Notes [La Guerre de cent ans]

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DeletedUser

Guest
Bonjour à toutes et à tous ! Voici venu le temps des rires et des chants, ... Non, le temps de lire et de noter nos trois concurrents !

Je rappelle les contraintes, fixées par les concurrents :
Époque : Le Moyen-Âge, dans la période 1337-1453
Thème : La Guerre de Cent ans
Contraintes : au minimum 5000 caractères
Participants : Patoche2404, Phlégéton, ChamallOow

Je rappelle à tout le monde que la notation est sur 100, et pour une note plus juste il est plus facile de diviser en sous-note (avec une pour l'orthographe, une pour l'histoire, une pour ceci...à votre sauce ;))

Les auteurs ont pris le temps d'écrire, vous pouvez prendre le temps de lire et de noter pour leur rendre hommage ! :)

Rien que le néant. Un trou noir qui dura environ 3 minutes. Même les étoiles furent de la partie. Tout tourbillonnait : ses idées, ses rêves, ses espoirs et même ses déceptions. Un mal de crâne l'empêcha aussitôt de penser davantage ainsi qu'une sensation de froid qui lui envahit le visage comme si on lui avait plongé la tête dans un seau d'eau glacée. Soudain Cassandre ouvrit un oeil . La jeune fille se redressa et réalisa qu'elle se trouvait au beau milieu d'un bois. Peut être était elle au beau milieu du bois de Boulogne cependant elle ne reconnaissait ni l'endroit ni même l'atmosphére qui y régnait.. Il n'y avait ni route, ni lampadaire, ni même un poteau électrique pour indiquer la trace d'une quelconque civilisation.
Où était-elle? Que s'était-il passé? Cassandre essaya de se souvenir en vain de ce qui avait pu causer une telle perte de mémoire. Elle récapitula donc la situation.. :

Nom : Bolé
Prénom : Cassandre
Âge : 20 ans
Signe particulier : Aucun.
Ou etait-elle : Dans un bois, c'est sur ,mais dans quel région? Dans quel pays?
Que s'était-il passé : Néant.

Au loin, les sabots d'un cheval martelait la petite route de terre. Un hennissement la tira de sa rêverie récapitulative. Elle tendit l'oreille et devina que le cheval se dirigeait plus ou moins dans sa direction. Et qui dit «*cheval*» dit «* cavalier*» … songea Cassandre. Le martélement des sabots se rapprochait de plus en plus ce qui fit accélérer le battement cardiaque de Cassandre. Aprés tout, elle était seule au beau milieu d'un bois.. Qui sait ce qui pouvait lui arriver? Elle fouilla dans ses poches à la recherche de son portable. Elle fut surprise de ne pas l'y trouver.. Elle était pourtant sûre de l'avoir avant le «*trou noir*». Elle n'eût pas le temps de penser davantage que déjà un cheval blanc s'avançait vers elle d'un pas vif et rapide. Cassandre rigola. Le cavalier était déguisé en chevalier comme à l'époque du moyen âge. Peut être participait-il à un jeu de rôle ou appartenait-il à une association visant à reproduire des scénes moyen-âgeuse.
Le cavalier possédait tout l'attirail d'un chevalier du Moyen-Âge : l'armure,l'épée, la cote de mailles et bien sûr le cheval. Cassandre se frotta les yeux, et se pinça pour être sûr qu'elle ne rêvait pas.

«*Êtes vous perdue gente damoiselle?*» lui lança le chevalier du haut de sa monture.

Cassandre s'approcha du cheval les yeux écarquillés de surprise.

«* Euh.. En fait..C'est que..*» bafouilla Cassandre ne sachant par quel bout commencer.

Le chevalier descendit alors prestement de son cheval, et enleva son casque. Cassandre découvrit alors un visage au allures de poupin. Le jeune homme devait avoir tout au plus 25 ans. Sa chevelure blonde avait des reflets dorés dû au soleil, et ses yeux trahissaient une grande maturité.
L'homme parut peiné tout d'un coup :
«*Suis je sot ou seulement impoli? Veuillez m'excuser gente dame, je me présente : Albin de BelleFontaine. Je suis propriétaire du bois où nous nous trouvons. Puis je vous dire que vous avez eu de la chance de ne point vous trouver céans un jour de chasse.*»
«*Enchanté Albin.. Mon nom est Cassandre et actuellement j'ignore ce que je fais ici.*» répondit Cassandre l'air génée.
«* Vous seriez vous égarée Madame? Oh mais vos vêtements sont tachées de terre et d'herbes. Permettez moi de vous offrir mon hospitalité pour la nuit. Ne restez point dans cette forêt seule, nombreux sont les brigands qui s'y aventurent et essayent de pénétrer ma demeure.*» lui proposa Albin , un sourire bienveillant aux lêvres.
Cassandre n'aimait pas ce genre de personnage. Malgré son sourire, sa carrure trahissait une habitude innée pour la guerre. Elle remarqua également son épée maculée de sang.. Elle pria au fond d'elle même pour qu'il ne s'agisse pas de sang humain. Elle ne savait pas où elle était, donc elle préféra accepter la propostion d'Albin de BelleFontaine qui l'observait avec des yeux curieux.

