[Récit] Homéostasie

  • Auteur de la discussion Tranoscu
  • Date de début
Statut
N'est pas ouverte pour d'autres réponses.

DeletedUser

Guest
_________________________

Homéostasie
_________________________​
par Yueen et Tranoscu



Lors de cette nuit engloutie par l'ombre du drame, la lumière des gyrophares lacérait nos visages et les yeux éteints des policiers analysaient nos gènes pour déduire notre degré de culpabilité. Ma naissance avait habillé mes chairs de blanc et m'avait appelé Jean, je vivais donc malgré moi dans l'indulgence des autres europoïdes. Les chiens bleus n'avaient pas le regard très mordant, pourtant. Quelques maltraitances hiérarchiques pesaient sur leurs épaules et dégonflaient leur torse, quelque peur de mourir agitait leur ventre et bordait leurs paupières ; et leurs nerfs à vif pulsaient des forces houleuses dans des corps fatigués, poussés outre leurs limites, pour la énième fois cette semaine. On devait encore redouter ces animaux blessés, prêts à nous saigner au moindre mouvement suspect.

J'étais plus vieux que le peuplier contre lequel ils nous rabattaient, nous repoussant en grognant de la route ensanglantée quand nous nous efforcions de nous en rapprocher. Me taillant un chemin dans la houle nerveuse qui parcourait la foule, j'allai effleurer l'arbre, le sentir, voler sa tranquillité, sa force, sa patience.

Un son suraigüe emplit alors mes oreilles alors qu'une sueur acide s'échappait de mes pores. Pincé au cœur, mes jambes se dérobèrent, le torse enflé de vapeurs, le ventre tordu de douleur. Je n'eus pas le temps de me remettre de ma surprise qu'une vision émergea de mes larmes. Je me vis à terre, aplatis par une main à la force irrépressible et au propriétaire invisible. Je sentais mes dents creuser dans la terre humide, claquer sur le gravier tandis que le sang bouillait et bondissait dans mes tempes. Les visions arrivaient par rafales quand des roues de feu ne les consumaient pas sur le plateau vaporeux de ma rétine. Je vis des silhouettes sombres qui jaillirent de l'halo palpitant d'un lampadaire. Je sentis le frémissement des feuilles sous l'effet de la brise crépusculaire, comme j'aurais pu sentir son assaut glacial sur mes propres doigts. J'entendis des rugissements débordant de fureur, des meuglements inondés de frayeur. Je perçus un geste précipité, sans pitié, puis une orbe fauve fusa. Enfin, les formes se brusquèrent et je ne pus bientôt plus distinguer aucune cohérence. Les ténèbres me reprirent et je ne retins qu'une paire d'yeux qui s'élevèrent dans ma direction, un regard bleu flambant d'extase.






______________

Espace dédié aux critiques >>> ICI
 

DeletedUser28613

Guest
Vivante.​

Sous la lumière crue des néons, ma peau métissée ressort blafarde. Hagarde, je contemple désespérément la tasse de café, parfaitement infect, que la serveuse vient de déposer d’un geste nonchalant devant moi. La caféine est mon addiction toute personnelle, et dans une ville où la moitié des habitants sont habitués aux drogues dures, mon vice me parait bien ridicule. C’est aussi ce que doit se dire le type au fond de la cantina qui après m’avoir longuement dévisagée lorsque j’ai passé la porte, a replongé la tête d’un coup trop sec pour être naturel dans son journal.
Sans doute un revendeur. Ou une mule dont les macs se sont fait prendre. A en juger sa veste et ses chaussures en faux-cuir, j’opte pour la deuxième solution.
Il aurait aimé que je sois une de ses clientes paumées, qui débarquent aux heures indues pour réclamer un dernier fix, que leur fournisseur ne voudra pas leur donner par crainte de l’overdose. La mule elle n’aura aucun scrupule à le donner, parce que les scrupules sont bons pour ceux dont la police connait l’existence. Ceux pour qui revendre de la drogue est réglo tant que personne n’en meurt. Les macs donc, et pas leurs sous-fifres qui ne sont que des dégâts collatéraux. Le ricochet d’un galet dans l’eau.
J’attrape ma tasse de café et en boit une gorgée. Ce truc a un goût de terre, acide, m’empâte la bouche, je devrais le recracher mais le tremblement de mes mains ne me trompe pas, je souffre du manque.
Dehors, les sirènes de la police hurlent. Quelqu’un, quelque part, doit se faire coincer et passer un mauvais quart d’heure. Mais la ville est immense, et les gyrophares bleus annoncent bien avant l’échéance l’heure à laquelle la partie doit se terminer. Je pose sur ma table la monnaie du café et esquisse un mouvement pour partir, quand je réalise que la mule se tient derrière moi.



- C’est toi, Chloé ?

Méfiance.​

Je n’aime pas trop les types d’un mètre quatre-vingt et des poussières qui m’agrippent le coude. Il ne sert pas fort, mais je sens la pression de ses doigts à travers ma veste de travail molletonnée. J’esquisse un infime mouvement de tête, dont j’ai le secret. Celui qui ne dit ni oui, ni non, et qui me permet de déguerpir si mon interlocuteur à l’air menaçant.
Ce type a l’air plus soulagé que menaçant, il se rapproche mais mon corps ne se raidit pas.

- Cette nuit, 4h30. Entrepôt B.

Il glisse dans la poche de ma veste un minuscule paquet. Je sens son poids déséquilibrer légèrement le tissu du vêtement qui tire un peu sur mon épaule droite.
Je n’ai pas besoin de confirmation, ni de plus d’informations. La nuit, je suis une livreuse, une coursière. Je porte les paquets, qu’importent les contenus.

En sortant de la cantina, je prends immédiatement l’échelle de secours pour monter sur le toit. Mes muscles réagissent automatiquement, la caféine fait déjà son effet. A force d’acrobaties, j’atteins le dernier étage et me retrouve au sommet du bâtiment. Il n’est pas très haut, mais d’ici je surplombe déjà la partie basse de la ville. Cette nuit, les voitures des flics pourront bien hurler, jamais personne ne pourra stopper mon envol. Dans cette ville folle, je suis l’équilibriste, celle qui marche sur la corde raide des gouttières.

 
Statut
N'est pas ouverte pour d'autres réponses.
Haut