Raison de plus pour se presser, même si la cuirasse le ralentissait. Il prenait son service dans quelques minutes, sans une nuit de sommeil, mais ça ne serait pas la première fois et pour ce qu'il y avait à faire dans ce métier...

Il prit le temps de flâner sur le marché, de brasser du regard la foule furieuse en restant bien attentif dans son maintient, dans son allure, d'inhaler chaque parfum, chaque épice, de scruter chaque visage, chaque regard, de sonder le suspect aussi bien que son grammage le lui permettait, de serrer sa hallebarde comme si sa vie en dépendait et enfin de ronger sa chique. On le bouscula bientôt.

Une myriade de gens en armes fendait la foule depuis l'Hôtel de ville. Robert attrapa par la collerette un bouquetin tout de bronze vêtu tenant un thermo-mixeur, et lui gueula bien dans les oreilles les interrogations qui lui agitaient les méninges :

" Hé, dis, c'quoi ce bordel ? C'est carnaval ou une gay pride ?

- Ferme-la, civil ! C'est l'armée municipale ! Notre bon maire l'a levé hier, même que depuis ce matin de bonne heure il lance des régiments à travers toutes nos bonnes contrées. On va t'y défendre contre le vilain envahisseur, et maintenant lâche-moi, ou j'te fais balancer au cachot pour entrave à la défense nationale, grand manche à couilles, va ! "

Robert, abasourdi, se laissa tomber les fesses de fer sur le pavé. Il s'endormit sous la surprise, comme si l'alcool tout entier l'assommait enfin. Quand sa gueule de bois fut agacé par son torse d'acier, qu'il se retrouva avachi quelques heures plus tard dans quelques ordures et fins de tonneaux, il vociféra autant qu'il put et sprinta aussi vite qu'il put jusqu'au poste où il ne rencontra plus que son supérieur et des bureaux déserts.

Le commissaire, un vieux morse d'habitude très mélancolique, faisait son carton comme s'il démissionnait ou qu'on l'avait viré.

" Ah vous voilà, Brigadier.

- A vos ordres, commissaire.

- Je ne le suis plus, pas plus que vous n'êtes encore brigadier. Vous êtes vous aussi enrôlé de force dans l'armée municipale.

- Mais qu'est-ce que c'est que cette connerie ?

- J'sais pas plus que vous. N'empêche que tout le monde a rejoint cette nouvelle tendance et que moi je vais pas risquer ma graisse dans un conflit, quand bien même on risque de crever sous une invasion barbare. Alors moi, je vais plutôt réaliser mon rêve, mourir entre des mains féminines, comme Félix Faure. Allez, ciao bonsoir ! "

Robert n'arrêtait pas de faire des comas éthyliques à chaque fin de conversation et le voilà reparti pour quelques heures d'un sommeil lourd et crasseux dans une cellule de dégrisement déserte.
 
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