Alors qu'il chevauchait vers la demeure d'Albin, Cassandre lui demanda : «* Dites moi Albin, pourriez vous me dire où sommes nous ?*»
«* Nous sommes dans le parc de Valécieu chére damoiselle.. Vous ne vous en étiez point rendez compte?*» réagit Albin vigoreusement.
Cassandre lui lança un regard noir. Comment pouvais t-elle deviner? Valécieu, Valécieu.. Cassandre cherchait mentalement où bien cela pouvait il se trouver. Quoi qu'il en soit, ce Albin de BelleFontaine avait l'air d'un fou.. et cela ne l'a rassuré guère. Cependant c'était le seul qu'elle connaissait, elle décida donc d'entrer dans son jeu.
«* Dites moi Albin, à quel époque sommes nous?*» lui demanda Cassandre
«* Ah damoiselle, vous semblez ignorer bien des choses.. Nous sommes en 1381 sous le régne de Charles VÎ de France. Mais bon il me semble que vous le connaissez : tout le monde connaît le roi. Notre roi est bon.. Certains ménestrel l'appellent même Charles le Bien Aimée*. Que c'est plaisant comme nom!*» s'amusait Albin tout en guidant son cheval à travers la forêt.
«* Euh.. vous savez Albin. J'ai l'impression de mettre perdu dans votre époque. Vous savez, je ne vis pas sous le régne de Charles VI.. Je suis une jeune fille qui vis au 21éme siécle*» lui avoua Cassandre.
«*Au 21éme siécle? N'essayez point de me conter des histoires damoiselle. Avez vous toute votre tête? Ou peut être avez vous reçu un coup? Je crains que vous n'ayez besoin de vous reposer, vous semblez bien lasse*» lui dit Albin d'un coup direct et sans appel.
Cassandre préféra ne pas insister, et décida de remettre ses aveux à plus tard.

Au fur et à mesure qu'ils avançaient dans la forêt, les arbres étaient plus serrées et la lumiére devenait rare. Les oiseaux eux mêmes ne s'aventuraient pas là. Cassandra frissonna et rabattit la capuche de son pull sur sa tête comme pour se protéger de toute attaque de ce monde des ombres.
Albin semblait ne pas s'inquiêter. Au contraire, il sifflotait.
Puis au détour d'une clairière elle découvrit un immense château. Elle frotta ses yeux comme pour vérifier qu'elle ne rêvait toujours pas.
«* Et voici mon humble demeure Mademoiselle Cassandre*» annonca Albin quand ils furent face aux château. Sa «*demeure*» comme il l'appellait était faite de brique sombre, et d'un nombre incroyable de petite tourelles. Chaque tourelle étaient si pointu et si élancée que les oiseaux n'osaient guére se poser dessus de crainte de s'empaler une patte. Albin fit descendre Cassandre de cheval qu'il confia au palefrenier.
Le doute s'installa dans l'esprit de Cassandre.. Albin n'était pas seulement un fou qui aimait le Moyen Âge. Il était vraiment dans son rôle. Il habitait dans un château digne de ceux des rois de France. Il parlait presque en ancien français. Etait-elle vraiment au beau milieu du parc de Valécieu en 1381 ?... Tout d'un coup la tête lui tourna, et elle dut s'appuyer contre un mur pour ne pas tomber.
Une migraine la cloua sur place et une lumiére blanche, presque divine, l'aveugla.

