[Récit] Olimphos

  • Auteur de la discussion Ombre Colorée
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DeletedUser

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Une histoire écrite pour un RP et qui n'a jamais été finie. Même si vous n'aurez pas de suite, je l'ai quand même trouvée intéressante à relire. J'aime assez l'atmosphère et la description de la ville autant de la société, vues par un adolescent désœuvré.

[SPR][SPR]C’était un de ses bâtiments lugubres qui dominaient la colline d’Opimson, l’une des cinq collines d’Olimphos. Vestige d’un supposé âge d’or où les marchandises affluaient tant dans la capitale ducale que le vieux port marchand n’y suffisait plus, il ne demeurait aujourd’hui qu’un symbole misérable d’espoir déchu, une grandiloquence mal placée au sein d’un quartier décrépit et miteux. Soixante ans auparavant, la surprenante stabilité de la Fédération avait attisé la prospérité d’Olimphos. Les faubourgs s’étaient agrandis, de nouveaux docks avaient été creusés dans le lit du delta à deux kilomètres en amont du vieux port.

Sur cette colline qui surplombait le nouveau quartier en construction, des entrepreneurs visionnaires avaient fait bâtir leurs demeures. C’étaient des manoirs d’un genre qui se voulait avant-gardiste, hauts de deux étages, et au toit plat, tout en longueur et respectant une géométrie tatillonne à tendances rectangulaires, dont le désir manifeste était de trancher avec les vieux palais d’Omphirion qui entouraient le pic Lingam où siégeaient les ducs. En somme, les nouveaux riches s’éloignaient des anciens, marquaient leur territoire, plantaient les jalons de leur société propre, une société qui se voulait moderne et ambitieuse, destinée à supplanter les vieux domaines et à se tailler une place de haut rang dans la Fédération.

Hélas, la prospérité ne dura pas aussi longtemps que ces visionnaires l’auraient voulu. Les grandes familles marchandes d’Olimphos ne pouvaient tolérer que d’autres s’enrichissent davantage qu’elles, et faisant jouer leur puissance accumulée au cours des générations et leur influence auprès des bourgmestres dirigeants la cité, elles s’étaient assurées que les plans de ces entrepreneurs insolents échouent. Une guerre de l’ombre déchira la capitale et le marché fédéral, entre les vieux marchands dominants et les jeunes qui voulaient une place dans l’ordre économique, et ce fut finalement ces premiers qui la remportèrent.

Les uns après les autres, les entrepreneurs firent faillite. Et de leurs rêves, il ne demeura que leurs grands manoirs au sommet d’une colline. Et les pauvres succédant aux riches, Opimson devint le quartier des miséreux, constellé de taudis de bois et de torchis, les rares maisons de pierre tombant en ruine faute d’entretien.

Telle était l’histoire de mon quartier natal, Opimson, dans la cité d’Olimphos la Grandiose.

Nous nous trouvions dans cette vaste résidence à moitié effondrée qui avait jadis appartenu à un homme qui se rêvait riche. Nous, nous n’avions pas beaucoup de rêves. Plutôt, nous n’avions pas d’ambition. Vivre à Opimson, c’était vivre le jour le jour. Au sein de ce quartier délabré, il n’y avait pas de perspective d’avenir.

Il nous arrivait, tout de même, de jouer les riches. Il ne restait plus aucun meuble dans la maison, tous avaient été volés ou vendus, mais nous avions monté quelques planches et divers ustensiles cabossés pour dresser une table, des chaises et ce que nous imaginions être le matériel d’un entrepreneur digne de ce nom.

Lionel siégeait avec grâce et royauté sur son trône en bois pourri.

__ Profits ! hurla t-il si soudainement qu’il nous fit tressauter. Où sont passés mes profits ?

__ Les aristos-marchands ont coulé notre dernière galère, sir-entrepreneur, m’exclamais-je avec un sourire contenu.

Lionel se leva si brusquement que sa chaise en perdit deux jambes. Il tapa violemment du poing sur la table et nous la contemplâmes tous avec intérêt pendant quelques secondes, prenant des paris muets sur ce qu’elle s’effondrerait ou non. Tout à son jeu, Lionel ne le remarqua pas. Il était déjà rouge d’indignation. A ma gauche, Tosh se retenait de pouffer.

__ Quoi ? rugit le sir-entrepreneur en chemise grise et pantacourt rapiécé. Les sinistres félons ! Ils tâteront de mon épée ! Allons, amis ! couler leurs navires !

