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« Έννέπε μοι, Μοΰσα, τήν αρχαίαν ιστορίαν τοΰ πόλημου καί τής ιερού είρήνης μεταξύ Κόρκυρα καί Επίδαμνος; » [Raconte-moi, Muse, l’histoire ancienne de la guerre puis de la paix sacrée entre Corcyre et Epidamne]*
Telle aurait pu commencer cette histoire épique qui déchira les hommes ainsi que les dieux. Moi, Clio, fille de Zeus et de Mnémosyne, vais vous raconter ce combat qui fit trembler la terre sous les pas des soldats et les cieux sous la colère des Olympiens.
Nous sommes en -436** : après la victoire controversée de Calesthène, fils de Pyrios et prince de Corcyre à l’épreuve tir à l’arc aux jeux olympiques, Trichastron, fils de Polypaides [littéralement l’homme aux nombreux enfants] et prétendant au trône d’Epidamne, déclare la guerre à Corcyre.
Le conflit fut à la hauteur de la richesse des deux cités que même Athènes n’osait pas défier. Les dieux, mes maîtres, prirent part au conflit et Hadès rappela à lui nombre de valeureux guerriers. La déesse Déméter rendait aride les fertiles terres de Corcyre tandis qu’Héphaïstos, depuis sa mine céleste transformait les célèbres filons de cuivre d’Epidamne en calcaire. Seule la toute-puissance de Zeus évitait une guerre divine ouverte.
En général d’armée aguerri, Trichastron mena ses phalanges d’hoplites à de nombreuses victoires. Tel Achille et ses myrmidons, il courait toujours en tête de son armée quand ils passaient à l’attaque et ses hommes avaient une foi complète dans ses ordres et ses stratégies. Polypaides, son père et roi d’Epidamne, était resté dans son palais pour élever ses 12 enfants, et notamment sa cadette qu’il aimait passionnément, Sophia.
Face à cette menace, le jeune Calesthène décida de fonder sa riposte sur ses atouts, estimant que sa force ne venait pas du nombre, mais de l’entrainement rigoureux et exigeant de ses archers. Lui-même archer de la garde royale (et vainqueur aux jeux olympiques, rappelons-le), il maîtrisait parfaitement les techniques de défense ancestrales et prit ainsi la tête de ses hommes. Il essuya cependant défaite sur défaite contre Trichastron, bien plus expérimenté et plus puissant que lui. Le conflit se retrouva rapidement aux portes de Corcyre. Calesthène, qui considérait sa ville imprenable car parfaitement défendue par ses archers, s’y sentait en sécurité. Mais Trichastron, aveuglé par la perspective d’une victoire si rapide (il avait couvert les quelques 1300 stades qui le séparait de l’île de son rival, bâti une flotille pour traverser le bras de mer et débarquer dans la baie d’Ypsos*** en moins de 4 mois !) jeta toutes ses forces dans cette bataille qu’il croyait décisive. Les béliers d’Epidamne firent trembler les murs de la cité tandis que les catapultes projetaient des boules enflammées au sein même de la ville, répendant la peur et le chaos. Tous, jeunes et vieux, hommes et femmes, soldats et prêtres, maris, frères, amis, cousins, tous croyaient que leur dernière heure était arrivée. Seul Calesthène, debout sur les remparts, décochait flèche sur flèche, ne manquant jamais sa cible. Les archers corfiotes reprirent peu à peu courage et confiance dans leur souverain et combattirent à ses côtés pendant les heures que durèrent la bataille. Et Corcyre tint bon, tel un roc face aux mugissements du vent. La plupart de ses hoplites morts sous une pluie de flèches, Trichastron n’eut d’autre choix de retirer ses troupes et de s’avouer vaincu, pour l’instant. La grande bataille de Corfou avait eu lieu. L’année de -435 s’ouvrait sur un bain de sang grec.