Le trou noir. Le néant l'envelopa de ses bras vides. Lorsque Cassandre repris connaissance, elle était allongée sur un grand lit à baldaquin. La chambre dans laquelle elle se trouvait était sobre mais meublée comme avec goût. Des tableaux de personnages qu'elle ne connaissait guére ornaient les murs. Cassandre remarqua qu'une jeune fille était endormie sur un des fauteuil. Une chevelure brune encadrait son visage aux joues rosés de sommeil. Cassandre s'approcha d'elle à pas de loup.
Au craquement du sol, la jeune fille sursauta et ouvrit les yeux.
«* Ah Damoiselle Cassandre, vous êtes enfin éveillée.. Monseigneur de BelleFontaine et moi même craignons pour votre santé. Vous avez perdu connaissance tout à l'heure.*» s'empressa de lui dire la jeune fille.
Apres quelques minutes de discussions entre les deux jeunes femmes, Cassandre en savait plus sur cette jeune fille que sur elle même : elle s'appelait Marie et était domestique au château de la famille
BelleFontaine depuis prés de deux ans. Cassandre fut surprise d'apprendre qu'elle n'avait que dix-neuf ans.
«* Monseigneur de BelleFontaine vous attend pour le dîner Damoiselle Cassandre*» lui dit Marie, en remplissant une jarre d'eau pour que Cassandre puisse faire un brin de toilette. Cassandre revêtit la longue robe bleue pâle que lui tendait Marie. La jeune domestique peigna longuement les long cheveux blond aux reflet roux de Cassandre.
«* Monseigneur Albin m'a dit que vous pensiez venir du 21éme siécle. Est-ce vrai?*» s'enquit la jeune domestique.
Cassandre leva les yeux au ciel.. Voilà qu'Albin la croyait maintenant! Alors qu'il l'avait remballé vertement lorsqu'elle lui en avait parlé la derniere fois.
Cassandre pénétra dans la grande salle à manger... ou se trouvait Albin en grande pompe.
«Cassandre.. Savais vous que j'ai repensé à votre aveu tout à l'heure?*» lui annonca Albin d'un air fier. Cassandre se méfia de ce regard coquin et provocant. Il semblait avoir bu plus d'un verre de vin.
«* Et qu'avez vous donc à me dire Monseigneur?*» lui demanda Cassandre avec toute l'assurance qu'elle avait.
«* Vous m'avez affimé venir du 21éme siècle n'est ce pas? Eh bien, prouvez le moi! J'avoue que vos paroles m'ont quelque peu surpris au départ. Cependant je suis curieux et j'aimerais savoir votre vérité car chacun a sa vérité n'est ce pas..*» la nargua le chevalier.
Cassandre se tut. Comment prouver qu'elle venait du 21éme siécle? Elle n'avait ni portable, ni Ipod, ni Iphone.. Elle n'avait rien sur elle à part sa robe de princesse. Soudain une idée lui vint à l'esprit.. Elle pouvait lui dire l'avenir. Peut être la croirait-elle.. Avec beaucoup de chance et un sacré coup d'pouce du destin.
Cassandre s'approcha d'Albin, se plongea dans ses yeux bleus afin d'y déceler une menace quelconque.
«*Monseigneur, je n'ai guére sur moi de quoi vous prouver que je viens du futur. Cependant laisser moi vous conter l'avenir.*» lui proposa Cassandre, un sourire en coin.
Albin se retourna promptement et s'approcha d'un pas vif vers Cassandre. Une lueur de curiosité brillait dans ses pupilles.
«* Soit! Je vous écoute Damoiselle*» dit-il en s'asseyant sur un large fauteuil recouvert d'une peau de bête.
«* Votre roi , Charles IV de France, participe à ce que nous appelont La Guerre de Cents Ans. D'apres vos dires nous sommes en l'an 1381... Je peux vous dire que votre roi va s'allier avec Olivier I de Cresson lors de la Bataille de Roosebeck ou il vaincront les flamands dans le sang et la sueur. De lourdes pertes seront à déplorer, cependant ce n'est pas la préoccupation première des rois de votre époque. Enfin je vous rassure, au 20eme et 21 eme siécle non plus, les hommes sont les premiéres victimes des conflits. Si vous saviez le nombre de mort qu'il y a eu lors des Deux Guerres Mondiales.. Enfin non vous ne pouvez pas savoir. Vous allez mourir avant.*» raconta Cassandre tel un professeur d'histoire.
Albin de BelleFontaine écarquillait les yeux : «* Des guerres mondiales? Mais entre qui et qui Damoiselle Cassandre?*»
«* Ah c'est compliqué à expliquer en deux ou trois mots Monseigneur. La Premiere Guerre Mondiale s'est déroulée de 1914 à 1918 et c'était avant tout pour des conflits d'ordre militaire. Cette guerre est souvent qualifié de «*totale*» car beaucoup d'empire se sont effondrés et beaucoup de pays y ont participé. Euh.. La deuxieme guerre mondiale.. s'est déroulé de 1939 à 1945 et ce fut surtout car en Allemagne il y a eu un dictateur nommé Hitler qui avait des rêves de conquête tres expansive*» débita la jeune fille en essayant de se souvenir au maximum de ses cours d'histoires.
Au fur et à mesure que Cassandre lui contait l'histoire, Albin semblait se décomposer sur place :*
«* L'Homme ne changera t-il jamais? Diantre! Pourquoi faut-il que l'être humain soit aussi noir et sombre ? Vous vous rendez compte Cassandre qu'à cause de la folie des hommes nous avons massacré des peuples, et nous en massacrerons d'autre dans l'avenir que vous me contez..*» s'effondra Albin, en tapant du poing sur l'accoudoir de son fauteuil.
«* Monseigneur, je comprend ce que vous ressentez. Cependant je ne partage pas votre avis. L'Homme a certes une folie qui le pousse à toujours vouloir plus , à toujours vouloir conquérir le territoire d'autrui, à toujours vouloir posséder ce qu'il n'a pas. L'Homme a un nombre incalculable de vices, l'Homme est un animal comme les autres Monseigneur à la seule différence que vous avons l'impression d'être plus évolué que d'autres animaux.
Permettez moi de vous faire remarquer que même si l'Homme a un côté profondément mauvais, je suis persuadé qu'en chaque être humain il y a une part de bonté. Un coté sombre et un coté clair voyez vous? Comme le jour et la nuit se marient si bien.. Il en est de même pour l'âme de l'être humain.*» philosophait Cassandre. Elle s'arrêta soudainement de parler. Albin la fixait comme si elle était la Vierge Marie en personne. Il détourna la tête, se leva de son fauteuil et alla se servir un autre verre de vin.
«* Ainsi vous pensez que l'être humain a un bon côté? Et que me répondez vous à tout ce que vous venez de me raconter ma chére.. Pensez vous toujours que l'être humain est bon lorsqu'il peut créer deux guerres mondiales? A vrai dire, je n'en suis pas certain. Le seul but de l'être humain est de faire la guerre. Conquérir, voilà ce qui donne du courage aux hommes. Se battre voilà qui est la base du patriotisme chez nos soldats. Pas un ne voudrait changer leur places contre une place de paysans par exemple. Ses hommes sont assoiffés de sang.. Il haïssent leur ennemis et n'ont qu'un seul but : les tuer.*» enragea Albin.
Un silence s'abbattit en plein milieu du débat. Cassandre sentit venir un vertige. Le revoilà.. Le néant. Il était devant elle, une espèce de lumiére blanche s'avança vers elle. Bizzarement elle n'avait pas peur. Elle avançait pas à pas vers cette lumiére blanche. Le néant pris son esprit. Elle perdit instantanément connaissance.

«*Casssandre!*» s'écria Albin en courant vers elle. Il fut trop tard. Le néant fut désigné vainqueur de ce round final.




Biiiiiiiiiiiiiiiiiiiiip*.