Je jetais un regard en passant à travers la fenêtre aux vitraux brisés. Les maisons de bric et de broc s’étalaient en descendant la colline jusqu’au fleuve. On voyait là les trébuchets qui déplaçaient les caisses et tonneaux, des entrepôts jusqu’aux navires, à quai aux docks. Et puis le renflement du fleuve, en forme de C, dont Opimson était le haut de la boucle gauche, et de l’autre coté, le pic rocheux de Lingam et le quartier riche d’Omphirion.

Je rejoignis en courant mes camarades qui étaient déjà en bas. L’escalier de pierre s’étant il y avait longtemps déjà écroulé en son milieu, il fallait prendre son élan et bondir pour passer de l’autre coté. C’était aisé en descente, profitant de la hauteur, mais plus difficile pour y monter. Nous imaginions parfois un gouffre, entre les deux segments de marches, puits sans fond ou bien rangées de piques, qui attisait autant notre peur de rater notre saut que notre excitation. En réalité, il n’y avait guère que deux mètres de haut de vide, et on risquait tout au plus une entorse et quelques écorchures sur les débris.

Nous sortîmes dans ce qui avait dû être un jardin, mais qui n’était aujourd’hui guère plus qu’une réserve de bois de chauffage. Quand nous étions plus jeunes, c’était surtout une jungle profonde où se cachaient de dangereuses bêtes sauvages. [/SPR]

[SPR]Nous fîmes la course jusqu’aux docks, dévalant les ruelles pentues en criant, tandis qu’autour de nous les adultes s’écartaient en grommelant, habitués aux gamins des rues turbulents. Nous ralentîmes parvenus à la place des boulangeries, où ne se trouvaient en réalité aucune boulangerie, parce qu’un gros rassemblement créait une activité peu commune. Cette place était la plus grande d’Opimson, et sa richesse tenait en l’unique arbre qui se dressait en son centre, vieux de près d’un siècle disait-on. Il s’était développé tout autour, quelques boutiques minables et surtout des tavernes et autres lieux où l’on pouvait boire, quand on avait un peu d’argent. Une bonne centaine d’adultes y étaient pour l’heure réunis, et discutaient avec passion de quelque sujet qui enflammait leur verve d’analphabète. A leurs frustres tenues de cuir, ils semblaient être des ouvriers des docks et des usines environnantes. C’était en majorité des hommes, quelques femmes se contentant de les approuver à l’écart en hochant vigoureusement la tête.

Nous nous éclipsèrent avant qu’on nous demande quoi que ce soit, et reprîmes la direction des docks. S’il restait des hommes pour charger et décharger les lourdes caravelles qui y étaient amarrées, ils étaient bien moins nombreux que d’habitude. Un contremaitre vint même nous héler, gros bonhomme tout en muscles et les mains sur les hanches, pour nous offrir du travail, quand d’ordinaire c’était nous qui devions le supplier de nous en fournir.

__ Fichus râleurs, grommela t-il en crachant son mépris par terre. Ils ont cessé de travailler et maintenant les docks tournent au ralenti. Sur qui c’est que ça va retomber, hein ? Hum ? Alors les mioches, c’est l’occasion de vous faire quelques pièces à dépenser dans la mauvaise bière que vous adorez. Ya des caisses à transporter, des voiles à repriser, des cordes à nouer. Voilà le choix.

__ On veut être payé le double que d’habitude, demandais-je en me sentant d’humeur revendicatrice.

Le gros maitre sembla s’en étouffer d’indignation.

__ Quoi ? Double pour un travail de gamins dans votre genre ? Qui ferez pas mieux qu’un bon gars, vous tous réunis ?

__ Sauf que les bons gars sont tous ailleurs, répliquais-je avec un sourire.

__ On a dix-sept ans, cru bon d’ajouter Tosh, on n’est plus des gamins.

__ Dix-sept ans et pas un poil au bide ! hurla le contremaitre. Allez foutez moi le camp !

Et il s’en alla en grognant contre tous les emmerdeurs qui peuplaient cette ville selon lui. Nous décidâmes de revenir plus tard, quand la chute de ses profits le désespérerait assez pour qu’il accepte le double de salaire sans rechigner.

Nous longeâmes les entrepôts et pénétrèrent dans le quartier sur pilotis.