Pendant ce temps, deux déesses pleuraient les morts de cette guerre ayant débutée à cause d’une stupide épreuve de tir : Athéna, déesse de la sagesse avant d’être déesse de la guerre, et Aphrodite, déesse de l’amour. Elles décidèrent alors de prendre le destin de Corcyre et d’Epidamne en main, pour le plus grand bien des deux cités. Athéna, habile à se révéler aux humains, annonça à Polypaides, le père de Trichastron, que son fils l’appelait de toute urgence. Croyant la victoire acquise, le roi, suivi de ses enfants en liesse, partit donc pour Corfou. Seule Sophia restait muette, comme absorbée dans ces pensées. Elle n’aimait pas cette idée de violence, de champs de bataille, de sang des frères versés pour l’ambition d’un prince. Elle en parla à son père qui fut touché par ses propos. Sans en être convaincu de la justesse, il admira la maturité et la philosophie dont faisait preuve sa fille et ne l’en aima que plus.
Quand ils arrivèrent en grande pompe aux portes de Corcyre, ce ne fut que pour découvrir des soldats affamés et affaiblis, blessés ou malades à cause de la pauvre hygiène du camp. Les troupes avaient subies un raid des Corfiotes dans la nuit, et sans l’aura de chef de Trichastron, ils auraient sûrement subi de lourdes pertes. Du haut des murailles de la ville, Calesthène les observait. Malgré les quelques 1000 pieds qui le séparaient du camp d’Epidamne, le prince devinait l’arrivée de Polypaides et de sa suite. C’est alors qu’Aphrodite agit : d’un seul coup d’œil, malgré la distance, Calesthène et Sophia tombèrent éperdument amoureux l’un de l’autre.
Calesthène descendit des remparts.
Sophia quitta discrètement le camp.
Avant que quiconque ne s’en rende compte, ils étaient réunis au milieu du champ de bataille. Le prince emmena ensuite sa dulcinée dans sa ville pour en faire sa reine. Pyrios, vieux et sage, vit d’un œil bienveillant cette union et un moyen de mettre fin à cette guerre. Il sortit un soir secrètement de la cité… qui pouvait bien craindre ou se soucier d’un vieillard ? Il se dirigea sans crainte vers le camp éclairé par les buchers construits pour honorer les morts. Trompant les sentinelles, il parvint à pénétrer dans la tente de Polypaides. Les deux hommes se respectaient profondément et s’appréciaient à leur juste valeur. Seule l’arrogance de Trichastron avait déclenché cette guerre. Ils discutèrent longuement, bien après que le camp ne se fut endormi. Quand ils entendaient le frôlement d’un pied près de la tente, Pyrios se cachait sous les affaires de son ami ; cela les faisait rire en silence et leur rappelaient leur jeunesse.
Finalement, à l’heure où le soleil embrase l’horizon, les deux rois étaient arrivés à un accord : Epidamne quitterait immédiatement l’île de Corcyre pour ne plus jamais y revenir en ennemi. Cocyre fournirait en échange à ses troupes un ravitaillement suffisant pour qu’elles rejoignent la cité d’Apollonia, alliée d’Epidamne. Des accords commerciaux furent également conclus et il fut naturellement question de la fête célébrant le mariage de leurs enfants chéris.
Trois jours plus tard, les portes de Corcyre s’ouvrirent grandes pour accueillir les soldats de Polypaides. Trichastron, offensé par la décision de son père, fut prié de rentrer seul et immédiatement à Epidamne, sans assister au mariage de sa sœur. Quelques soldats le suivirent, mais la plupart avait plus de respect pour Polypaides que de crainte pour son fils et restèrent à Corcyre pour la fête.
La signature du traité fut le clou de la célébration. Parés d’or et coiffés d’une couronne d’olivier, les souverains des deux villes officialisèrent leur décision devant le temple d’Athéna, afin d’avoir la bénédiction de la déesse. J’étais à ses côtés quand, du haut de l’Olympe, elle observait la scène par les yeux de sa chouette, en admirant le travail accompli. Elle eut alors cette phrase, à méditer par vous autres mortels : « c’est l’amitié de deux hommes sages dans une tente sombre sur une plage battue par les vents êtres qui permit cette paix sacrée et non la violence d’un prince arrogant dévoré d’ambition »…
* Traduction de la phrase française en grec ancien par mes soins indépendamment de toute aide sur internet à part pour l’accentuation
** soit exactement 611 olympiades avant ceux d’Athènes de 2008
*** NDLR : on notera la documentation détaillée dont dispose la Muse Clio
Telle aurait pu commencer cette histoire épique qui déchira les hommes ainsi que les dieux. Moi, Clio, fille de Zeus et de Mnémosyne, vais vous raconter ce combat qui fit trembler la terre sous les pas des soldats et les cieux sous la colère des Olympiens.