Des murs blancs, des draps blancs, des personnes habillées de blancs.

«* Docteur! Regardez, là voilà qui ouvre les yeux*» s'écria une infirmiére.
C’était un matin comme les autres. Le vent, léger et doux me permettait de naviguer sans bruit.
C’était un matin brumeux. Je ne pouvais voir à plus de deux cents pieds.
C’était un matin comme les autres. C’était du moins ce que je croyais.


Lorsque j’y repense, mon ancienne vie n’est pas si loin. Enfin, ce n’est que l’impression que j’ai désormais. Voilà deux ans, deux longues années, que je suis à la tête d’une flotte. De l’Escadre Française …
Et pourtant, je n’ai jamais eu de connaissances dans le domaine de la guerre maritime. Ce n’est que grâce à mon anoblissement que j’ai pu atteindre cette fonction. Et au final, je me suis toujours demandé si cela avait une bonne chose.
Mais désormais, je ne regrette rien. J’ai pu détruire, massacrer, occire, décapiter et supprimer des flottes anglaises. À chaque fois, plus importantes. À chaque fois, plus grandes.
Mais aujourd’hui, tout va changer. Ma vie, ma philosophie, mes envies … mon âme elle-même va se corrompre, s’altérer, se modifier, se détériorer et se dégrader. Maquillée et contrefaite, elle vivra en moi. Je ne serais plus que l’image viciée et dépravée de ce que j’étais autrefois. Je ne serais simplement plus moi, mais quelqu’un d’autre. Un lui dénaturé et déformé, pourri et avarié. Flétri au plus haut point. Mais tout cela, signera la fin de cette journée.


23 Septembre, de l’an 1338. Je suis à la tête de la plus grosse flotte de guerre française de ces dernières années. La brume cache nos navires à l’approche de la côte des Pays-Bas. Le peu de vent nous permet d’avancer, sans craindre que des oreilles tendues puissent entendre le claquement d’une voile.
La plus grosse flotte française des dernières années. Plus de quatre-vingt-dix navires. Des navires armés au-delà de l’imaginable. Au-delà du possible. Quarante-huit galères de combat, fortifiées, cuirassées, blindées. Bardées et hérissées d’armes, mais aussi d’artillerie. Artillerie, que nous avons mis longtemps à maitriser lors de nos combats navals. Et deux magnifiques caraques de guerre. Elles-mêmes ouvrages de défense et d’attaque. À la vue de ces navires, tout homme voudrait s’enfuir, lâchement, sans honneur.
Mes hommes, mes guerriers, mes soldats et mes marins se sont entraînés de longues journées et de longues nuits durant. Pour me faire honneur, et pour prouver leur loyauté envers la couronne française. Ils ont maintes fois versé leurs sangs lors de batailles. Ils ont maintes fois prouvé leurs valeurs ! Prouver leurs loyautés ! Prouver tout ce qu’un homme digne de confiance est capable de prouver. Si je l’ordonnais, ils donneraient leurs vies pour leur roi, et cela sans même hésiter, discuter ou tergiverser.
Mes hommes, mes guerriers et mes soldats. Des hommes, et bien plus que cela.


La brume se lève. Pour la première fois, je vois mon objectif clairement. Cinq magnifiques et immenses Nefs anglaises, traîtres à notre couronne, à notre nation. À notre empire. Mon cœur bat la chamade. J’entends l’affolement qui s’empare des marins ennemis. Je peux le comprendre. À la vue d’une telle flotte, je prendrais également mes jambes à mon cou. L’adrénaline se déverse en moi, altérant le temps. Augmentant mes capacités à réagir promptement. J’entends mes soldats hurler leurs envies, leurs désirs et leurs soifs de bataille. Je les jalouse et convoite également la folie des marins anglais, de se frotter, qu’ils osent, à mon navire. Je le veux par-dessus tout.
J’entends les capitaines commander à leurs marins de hisser les dernières voiles, de façon à prendre l’élan, la vitesse, la vélocité et la célérité nécessaires pour porter un coup à l’intérieur du port d’Arnemuiden. J’ai hâte. Hâte de sentir l’échine des navires se briser sous les coques de mes navires. D’entendre les hurlements de peur et fureur. De crainte et de détresse. D’épouvante et démence.


Perdus dans mes pensées, l’adrénaline courbant l’appréhension du temps, mes navires percutent la petite flotte anglaise, balançant par-dessus bord de nombreux marins et soldats ennemis. J’entends les hurlements des futurs noyés. Je souris, pensant à leurs détresses, souhaitant une mort lente et douloureuse à ces derniers.
Ma flotte continue d’avancer, inexorablement, fatalement et inévitablement vers son but. Son objectif, sa cible. Mes combattants sautent de navire en navire, massacrant de nombreux adversaires, capturant de nombreux marins.
Je me joins à cette folie meurtrière avançant à côté de mes caporaux et de mes sergents. Mon arme massacre, extermine, découpe, assassine, fauche, égorge, étripe, écrase et saigne ceux qui ont la démence et la débilité de se dresser devant moi. Je nage en plein délire meurtrier. Divagation de mon esprit sur les champs de bataille. Et c’est là, à ce moment précis que je l’aperçois. Le commandant de cette force navale. Je me focalise sur ce nouvel ennemi. Je me focalise sur le son de sa voix. J’entends comme un soupçon d’anxiété et d’épouvante. Une once de frousse. Un commandant, et un fier guerrier m’avait-on dit. Mais devant ne se tiens qu’un homme, gisant dans une mare de pisse, tremblotant face à mes armées. Toujours avec un esprit divaguant mon épée s’abat, lui détachant allégrement la tête du corps.
Elle chute, inlassablement vers le pont. Le sang gicle par saccade de son coup béant, ouvert sur son âme. Le sang, chaud et au goût ferreux me couvre de la tête aux pieds.