Comme si la terre manquait, la ville s’était étendue sur le fleuve, le rongeant lentement de ses plateformes de bois et ses maisons bancales. C’était toute une architecture nouvelle, faite de canaux et de pontons, de cabanes sur échasses, avec l’eau qui vous clapotait doucement sous les pieds. Là prospéraient la lie de l’humanité et les maladies en tout genre, ainsi que les commerces crapuleux et les marchandages les plus obscènes. C’était un labyrinthe dangereux de masures insalubres dont la plupart s’enfonçaient lentement dans le fleuve et coulaient parfois du jour au lendemain. Un monstre au squelette de bois qui se réarrangeait selon ses humeurs du moment, avec des tourelles de planches mal coupées et des coques de navires faisant office de toits.

Dans ce dédale qui sentait bon l’eau croupie et les nids à moustiques, nous avions caché deux barques à voile. C’étaient des embarcations longues de deux mètres et larges de soixante-dix centimètres, munies d’un petit mat d’un mètre-quatre-vingt, avec une voile carrée que nous avions cousu nous-mêmes à l’aide de draps récupérés ci et là, et dont la coque mal goudronnée prenait l’eau. Nous avions également des rames, pour nous déplacer faute de vent.

Lionel et moi nous installèrent dans l’un, et Tosh, bien plus fort que nous deux, dans l’autre. Nous ramâmes pour nous dégager des boyaux tortueux de la cité sur pilotis, et gagner l’immensité du fleuve.

Nous nous sentions vraiment minuscules parmi cette étendue liquide, avec nos petites barques. Le vent marin ne tarda pas à se prendre dans nos voiles et nous propulser en avant. Les premiers instants de peur passés, nous criâmes notre joie et rîmes d’enthousiasme.

Nous nous dirigions vers l’arche de Silène. C’était un grand pont de bois qui enjambait le fleuve en sa plus petite largeur, le seul pont d’Olimphos en réalité, qui reliait les deux rives. Le quartier sur pilotis n’avait cessé de s’agrandir et de ronger les eaux, jusqu’à finir par atteindre la rive nord, mais bloquant de ce fait le trafic entre l’aval et l’amont. L’assemblée bourgmestre avait ordonné que le quartier soit rasé, soixante ans plus tôt, afin que le trafic reprenne. Obstinés, les habitants avaient tout reconstruits, et prévoyants, ils avaient cette fois ci laissé un passage aux navires sous la forme d’un pont de trois mètres de haut, pour quatre de large. Ce n’était bien entendu pas assez grand pour permettre aux caravelles et cargotiers à faible tirant d’eau de l’emprunter, alors la garde avait encore dû le désosser.

La guerre entre les pilotiers têtus et les bourgmestres mécontents qui dirigeaient Olimphos avait durée près de trente ans, les uns ne cessant de construire en travers du fleuve, les autres ne cessant d’envoyer la garde urbaine raser les bâtiments qui obstruaient le commerce. Finalement, le maitre-charpentier Silène avait décidé de bâtir son chef d’œuvre. Large de vingt mètres et haute de quinze, l’arche était constituée d’un ensemble de solides poutres et pouvait s’ouvrir en son milieu pour permettre le passage des navires à grand mâts. Il avait ainsi mis fin à la guerre des pilotiers. Qui s’étaient empressés de construire leurs maisons dessus et tout autour, mais veillant à laisser un canal aux navires.

Mais soudain, une corne de brume nous vrilla les tympans. Lionel et moi nous retournâmes à temps pour voir un grand cargotier nous foncer dessus à son allure de mastodonte tranquille. Pour la plupart des navires, il était lent, mais par rapport à notre petite embarcation, il allait nous broyer avant que l’on n’ait eu le temps de s’enfuir. Tosh s’était déjà éclipsé, porté qu’il était par ses épais bras musclés habitués à transporter des caisses aux docks. Lionel et moi patinions davantage.

Le cargotier était un long navire plat aux petites voiles conçu pour la navigation fluviale en eaux paisibles. Il ne nous avait manifestement pas vus. Le courant nous entrainait vers l’aval, soit droit dans sa trajectoire.

__ Rame, rame ! ordonnais-je à mon meilleur ami tandis que nous pagayons à un rythme désespéré.

Le vent se mit contre nous, soufflant lui aussi vers l’est, ruinant nos efforts. Je me levais rapidement pour défaire la voile mais c’était trop tard. Un dernier coup d’œil vers la coque noire du navire à quelques mètres de nous.