Nous sommes en -436** : après la victoire controversée de Calesthène, fils de Pyrios et prince de Corcyre à l’épreuve tir à l’arc aux jeux olympiques, Trichastron, fils de Polypaides [littéralement l’homme aux nombreux enfants] et prétendant au trône d’Epidamne, déclare la guerre à Corcyre.
Le conflit fut à la hauteur de la richesse des deux cités que même Athènes n’osait pas défier. Les dieux, mes maîtres, prirent part au conflit et Hadès rappela à lui nombre de valeureux guerriers. La déesse Déméter rendait aride les fertiles terres de Corcyre tandis qu’Héphaïstos, depuis sa mine céleste transformait les célèbres filons de cuivre d’Epidamne en calcaire. Seule la toute-puissance de Zeus évitait une guerre divine ouverte.
En général d’armée aguerri, Trichastron mena ses phalanges d’hoplites à de nombreuses victoires. Tel Achille et ses myrmidons, il courait toujours en tête de son armée quand ils passaient à l’attaque et ses hommes avaient une foi complète dans ses ordres et ses stratégies. Polypaides, son père et roi d’Epidamne, était resté dans son palais pour élever ses 12 enfants, et notamment sa cadette qu’il aimait passionnément, Sophia.
Face à cette menace, le jeune Calesthène décida de fonder sa riposte sur ses atouts, estimant que sa force ne venait pas du nombre, mais de l’entrainement rigoureux et exigeant de ses archers. Lui-même archer de la garde royale (et vainqueur aux jeux olympiques, rappelons-le), il maîtrisait parfaitement les techniques de défense ancestrales et prit ainsi la tête de ses hommes. Il essuya cependant défaite sur défaite contre Trichastron, bien plus expérimenté et plus puissant que lui. Le conflit se retrouva rapidement aux portes de Corcyre. Calesthène, qui considérait sa ville imprenable car parfaitement défendue par ses archers, s’y sentait en sécurité. Mais Trichastron, aveuglé par la perspective d’une victoire si rapide (il avait couvert les quelques 1300 stades qui le séparait de l’île de son rival, bâti une flotille pour traverser le bras de mer et débarquer dans la baie d’Ypsos*** en moins de 4 mois !) jeta toutes ses forces dans cette bataille qu’il croyait décisive. Les béliers d’Epidamne firent trembler les murs de la cité tandis que les catapultes projetaient des boules enflammées au sein même de la ville, répendant la peur et le chaos. Tous, jeunes et vieux, hommes et femmes, soldats et prêtres, maris, frères, amis, cousins, tous croyaient que leur dernière heure était arrivée. Seul Calesthène, debout sur les remparts, décochait flèche sur flèche, ne manquant jamais sa cible. Les archers corfiotes reprirent peu à peu courage et confiance dans leur souverain et combattirent à ses côtés pendant les heures que durèrent la bataille. Et Corcyre tint bon, tel un roc face aux mugissements du vent. La plupart de ses hoplites morts sous une pluie de flèches, Trichastron n’eut d’autre choix de retirer ses troupes et de s’avouer vaincu, pour l’instant. La grande bataille de Corfou avait eu lieu. L’année de -435 s’ouvrait sur un bain de sang grec.