Je distingue les vivats et les acclamations de mes fiers combattants. L’armée anglaise n’aura que peu résisté. La tête en est tombée. Du coup, le corps ne réagit plus.
Les marins et les combattants ennemis déposent les armes, se mettent à genoux. Mon regard dédaigneux circule de navire en navire. Voyant et comptant des centaines de prisonniers. L’ovation que me porte mon armée réveille en moi une chose que je ne connaissais pas encore ce matin. J’aime le goût du sang. J’aime massacrer les rangs ennemis.


Perversité, malice et dépravation naissent en moi. Égarant mon esprit au-delà des barrières de la conscience. Je ne suis plus moi-même. Je ne suis plus que l’image dépravée de ce que j’étais.
Je regarde autour de moi. Des centaines de prisonniers … Des litres et des litres de sang chaud. Mon vice me demande un tribut. Les Anglais vont connaître le Boucher d’Arnemuiden.
C’est ainsi que j’ordonne le massacre de tous les prisonniers ! Qu’aucun d’eux ne vivent ! Ils n’en sont pas dignes ! La vie se mérite au fil de son épée. Et ceux-là n’en ont plus.


La mer devient rouge, rouge de sang. Et moi, je souris gloussant d’un rire sans fin. C’est ainsi que se termine ma journée. C’est ainsi que j’ai changé.
Bonjour à tous, bonjour à tous ! Je suis la voix off de ce récit. C’est moi qui suis chargé de faire les différentes transitions et de veiller à ce que tout ça ne tombe pas du mauvais côté. Eh oui, parce que ça arrive, figurez-vous ! Et la plupart du temps, on s’attire les foudres des puristes, ce qui fait baisser notre réputation. Pas notre salaire, par c...
Hem, hem, hem ! Bien, je ne vais pas vous retenir plus longtemps. Passons dès à présent aux choses sérieuses !

Suprématie de la Haine

Prélude​


Je hais les Anglois.
Je les exècre.
Puis, la fureur dans le sang, je les tue.
Les extermine.
Leur arrache le coeur.
Viens chercher leur âme dans les profondeurs de l’Enfer, là où toute bénédiction est rejetée.
Avec leurs restes, les pends.
Élimine toute trace de vie pour ces chiens, de quelque manière que ce fût.
Je ne dis pas ces paroles en l’air. Car moi, au contraire de certains qui n’ont jamais vu la couleur de la guerre, j’ai participé à bien des batailles. Des carnages, si l’on veut donner leur synonyme. Des morts, j’en ai vu. Il y a ceux qui sont morts en héros, en défendant leur patrie ; d’autres qui ont été tués alors qu’ils faisaient preuve de lâcheté ; et le reste...on ne les connaissait pas.
Je suis Ebbon, le vétéran. Cavalier et officier des troupes françoises, peu de gens ont mieux guerroyé que moi. J’ai trente-sept ans, et je sais que mes journées sont comptées par ce parasite, la vieillesse. La chevelure grise, les traits ridés, les cernes noires sous les yeux, le dos souffrant d’arthrite, je ne suis plus aussi beau qu’avant. Mes mouvements deviennent économiques, la fatigue me frappe quand le repos n’est pas suffisant. Je ne compte plus les morts que j’ai faites, non pas parce que j’en ai causé des dizaines et des dizaines - ce qui, dans un fond, est assez vrai - mais parce que ma mémoire des nombres chute.
Les peines quotidiennes me marquent l’âme, elles deviennent des démons qui troublent mon repos. Elles se balancent devant moi...et me narguent. J’ai été spectateur et victime de trop de crimes. Je ne peux arrêter cela...seulement l’aggraver par la douleur que je répands. Mais j’y reste insensible, car rien ne m’arrêtera jusqu’à ce que j’aie calmé cette vengeance qui m’insuffle la force à chaque combat. Vengeance qui semble impossible à atteindre, qui me ceinture le cou en m’étranglant alors que je m’épuise à escalader une falaise. Et pour cela, je méprise les responsables. Ils hurleront tous lorsque je les tiendrai, lorsqu’ils sauront la sottise qu’ils ont commise. Les cieux peuvent s’incliner devant la détermination qui anime un être humain, inférieur à la puissance de la guerre. Ils peuvent tous se cacher en attendant le sort final, le terme de ces tristes événements.
Je suis Ebbon...Ebbon.
Et vous allez voir MA FUREUR !



Et voici maintenant le récit de cette palpitante aventure !
Soulevez le rideau !