__ Saute ! criais-je.

Nous plongeâmes tous les deux dans le fleuve. J’entendis le grondement sinistre du broyage en règle de notre petite barque lorsqu’elle se fracassa contre la coque goudronnée du cargotier. Je nageai par grandes brasses sous l’eau noire, m’éloignant le plus possible, avant de ne remonter qu’une fois mes poumons à sec. Lionel avait tenu un peu plus longtemps que moi, il refit surface quelques mètres plus loin. Des planches de bois déchiré flottaient autour de nous. Je levais un bras vengeur à l’attention du navire qui s’éloignait sans nous prêter attention.

__ Enfoiré !

Nous nageâmes jusqu’aux docks. Cela représentait deux cents mètres, et même l’habitude de la natation ne parvint pas à nous sauver de l’épuisement. Nous grimpâmes comme nous le pouvions sur le quai et nous écroulâmes trempés jusqu’aux os, à l’agonie. Quand notre rythme cardiaque se fut calmé, on se releva, s’ébroua comme de petits chiots et rîmes de soulagement.[/SPR]

[SPR]C’est alors qu’un gamin des rues dont je ne me souvenais pas le nom passa avec un air affolé.

__ Hé ! Qu’est ce qui se passe ? l’apostrophais-je après avoir remarqué que les quais étaient déserts.

Le gamin hésita à s’arrêter pour nous parler, mais ne put finalement s’empêcher d’éprouver la satisfaction de se rendre utile en nous renseignant.

__ Les ouvriers ils se font regroupés ! Et ils se sont armés ! Ils remontent les rues vers le palais des ducs, qu’il parait ! J’veux pas manquer ça !

Et il repartit. J’échangeais un regard avec Lionel et avec un sourire nous courûmes vers la plus grande source de bruits. Il y avait bel et bien une agitation inhabituelle en ville. Beaucoup de monde dans les rues. On entendait un brouhaha impressionnant. Et le son de centaines de pieds martelant la terre boueuse des rues.

Hélas, il y avait trop de gens, nous ne parvenions pas à nous approcher. Après plusieurs essais infructueux et frustrants, nous nous éloignâmes en bougonnant. Puis j’eu un éclair de génie.

__ On n’a qu’à contourner par les Galeries Illuminées !

Lionel approuva et nous nous remîmes à galoper dans la ville. Nous quittâmes le quartier pauvre d’Opimson pour pénétrer dans le quartier modeste d’Opharis. Si les ouvriers voulaient vraiment se rendre au palais des ducs, ils devraient emprunter l’artère centrale qui traversait les zones huppées de la cité. Et il y avait un endroit parfait pour ne rien manquer du spectacle.

On arriva sur une grande place pavée dont la face ouest était criblée d’arcades de pierre ouvragées. Ces arcades couvraient des marches que nous descendîmes, pour pénétrer dans les Galeries Illuminées.

C’étaient autrefois des rues marchandes très réputées. Mais pour aplanir les rues de la ville et protéger les habitants d’éventuelles inondations, l’assemblée bourgmestre avait décidé de relever le niveau de la chaussée d’un étage, transformant certains rez-de-chaussée en caves. On avait donc mis un toit à ces rues marchandes, qui n’avaient pas pour autant déménagées. Leur nouveau plafond en ogives leur donnait un charme particulier, et les marchands qui avaient là leurs boutiques mettaient en avant que l’on était protégé de la chaleur ou de la pluie, que l’on pouvait effectuer ses courses en toute tranquillité.

Galeries sous-terraines, on s’y éclairait par de grands lustres ou chandeliers, d’où le nom « d’Illuminées ». Il y régnait tout de même une odeur de renfermé tempéré par la profusion de parfums qui s’y répandaient. On y vendait tout ce qui aurait pu craindre l’extérieur, telles les draperies que l’humidité aurait pu abimer ou les aliments qui avaient tendance à se déprécier avec la chaleur. Dans les moments les plus chauds de la journée, les gens y descendaient surtout pour y trouver quelque fraicheur, et de nombreux établissements de boissons y avaient ouverts leurs portes.

Montant de nouvelles marches, nous sortîmes à la lumière du jour. Nous plissâmes les yeux pour nous habituer à l’éclat aveuglant du soleil. Une ruelle nous séparait d’autres marches. Celles-ci menaient vers l’envers des Galeries Illuminées : les Terrasses marchandes. Au lieu de s’enfoncer sous terre, ces marchands avaient monté leurs étales sur les toits plats de bâtiments hauts de seulement un étage. Surplombant le port, les Terrasses offraient une vue magnifique sur les navires qui allaient et venaient, et les montagnes qui ceignaient le delta. Pour ceux qui n’aimaient pas être enfermés sous terre, c’était donc l’occasion de faire ses courses au grand air.