Pendant ce temps, deux déesses pleuraient les morts de cette guerre ayant débutée à cause d’une stupide épreuve de tir : Athéna, déesse de la sagesse avant d’être déesse de la guerre, et Aphrodite, déesse de l’amour. Elles décidèrent alors de prendre le destin de Corcyre et d’Epidamne en main, pour le plus grand bien des deux cités. Athéna, habile à se révéler aux humains, annonça à Polypaides, le père de Trichastron, que son fils l’appelait de toute urgence. Croyant la victoire acquise, le roi, suivi de ses enfants en liesse, partit donc pour Corfou. Seule Sophia restait muette, comme absorbée dans ces pensées. Elle n’aimait pas cette idée de violence, de champs de bataille, de sang des frères versés pour l’ambition d’un prince. Elle en parla à son père qui fut touché par ses propos. Sans en être convaincu de la justesse, il admira la maturité et la philosophie dont faisait preuve sa fille et ne l’en aima que plus.
Quand ils arrivèrent en grande pompe aux portes de Corcyre, ce ne fut que pour découvrir des soldats affamés et affaiblis, blessés ou malades à cause de la pauvre hygiène du camp. Les troupes avaient subies un raid des Corfiotes dans la nuit, et sans l’aura de chef de Trichastron, ils auraient sûrement subi de lourdes pertes. Du haut des murailles de la ville, Calesthène les observait. Malgré les quelques 1000 pieds qui le séparaient du camp d’Epidamne, le prince devinait l’arrivée de Polypaides et de sa suite. C’est alors qu’Aphrodite agit : d’un seul coup d’œil, malgré la distance, Calesthène et Sophia tombèrent éperdument amoureux l’un de l’autre.
Calesthène descendit des remparts.
Sophia quitta discrètement le camp.
Avant que quiconque ne s’en rende compte, ils étaient réunis au milieu du champ de bataille. Le prince emmena ensuite sa dulcinée dans sa ville pour en faire sa reine. Pyrios, vieux et sage, vit d’un œil bienveillant cette union et un moyen de mettre fin à cette guerre. Il sortit un soir secrètement de la cité… qui pouvait bien craindre ou se soucier d’un vieillard ? Il se dirigea sans crainte vers le camp éclairé par les buchers construits pour honorer les morts. Trompant les sentinelles, il parvint à pénétrer dans la tente de Polypaides. Les deux hommes se respectaient profondément et s’appréciaient à leur juste valeur. Seule l’arrogance de Trichastron avait déclenché cette guerre. Ils discutèrent longuement, bien après que le camp ne se fut endormi. Quand ils entendaient le frôlement d’un pied près de la tente, Pyrios se cachait sous les affaires de son ami ; cela les faisait rire en silence et leur rappelaient leur jeunesse.
Finalement, à l’heure où le soleil embrase l’horizon, les deux rois étaient arrivés à un accord : Epidamne quitterait immédiatement l’île de Corcyre pour ne plus jamais y revenir en ennemi. Cocyre fournirait en échange à ses troupes un ravitaillement suffisant pour qu’elles rejoignent la cité d’Apollonia, alliée d’Epidamne. Des accords commerciaux furent également conclus et il fut naturellement question de la fête célébrant le mariage de leurs enfants chéris.
Trois jours plus tard, les portes de Corcyre s’ouvrirent grandes pour accueillir les soldats de Polypaides. Trichastron, offensé par la décision de son père, fut prié de rentrer seul et immédiatement à Epidamne, sans assister au mariage de sa sœur. Quelques soldats le suivirent, mais la plupart avait plus de respect pour Polypaides que de crainte pour son fils et restèrent à Corcyre pour la fête.
La signature du traité fut le clou de la célébration. Parés d’or et coiffés d’une couronne d’olivier, les souverains des deux villes officialisèrent leur décision devant le temple d’Athéna, afin d’avoir la bénédiction de la déesse. J’étais à ses côtés quand, du haut de l’Olympe, elle observait la scène par les yeux de sa chouette, en admirant le travail accompli. Elle eut alors cette phrase, à méditer par vous autres mortels : « c’est l’amitié de deux hommes sages dans une tente sombre sur une plage battue par les vents êtres qui permit cette paix sacrée et non la violence d’un prince arrogant dévoré d’ambition »…
* Traduction de la phrase française en grec ancien par mes soins indépendamment de toute aide sur internet à part pour l’accentuation
** soit exactement 611 olympiades avant ceux d’Athènes de 2008
*** NDLR : on notera la documentation détaillée dont dispose la Muse Clio