Un épéiste vint couper mes pensées en soulevant un monceau de toile de ma tente. Je ne me pris même pas la peine de le dévisager.
- Voici l’heure, m’annonça-t-il.
L’heure. Cela ne vous signifie rien, cher lecteur ? Tant pis. Je ne me prendrai même pas la peine de vous l’expliquer ; en fait, je perds déjà mon temps à écrire ces quelques lignes. Peut-être ne seront-elles jamais lues et perdues dans les confins de l’oubli.
J’avançai vers l’extérieur tandis que le soldat partait. Dehors, le soleil brillait de ses mille éclats, dans un ciel d’un bleu rassurant. Un temps agréable. Mais pour un duel de cette sorte...gênant. On me regardait, me scrutait, comme si j’étais le pantin de la foule aux exigeances sans limites. Mais moi, indifférent, je continuais à aller vers l’extérieur du campement bondé. Ils ne devaient pas me distraire.
Je suis Ebbon, le vétéran. Et je ne plie devant personne, sauf mes mentors : la peur, la fatigue et la mort.
Nous sommes en l’an de grâce MCCXCVI. La guerre fait rage, les Anglois nous pourrissent la vie avec leurs invasions. Ces cochons sans pattes voient à peine plus loin que leurs bottes, et pourtant ils sont en train de ravager la France de leurs javelots retors et leurs carreaux traîtres. Des multitudes de disettes menaçent de frapper le pays. Des meurtres risquent d’être commis, des incendies de se propager, des réfugiés de s’installer. La solution à toutes ces catastrophes ? Surprendre les envahisseurs grâce à un plan sans faille.
Or, le plan a échoué. Le général Gondebaud est mort. Je le connaissais bien. Il avait tendance à céder à la rage, mais était un bon tacticien. Il savait remonter le moral de ses hommes. C’était sur lui que pas mal de choses reposaient...jusqu’à ce que la rage tue le tacticien. Il avait eu l’idée de faire croire à une embuscade avec une centaine de ses hommes. Pendant ce temps, lui devrait les prendre de l’autre côté, et semer la discorde sur le champ de bataille. Opération réussie. Mais le général ennemi avait flairé le piège...et il avait ordonné à ses hommes de cesser de combattre la centaine d’hommes censés créer le piège. Frustré par cet échec, il s’était mis à maudire les racines de son adversaire, et avait foncé en avant, seul. Quelques secondes plus tard, il luttait contre la souffrance, une flèche dans la jugulaire.
Ç’avait été le chaos. Les François, sans général, s’étaient éparpillés dans tous les sens, se dispersant en essayant de prendre la fuite. Les Anglois avaient profité de cet avantage pour nous donner la chasse, nous cernant de tous côtés pour mieux nous tuer. Quand je vous disais qu’ils étaient fourbes. Moi, je n’étais qu’un petit officier presque sans importance, personne ne pouvait me faire confiance. Mais dans la panique omniprésente, les survivants, environ un millier sur quatorze mille au départ, s’étaient tous ralliés à mon cheval, et nous nous enfuyâmes vers une destination inconnue. Notre seul but : vivre une journée de plus, voire plusieurs si l’on arrivait à les semer.
Résultat des courses : les Anglois avaient réussi à nous rattraper en moins d’une journée. S’étaient ensuivies des négociations. Un diplomate, accompagné d’un interprète, était venu nous demander de nous rendre. En échange, nous aurions la vie sauve, et la possibilité de nous replier pendant une durée de cinq jours. La promesse, bien qu’alléchante pour celui à qui il ne reste plus beaucoup de temps sur cette terre, ne m’avait pas rendu dupe.
- Vos intentions sont-elles honorables ? lui avais-je demandé.
- Oui, avait dit l’interprète après avoir traduit la question précédente et écouté la réponse du diplomate, elles le sont.
En rigolant, je lui avais par la suite rétorqué :
- Eh bien, vous pourrez toujours les proposer au Diable, le dos rouge de coups de fouet ! Je vous crache dessus, vous, votre famille, votre roi et votre nation ! Puisse votre âme connaître des jours hantés par la douleur, la souffrance de savoir que vous avez échoué ! Je vous noie dans un sac avec votre langue, et je vous expédie dans ce qui s’appelle la décrépitude de la victoire !...Vous êtes tellement poltrons que vous osez nous demander de coopérer ! Moi, je vous jure que je ne mourrai pas en lâche comme vos ignobles corps à la cervelle liquéfiée, et si je meurs, je reviendrai du royaume des défunts pour venir vomir sur les bottes de votre damné roi toutes les peines que nous vous avez infligées ! ALLEZ TOUS EN ENFER !!!
Peu de temps après, suite à cette entrevue tendue, un chevalier au nombre de coutelas, dagues, épées, haches et lances quasi illimité, vint me voir. Bizarrement, il avait le visage voilé par un masque de cuir noir, comme s’il tenait à ce qu’on ne le remarque pas.
- Mon seigneur, le général Stilleman, m’a dit de vous défier en duel, avait-il déclaré dans un accent anglais déplorable. Aussi, je viens, et je vous injure que, tant que vous serez vivant, je ne me permettrai pas de m’allonger dans la tombe ! Alors, que dites-vous de cela, espèce de minable François ? Je vous ai insulté, vous êtes obligé de me défier à l’escrime !
Ses deux yeux d’un bleu scintillant ne laissaient percevoir aucune émotion.
- Votre prétendu général est tellement dégonflé qu’il ne se prend même pas la peine de se bouger pour le demander à votre place ? Des asticots doivent sortir de sa bouche pour qu’il ne le fîsse pas. Néanmoins, j’accepte votre défi. Le duel aura lieu demain midi, sur chevaux. Avec lance, épée et pavois. Si l’un gagne, il aura le droit de s’emparer de ces terres, de la Bretagne à la Normandie.