L’agitation se rapprochait. Lionel et moi nous accoudèrent aux balustrades qui donnaient sur la rue en contrebas. L’avenue avait été dégagée par la garde, plus personne ne s’y baladait. Les soldats étaient positionnés tout le long, et fermaient les accès aux autres rues. Je n’étais pas sûr que leur but fût de protéger les manifestants. Peut-être de protéger les autres citoyens, qu’ils ne se fassent pas piétiner par la foule en colère.

Les ouvriers arrivèrent. C’étaient ceux que nous avions vu rassemblés place des boulangeries, sauf qu’ils étaient au moins trois cents maintenant. C’était impressionnant. Ils marchaient d’un air décidé et hurlaient un slogan que je ne compris pas. Il régnait une atmosphère sauvage qui me prit aux tripes. Un air de révolution. J’exultais. Beaucoup de personnes leur lançaient des vivats depuis les fenêtres ou derrière les haies de garde. Mais plus encore ne disait rien et s’en allait avec empressement.

Moi, je les encourageais, quand bien même j’ignorais tout des raisons de cette marche fiévreuse.

Les manifestants passèrent un pont qui chevauchait la rue pour rejoindre deux segments de terrasses. Une sombre appréhension me vint lorsque je vis la garde urbaine se poster derrière eux pour fermer l’accès à la rue. Je regardais plus loin, à ma gauche. Les ouvriers se dirigeaient vers un autre barrage de gardes. La peur s’empara de moi quand ce furent des archers qui se positionnèrent le long de la Terrasse qui flanquait les deux cotés de la rue. Les soldats s’armèrent de longs piques.

Les ouvriers remarquèrent que quelque chose clochait. Les gardes n’allaient pas les laisser passer. Ils regardèrent derrière eux. On leur avait coupé toute retraite. Ils levèrent la tête. Le grincement des cordes tendues retentit un peu partout. Un courant de panique les traversa. Mais les meneurs, d’impressionnantes masses de muscles qui devaient être forgerons s’avancèrent, se tournèrent vers le reste de la foule et levèrent leurs marteaux.

__ Combien de temps tolérerons nous le mépris dont nous abreuve ces richards ? Cèderons-nous à la répression ? Nos enfants vivants dans des taudis alors que de l’autre coté du fleuve les aristocrates dorment dans de la soie et de l’or ? Est-ce l’avenir que vous voulez laisser à nos descendants ? L’esclavage de la majorité pour l’enrichissement de la minorité ?

Et un autre de continuer :

__ C’est nous le peuple ! nous qui avons le pouvoir ! Montrons-leur !

Un tonnerre de rugissements approbateur appuya leurs propos.

Alors les gardes abaissèrent leurs piques. Les cordes claquèrent. Des flèches criblèrent la foule.

__ La liberté ou la mort ! hurla un homme en brisant plusieurs piques de sa masse avant de se faire transpercer plusieurs fois le ventre.

La garde urbaine chargea. Leurs longs piques de deux mètres leur permettaient de tenir à distance les ouvriers aveuglés par la rage et la peur. Les archers tiraient flèche sur flèche dans le tas. Les cadavres s’accumulaient.

__ Non ! criais-je de dépit devant ce massacre.

A coté de moi, Lionel était tétanisé. Il fallait faire quelque chose ! Réagir. La colère et l’indignation oblitérèrent toute raison en moi. J’allais tuer ces archers, prendre un arc et abattre ces soldats félons.

Deux mains me saisirent les épaules. Je me débattis mais quelqu’un de bien plus fort que moi me maintenait solidement, ainsi que Lionel. Ma colère se décupla quand je vis qu’il s’agissait de gardes.

__ Alors les mioches, le spectacle vous plait ? demanda goguenard l’homme derrière moi. Vous n’allez tout de même pas partir au meilleur moment ! Tenez-les bien !

__ Ce ne sont que des enfants, protesta mollement l’un des hommes.

__ Justement ! La leçon n’en sera que meilleure ! Ils verront ce qui arrive à ceux qui répandent le chaos, à ces misérables cloportes qui se pensent plus bons que la société et ne réfléchissent pas aux conséquences de leurs actes. Regardez, les gamins ! Regardez ce qui arrive à ces enfoirés.

