Le sujet est assez technique si on veut en donner un réponse correcte et ne pas tomber dans des lieux communs ou des fausses vérités.
Tout d'abord : Et si la France repassait au Franc ?
Non, nous n'en sommes pas si loin que ça. Bien entendu, je suis en accord avec Meia sur ce point, ce serait un désastre économique. Cependant, et c'est là la force de certains discours politiques nationalistes, qui commencent par ailleurs à prendre de l'importance du moins dans les média, repasser au franc apporterait plus d'égalité. Je pense qu'il y a aussi une controverse à avoir au niveau des résultats de sondage, parce qu'ils sont fait n'importe comment et sans aucune légitimité scientifique, mais il faut leur reconnaitre qu'ils savent se faire entendre. Donc oui, après les attaques spéculatives contre la zone euro par ses membres les plus faibles, par la promesse d'une plus grande égalité, le passage au franc pourrait revenir à l'ordre du jour. Cependant, il faut bien voir qu'il s'agira là d'une plus grande égalité mais dans une plus grande pauvreté.
Bruxelles a donné à la France jusqu'à 2013 pour résorber sa dette publique à 60% du PIB (Produit Intérieur Brut) - 83.2% en février 2010 - et son déficit annuel maximum à 3% - 8.2% en 2009 -.
Si on continue avec optimisme, la Bank for International Settlements (Banque des Règlements Internationaux en français) nous annonce que la dette publique de la France atteindra d'ici 2050 450% du PIB.
Désormais, je vais me poser plutôt en opposition à l'argumentaire de Meia dont l'optimisme ne me semble pas si fondé que cela. Plus de 80% de dette publique, des chiffres astronomiques, c'est beaucoup ? C'est peu ? Pas bien clair tout ça. Et honnêtement, les économistes ne savent pas prouver mathématiquement l'existence de seuils à ne pas dépasser. Cependant, je vais me baser sur l'étude de Carmen Reinhart (professeur à l'université du Maryland) et de Kenneth Rogoff (ancien économiste en chef du FMI et professeur à Harvard) qui démontre qu'empiriquement, une dette publique supérieure à 90% du PIB entraîne de bien fâcheuses compétences.
Ils observent qu'à partir de ce seuil de 90%, les taux de croissance médians diminuent de 1% par an. Cela suscite en outre des pertes de confiance qui induisent une flambée des taux d'intérêt avec des effets désastreux sur la dynamique de la dette.
Je vais revenir sur le mécanisme qui joue ici, mais il faut répondre à une question : pourquoi 90% et pas dès 0% ?
Je vais tenter de faire simple. Il y a trois moyen de calculer le PIB d'un pays ; ils donnent tous le même résultat. Je vais m'intéresser au calcul du PIB dit dans l'optique dépense.
Sa formule de base est : PIB = DC + FBCF + X – M + VS
Avec :
PIB : Produit intérieur Brut
DC : Dépense de Consommation (des ménages et des administrations publiques APU)
FBCF : Formation Brute de capital fixe (investissement des entreprises et des APU). Je pourrai développer, mais on va dire que c'est l'investissement
X : eXportations
M : iMportations
VS : Variation des Stocks
On peut transformer cette égalité : PIB – T = C + I + G – T + X – M
PIB – T : le revenu national sans les impôts
C : Consommation des ménages (celle des administrations publiques est maintenant dans G)
I : Investissement des entreprises + variation des stocks (l’investissement des administrations publiques est maintenant dans G)
G : Dépenses publiques
T : Recettes fiscales de l’Etat
G – T : est donc le déficit (G – T>0) ou l’excédent (G – T<0) budgétaire de l’Etat
X : les exportations de biens et services
M : les importations de biens et services
Bien, l'objectif est d'avoir le PIB maximisé. On voit donc qu'une augmentation de du déficit public (G-T), c'est-à-dire quand les dépenses publiques sont plus grandes que les recettes fiscales, a une action positive sur le PIB.
Je ferme ma parenthèse sur le calcul du PIB.
Revenons au seuil de 90% mis en évidence par Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff.