- Quand vous échouerez, les survivants seront tous morts, avait-il ajouté en s’éloignant.
Et maintenant, voilà que j’étais en train de marcher vers le lieu du combat, après une nuit blanche faite de réflexion. Impossible de dormir en sachant qu’il s’agirait peut-être de son dernier sommeil avant la mort. Je m’étais ainsi promené dans tout le camp improvisé, où des hommes se voyaient obligés de partager la même tente parce qu’ils avaient perdu leurs affaires lors de la panique générale, deux jours avant. J’avais vérifié soigneusement le stock d’armes en prévision pour le moment sanglant, au cas où mes propres armes seraient sabotées. Là-dessus, aucun problème. J’avais aussi pris garde aux deux chevaux, à l’extérieur du camp. Les bêtes étaient bien nourries, du fourrage leur avait été récemment donné. Mais malgré cela, je n’étais toujours pas rassuré. Ces Anglois, tels que je les connaissais, étaient prêts à tout pour saper les forces ennemies. Je veillais donc durant des heures entières interminables, jusqu’au lever du soleil.
Je m’approchais de plus en plus du lieu où se déroulerait le duel, entre l’armée du général Stilleman, constituée d’environ vingt mille hommes aguerris, et mon campement d’un nombre ridicule de mille soldats inexpérimentés. J’étais la bête qui allait combattre son chasseur. Le gladiateur, dans l’amphithéâtre, allant tuer ce qui aurait pu être un ami pour le seul plaisir de la foule. L’été battait son plein, et l’herbe, fleurie et sèche au sol, ne demandait qu’un peu d’humidité pour mieux pouvoir se développer. Un temps à paresser dehors à l’ombre de tout souci, quoi. Ce qui n’était absolument pas le cas pour moi. Mais je sais tuer, particulièrement de manière rusée en usant de surprise et de distraction. Car quel est le point faible de la plupart des êtres humains ? La déconcentration, due à un élément perturbateur, déclenchant à coup sûr l’avant-mort.
Je suis Ebbon, le vétéran. Et que Jésus soit maudit si je ne vois pas la victoire de la France voir le jour. Que tous ces illuminés qui croient en la paix éternelle soient crucifiés sur un bûcher, la corde autour de leur belle gorge.
Sans m’en rendre compte, j’étais à présent arrivé à destination. Les hommes de Stilleman avaient délimité, sous ses ordres, le terrain qui nous était consacré, à moi et à mon adversaire. Des planches de bois rudimentaires, deux de hauteur et dix de longueur, avaient été placées à l’horizontale afin que tout le monde puisse voir le spectacle. Un monde fou était rassemblé tout autour, des Anglois se mélangeant aux François. Ils étaient tous en équipement militaire, n’ayant absolument aucune confiance à leurs voisins. Afin de me protéger du soleil au zénith, je plaçai mes mains au-dessus de mes yeux, et entrai sur le terrain, soudain peu confiant. Les deux montures étaient chacune placéees à égale distance, tout au bout de l’espace de combat. Mon adversaire, lui, se tenait déjà prêt, sur la selle de son cheval de couleur noire. Je remarquai qu’il portait toujours son masque, ce qui m’horripila.
- Alors, comment se porte notre fier Frenchie ? ironisa-t-il en me voyant. A-t-il été prier pour garder sa vie, avant de se faire laminer comme une fillette de sept ans ?
Des provocations. Allons bon, il croit me déstabiliser, comme ça. Croit-il qu’un vieillard comme moi soit aussi naïf, après avoir enduré cent campagnes ?
Il paraissait attendre ma réaction avec impatience, s’imaginant qu’il allait se produire quelque chose qui lui permettrait de m’avoir en quelques fractions de seconde. Idiot.
Décidément, je hais les Anglois.
Mon hongre bai, lui, attendait, l’air impassible. Il agitait la tête nerveusement. Il savait ce qui l’attendait. Et dans la plupart des duels, c’était la monture du perdant qui mourait en premier. Enfin bon. Je n’allais pas me soucier de cette bête juste bonne à galoper vers sa perte. Je ne la connaissais même pas. Mon cheval avait été tué dans la bataille, deux jours avant.
D’un seul mouvement, je montai, déplaçant ma montagne de muscles usés brusquement. Je pris les rênes et les enroulai autour de ma main gauche d’une façon experte. Les rayons du soleil me percèrent de nouveau les yeux, et je me retins de grommeller. Pas bon pour se battre, ça. Cela pouvait fausser tous les réflexes, et me tromper sur les intentions de mon adversaire. Mais lui était dans la même situation que moi.
Une forme indéterminée vint vers moi et me tendit tout d’abord ma lance. Elle était longue, et lourde. La première arme pour faire tomber l’ennemi en le blessant légèrement. La deuxième, pour l’affront à mort, me fut donné : l’épée, symbole suprême du sang qui coule peu à peu au nombre des blessures engendrées. Et pour me défendre, le pavois, ce grand et épais bouclier, que l’on me donna en dernier. Je me retrouvai avec toute cette cargaison, et mon dos protesta de douleur. Un vieux qui se retrouve étouffé par ses armes ! Cela me fit rire jaune. J’étais bien obligé de laisser les rênes sur le garrot, ce qui ne me garantissait pas un bon équilibre. Lance dans la main droite, pavois dans la gauche. Et pour ce qui était de l’épée, je la rangeai dans mon fourreau.
La foule criait d’excitation, attendant impatiemment l’action. Je pouvais même entendre quelques injures angloises, qui, même si leur sens m’échappait complètement, ressemblaient fort bien à des insultes. Pour peu, on m’aurait envoyé des légumes pour me donner une réaction systématique.