Je ne pus détacher mon regard du carnage. C’était une horreur indescriptible. Les piquiers s’étaient retirés et de lourds cavaliers avaient chargé en plein dans la foule désorganisée. Les chevaux de bataille caparaçonnés écrasèrent des dizaines d’hommes, tandis que les cavaliers tranchaient des têtes à tout va. Fuyant les chevaux, les survivants se pressèrent contre les rangs des piquiers de derrière, qui ne manquèrent pas de les transpercer.

La rue était noire de cadavres et rouge de sang qui s’écoulait tranquillement et avait éclaboussé les murs. Les soldats finirent par nous lâcher et nous nous enfuîmes de ce cauchemar.

On s’écroula dans une ruelle, loin des cris et de la mort. Lionel se laissa tomber le long du mur et je m’assis à coté de lui. J’étais encore sous le choc, incapable de la moindre parole, de la moindre réflexion. Les images de la mort me hantaient et ne voulaient plus quitter mes pupilles, de mêmes que les hurlements.

Je finis par remarquer que Lionel pleurait. Il sanglotait faiblement, tandis que des larmes coulaient sur ses joues sans qu’il ne fasse mine de les essuyer. Je le regardais sans comprendre. Il était encore plus dévasté que moi. Alors il murmura quelques mots. Je me penchais pour mieux entendre.

__ Mon… mon…

Alors je compris. Je le fixais, horrifié. Puis je passais mon bras autour de son cou et le ramenais près de moi, comme je le voyais les mères faire pour consoler leur enfant. Il posa sa tête sur mon épaule sans cesser de pleurer. Je lui murmurais des paroles de réconfort, mais moi aussi je pleurais. En silence. Aussi dignement que possible.

J’espérais que mon père ne faisait pas partie de la foule. Je repassais tous les visages que j’avais vus, mais c’était là une vision de mort qui était trop douloureuse à se remémorer. Alors j’espérais, simplement. Très fort.[/SPR]

***​

[SPR]Le quartier sur pilotis était devenu le symbole de la conquête de la liberté. Il échappait astucieusement tant aux impôts fonciers qu’aux taxes d’amarrage. Après tout, il ne se trouvait pas à proprement parlé sur la terre d’Olimphos, et n’était pas constitué de navires. Les bourgmestres n’avaient trouvé aucune parade légale pour faire payer ses habitants. La création d’une taxe spéciale pour les habitations sur pilotis dans le ressort de la capitale n’avait pas changé grand-chose. Problème étant que les percepteurs d’impôts avaient tendance à tomber dans l’eau et se noyer, quand bien même ils étaient bon nageurs.

Les pilotis étaient une zone de non-droit et pourtant, étrangement tranquille. De l’avis des bourgmestres et des gens bien nés, c’était une tumeur dans la ville, une excroissance non désirée qu’il fallait impérativement raser. Pour d’autres, comme moi, c’était avant tout le point de rassemblement des marginaux qui ne se trouvaient pas leur place dans cette société, les contestataires qui avaient survécu à la purge de l’année dernière, ou ceux qui s’étaient trouvés une vocation dans les mois qui avaient suivis – comme moi encore.

C’était le logis rêvé des gens bien trop pauvres pour payer des impôts à une bande d’aristocrate déjà pleine de davantage d’or qu’elle ne pourrait jamais en dépenser dans toute sa vie. La garde ne s’y aventurait que rarement. Les criminels y avaient fait leur chez-soi, bien évidemment. Mais la notion de « criminel » pouvait être très largement entendue. Je pouvais par exemple en faire partie, simplement parce que de temps à autres, je critiquais le gouvernement et souhaitait la mort de ces bien-nés bouffis d’orgueil.

Les pilotis n’étaient pas aussi brinquebalants qu’auparavant. Les carrés d’habitations les plus proches de la terre offraient un aspect tout à fait convenable, il n’y avait guère que les plus récents qui ressemblaient irrémédiablement à d’indescriptibles taudis puants. Une logique urbaine hasardeuse sortie d’on ne savait où avait même dessiné des rues et des places. La transition des pilotis à la terre ferme n’était plus aussi évidente que jadis.

On trouvait des boutiques, des commerces et des ateliers. Un petit port de pêche avait grandi le long du quartier. L’hygiène par certains aspects était meilleure que dans de nombreuses autres zones de la capitale. Les gens pouvaient en effet vider leurs déchets directement dans le fleuve qui se trouvait sous leurs pieds. Le courant s’occupait de les disperser.