Ils montrent qu'empiriquement, au-delà d'une dette de 90% du PIB, le taux de croissance médian diminue d'un point par an. Le souci, c'est que les Etats comptent sur leur croissance pour rembourser leurs dettes. Evidemment, là, il y a un souci.
C'est quoi une crise de confiance ?
Dans le monde, trois agences de notations sont chargées de distribuer des notes aux produits financiers, il s'agit d'une évaluation de la capacité des emprunteurs à rembourser leur dette. Deux sont anglo-saxonnes : Standard & Poor's et Moody's ; la troisième est française : Fitch. La crise de la confiance, c'est grosso modo quand ces agences mettent de mauvaises notes sur un produit, comme la dette d'un Etat. Des mauvaises notes se traduisent par la considération d'un risque accru pour le prêteur, qui accepte de fournir l'argent mais à un taux d'intérêt plus important. Et le danger est là. D'autant que, on l'a vu avec la crise grecque, ces agences ont noté n'importe comment. Prenons l'exemple du Credit Default Swap (CDS). Il s'agit d'"un titre d'assurance que l'on contracte pour se prémunir d'un potentiel défaut d'un Etat à qui l'on a prêté de l'argent. Un CDS a un prix et s'échange sur un marché non régulé et totalement opaque" (Jean Quatremer). En gros, plus il est bas mieux c'est.
Durant la crise grecque, alors que l'Etat était soutenu par la zone européenne, et qu'il ne présentait finalement pas tant de risque que ca, son CDS a atteint début février 428 points de base alors que celui du Liban ne dépassait pas 255, et celui du Maroc 113. Totalement déconnecté de la réalité, donc, mais cela montre bien que dès que le mécanisme s'enclenche, les conséquences sont énormes, en raison aussi d'attaques spéculatives car jouer il est très facile de gagner de l'argent sur un Etat qui ne suit plus. On pourrait revenir sur la crise asiatique de 97-98 avec l'attaque spéculative contre le bath thaïlandais qui a mis à mal toute l'Asie du Sud-est, économiquement, politiquement, socialement.
Bref, tout ca pour dire que la dette française n'est tout de même pas loin du seuil critique, et qu'il faut se garder de l'optimisme, car les procédures de désendettement ne sont pas magnifiques...
Les deux postes les plus couteux pour l'Etat français sont l'éducation (en premier avec 61.8 milliards en 2010) et les engagements financiers de l'Etat (46.93 milliards). La défense n'arrive qu'en troisième position avec 37.42 milliards.
Pour les engagements financiers de l'Etat, il s'agit principalement des services de la dette. C'est-à-dire que l'Etat emprunte de l'argent pour rembourser non la dette elle-même mais le service de la dette, les intérêts de nos emprunts. On voit donc ici qu'une baisse de confiance, qui fait monter les taux d'intérêt a des répercussions énormes. A ce niveau là, Olivier Blanchard, professeur au MIT et chef économiste du FMI, en collaboration avec Giovanni Dell'Ariccia et Paulo Mauro, invite à des modifications globales du système dans l'article Rethinking Macroeconomic Policy
Au niveau de l'éducation, oui elle coute. Mais il faut voir que le Français est le plus productif de la planète. Après je ne nie pas qu'il y aurait des éléments à changer, mais nous bénéficions tout de même d'une excellente éducation. Je vais vous renvoyer au livre publié par Eric Maurin, La nouvelle question scolaire. Les bénéfices de la démocratisation (Seuil, 2007).
A ce propos, j'organise une conférence avec ce même Eric Maurin, directeur d'étude à l'EHESS à Toulouse le 31 mars. Je vous laisse me contacter pour ceux que ca intéresse.
Il va y expliquer en quoi la démocratisation scolaire est bénéfique pour l'ensemble de la société, plus que la création d'élite encore plus poussées.
Question des retraites : 6.3 milliards d'euros. Pas vraiment de quoi les blâmer. Le régime social de Welfare State nous a été d'un grand secours et nous a permis de nous en sortir bien mieux que d'autres nations.
Oui, il faut résorber la dette pour ne pas atteindre le seuil critique, mais il ne faut pas chercher à en obtenir n'importe comment.
Bon c'est assez long et complexe, donc j'espère ne pas m'être trop égaré. Je reste disponible pour toute question.