Je m’arrêtais sur un ponton en souriant. C’était sans doute l’une des raisons pour lesquelles les aristo-marchands et nobliaux d’Omphirion détestaient tant les pilotis. Ils se trouvaient pile en amont du fleuve par rapport à leurs petits palais dorés, de telle sorte que les déchets, descendant l’aval, leur arrivaient droit dessus. Et chaque matin, lorsqu’ils se levaient, ce n’était plus la beauté du delta qui les frappait en premier, mais l’amalgame hétéroclite des masures de bois qui défiait leur pouvoir.

Lionel suivit mon regard. Sa figure se fit sombre. Il détestait ces riches. Il rêvait jour et nuit de mettre le feu à Omphirion. Je posais ma main sur son épaule en signe de compréhension. Puis nous nous remîmes en route, Tosh à nos cotés.

Tosh était bien plus grand que nous, avec son mètre quatre-vingt, fort comme un buffle, il attirait crainte et respect de ceux qui posaient le regard sur lui. Particulièrement quand il portait une chemise sans manche qui laissait voir ses impressionnants bras. Il n’y avait rien de pareil à un travail de manutentionnaire aux docks et d’apprenti forgeron pour vous créer un colosse tout en muscles. Lionel et moi étions un peu plus secs. Tosh souriait déjà. Nous étions entrés dans la Baie du Retour, une vieille caravelle désossée qui s’était échouée à quelques kilomètres de la ville, puis qui avait été draguée jusqu’ici pour être dévorée par les pilotis. C’était donc une vaste salle aux murs arrondis dans laquelle on avait installé des gradins en bois et laissé une place nette au centre, une arène, en somme.

Là se réunissait la jeunesse désœuvrée d’Olimphos. Peu de filles, si ce n’étaient les copines de gars présents avec elles et désireux de se la jouer. La moyenne d’âge allait dans les dix-sept ans, nous-mêmes en ayant dix-huit, avec des mioches de treize ans venus pour le spectacle et faire comme les grands, et puis des jeunes hommes de vingt-sept ans qui ne se faisaient pas à la vie d’adulte. On se passait de la bière de mauvais goût et d’autres substances à tendances hallucinogènes ou euphorisantes. Certaines rendaient malades pendant une semaine, mais tout le monde ici vivait seulement les moments présents. Peu important que les moments présents de demain fussent faits de vomi.

Nous nous assîmes là où il restait de la place, Tosh faisant déjà rouler ses muscles pour impressionner la galerie. Dans la fosse deux gamins s’écharpaient, pendant que tout autour les gens discutaient du combat ou plus généralement de choses et d’autres. Plusieurs personnes nous regardaient fixement. Je leur rendais poliment la pareille. Des petits caïds des rues, certains véritables chefs de gang, et qui pouvaient selon les occasions être autant amis qu’ennemis.

Beaucoup de questions et de problèmes se réglaient dans la fosse de la Baie du Retour. Chacun avait son champion et l’envoyait combattre pour défendre sa position. En parallèle, les paris couraient. Ils étaient en principe illégaux – la ville ne pouvant percevoir de taxes dessus – mais ce n’était pas la garde qui allait s’aventurer aussi profondément dans les pilotis, et encore moins se frotter à tous les gangs de gamins des rues réunis.

Quasiment tous avaient une dent contre la garde urbaine et l’assemblée bourgmestre. La répression sanglante de l’année dernière avait fait des centaines d’orphelins. Certains avaient perdu leur frère ou leur meilleur ami. L’enjeu aurait été de se réunir en une force formidable, plutôt que de se disperser en une multitude de bandes qui se chamaillaient tout le temps.

C’était ici la question posée à cette assemblée tribale. Allait-on agir ensemble pour remettre l’assemblée bourgmestre à sa place, ou bien irait-on seul au combat ?

Les premiers combats commencèrent. Il n’y avait que deux règles : pas de mort, et dès que l’un des combattants disait se rendre, le duel se finissait. On ne voulait pas de violence inutile, et encore moins de cadavres. Beaucoup de monde ne se serait pas autant amusé s’il avait fallu craindre pour sa vie. [/SPR][/SPR]
 

DeletedUser

Guest
Merci pour ce texte, la description de la ville est en effet bien travaillée.

J'en ai retiré une ambiance de marécage, pas forcément sombre, mais plutôt d'une ville triste et fanée. Quant au jeu des enfants et la vision qu'ils ont de leur environnement, elle est bien retraduite aussi.

Si je devais relever des choses, c'est déjà sur la colline aux maisons abandonnées, où je me serais attendu à ce que le bidonville aurait envahi ces grandes demeures, l'intérieur d'un manoir formant à lui seul une petite salle.

Ensuite si le RP s'était poursuivi, j'aurais peut-être eu peur pour la suite de la grande quantité de lieux décrits, qui risquerait de noyer le récit avec un background trop concentré dans le même chapitre.

Pour le reste, j'ai passé un très bon moment, au contraire des personnages. Merci !
 

DeletedUser

Guest
"j'aurais peut-être eu peur pour la suite de la grande quantité de lieux décrits, qui risquerait de noyer le récit avec un background trop concentré dans le même chapitre."

Tu dis genre ya trop de descriptions détaillées d'un coup ? En même temps une fois évacuées au début, ya plus beaucoup à dire après donc ça doit passer ^^
 

DeletedUser

Guest
non, je parle plus du rythme du récit ^^.

L'intérêt de ce genre de descriptions, c'est leur coté atypique. Si c'était une rue marchande classique, on parlerait juste de "la rue marchande". Or là il s'agit d'une rue spéciale, qui par sa nature même mérite qu'on la décrive précisément et qui constitue alors un des points centraux du chapitre. Mais plus tu va multiplier ce genre de choses atypique à décrire, plus tu va mettre de poids lourds dans ton chapitre. Non seulement tu l'alourdis donc pour le lecteur, mais tu appauvris potentiellement les chapitres suivants qui n'auront pour seule nouveauté que la suite de l'action.

Alors qu'avoir à chaque fois, et de l'action, et une chose atypique, c'est toujours mieux qu'avoir une grosse overdose de choses atypiques la première et se contenter du reste de l'action pour la suite.

D'où la notion d'équilibre dans un récit ^^.

Le mieux étant même de ne pas tout décrire précisément du premier coup, le lecteur aura le plaisir de retrouver un lieu favori avec en plus de la nouveauté !

Bon, j'espère avoir été compréhensible tout en rappelant qu'il ne s'agit que d'une vision toute personnelle ;-)
 

DeletedUser

Guest
Oui tu as raison. En même temps comme il n'y a pas de suite ce n'est pas foncièrement gênant ^^ Au moins tout est là.
 

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Guest
Nous sommes d'accord ^^.

Par contre tu pouvais pas faire plus charismatique que "Lionel" comme nom ? Nan, parce qu'en voyant ça je voyais déjà les deux autres s'appeler Jacky et Serge... Ma vision de l'histoire en aurait souffert :-D
 

DeletedUser

Guest
Je ne sais pas où j'ai été cherché ces prénoms. Lionel fait peut être référence au lion que le prénom contient :eek:

Généralement j'ai des petits bouts de papier avec plein de mots, d'idées et de noms et je pioche dedans pour mes histoires, donc après coup j'oublie d'où ça venait à l'origine.
 

DeletedUser22852

Guest
Moi Lionel ne me dérange pas^^ au contraire ça a un côté classique, peu charismatique pour un personnage de récit, qui va bien avec le fait que se soit un gamin désœuvré mais sommes toute plutôt banal. Un "Héraclès" serait affreux pour un personnage ordinaire :p

Pour être honnête j'ai eu du mal à rentrer dans l'histoire. Je trouve le début un peu long pour un récit livré sur un forum, l'écriture est bonne, nul surprise ni déception de ce côté là au vu de l'auteur, la mise en place de cette société est intéressante, bon même si la séparation riche pauvres ne m'a guère surpris comme marqueur mais c'est en accord avec la suite et c'est ce genre de clash qui rend une histoire intéressante , les descriptions de lieux sont agréables à lire... mais l'action tarde à arriver ! Pourtant une fois que l'action est là avec la "révolte" qui tourne mal pour moi l'histoire commence vraiment je plonge dans le récit et je commence à savourer. Le décor est bien planter pour le coup, les personnages sont attachants, plus qu'a dérouler l'action. Mais peu après le récit s'arrête. Frustrant, non ?
 

DeletedUser

Guest
Je m'adapte à l'environnement, les gens viennent commencer leurs récits ici mais ne les finissent jamais :p
 

DeletedUser22852

Guest
lol oui j'en suis un spécialiste^^ mais la particularité de l'ombre colorée n'est elle pas de finir ce qu'elle entreprend ?
M'enfin je comprends tout à fait que tu ne finisses pas^^
 
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N'est pas ouverte pour d'autres réponses.
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