- Quand tu veux, fillette ! s’exclama mon adversaire, les yeux bleus se fixant durement sur moi.
Je vérifiai mon plastron, au cas où il ne serait pas bien ajusté. Les jambières en métal, aussi. Si elles m’échappaient, tout se fracasserait, et mes chances de survie seraient divisées par deux. Néanmoins, je ne portais pas de heaume, soucieux de bien voir. Contrairement à l’imbécile d’Anglois qui se tenait prêt à charger sans prévenir, dont la visibilité devait être fortement réduite, avec son masque qui devait lui coller la peau sous une chaleur pareille. De son visage, je ne pouvais scruter que son épaisseur de cheveux châtains raides et courts.
- Alors, on a peur ? Je croyais pourtant que tu avais assez de courage pour donner un coup de talons ! À moins que...tu n’en aies pas l’expérience ?
Comme seule réponse, j’ordonnai à mon hongre d’aller au triple galot. La sensation de vitesse fut instantanée, et j’aperçus l’Anglois faire de même. Le terrain était grand, il me restait encore des dizaines de mètres à parcourir avant d’atteindre ce chien. Je préparai ma lance, la tendant droit devant moi. Le vent provoqué par la vitesse me sifflait à l’oreille, me susurrait d’aller moins rapidement pour la laisser tranquille. J’entendais ma bête râler en essayant de conserver son souffle désespérément. Mais hors de question de ralentir. Mes yeux, fatigués par la vieillesse, tentaient de voir l’avancée de l’ennemi. Il allait plus vite que moi. Ce qui ferait que s’il me portait un coup, la vitesse accumulée provoquerait un choc beaucoup plus lourd, peut-être même la mort instantanée si je n’avais pas de chance.
- Va épousailler une sangsue ! crus-je entendre dans tout ce flou.
Mais l’insulte, plutôt que de me rendre furieux, me fit sourire.
Et soudain, ce fut le choc.
D’un seul coup, je fus percuté par quelque chose de pointu au flanc, qui me fit tomber comme une masse par terre.
Je m’écrasai sur l’herbe, et ma vue redevint normale. J’avais le corps trempé de sueur, et j’avais mal sur le côté. Je regardai la plaie. Heureusement, ça n’était pas entré profondément. Je relevai la tête. Mon cheval s’était cabré, et il attendait tel un pieu, pensant que j’allais revenir. Celui de l’Anglois trottait en laissant sortir de l’écume de sa bouche, et son cavalier agitait triomphalement sa lance, dont le bout était empreint de liquide rouge.
Ne me permettant même pas de reprendre mon souffle, je tirai ma lame d’un coup sec, son tranchant n’appelant que la mort par vagues de fausse détresse. Mon adversaire était toujours à cheval, et avançait vers moi, me menaçant de sa lance.
- Anglois ! lui criai-je. Espèce de poltron ! Si tu as le moindre courage, viens t’battre comme un homme, à pied ! Ton père devait être un rat, et ta mère une chèvre, hé, tête d’asperge ! Regarde ! Tu as tellement peur de tes origines que tu t’caches sous un masque !
L’insulte parut avoir effet sur lui, car ses yeux se mirent à se plisser de façon grotesque, et on pouvait voir, malgré le cuir noir, un mouvement évident de sourcils. C’est alors qu’il descendit brusquement, la haine sur le visage. Il tenait déjà son épée dans ses mains, qui devait peser minimum dix kilogrammes, ses autres outils de tuerie laissés nonchalamment par terre.
- Allez, viens, gros tas ! poursuivis-je.
- Tu crois si bien dire, mais tu es encore moins intelligent qu’une fourmi, et moins courageux qu’un lapin !
- Jolie comparaison, ironisai-je.
Et nous nous tournâmes autour, chacun défiant l’autre de son bout d’acier pointu auquel dépend la vie. La foule ne parlait plus. Maintenant, régnait un silence de mort, en attendant le résultat. Un coup bien placé, et l’un tuait l’autre sans plus de cérémonie. C’était la triste loi du sang versé. Cela paraissait interminable, bien que cela ne dure que quelques secondes. Secondes d’intense concentration, de doute et de certitudes pourtant peu justifiées. Dans ce monde de calme pourtant terrifiant, on avait une autre vision du monde pour le moins déconcertante. La vie est-elle si importante que ça, finalement ? Ou n’est-ce que le chemin fictionnel qui permet de progresser vers le plus grand mystère jamais résolu, y-a-t-il quelque chose après le décès ? Des cloportes ne seraient-ils pas plus bénéfiques à la Terre que nous ?
Finalement, le calme se rompit.
Ce fut moi qui envoyai un coup de taille, ne manquant l’Anglois que de quelques centimètres.
L’action démarra d’un seul coup.
Mon adversaire envoya une série de coups d’une vitesse surnaturelle, que moi-même eus du mal à parer et à anticiper. Je pus à peine passer à l’attaque face à ce déluge meurtrier, en train de m’épuiser peu à peu. Le tintement des lames était le seul bruit que l’on pouvait entendre, mis à part les mouvements de recul et d’avancement que nous pouvions faire.
Sacrément bon, pour un homme provocateur.
Et moi, dans ma vie, je n’avais fait que deux duels, le premier avec un homme gros et peureux, le deuxième face à un homme robuste qui se servait trop de sa furie. Là, c’était différent. Bloquages, esquives, j’étais obligé de tout faire à la fois pour éviter de me faire avoir. Celui-là, il préférait fatiguer avant de porter le coup final...et ça, c’était la patte des grands escrimeurs.
Il fallait à tout prix que je fasse quelque chose pour éviter cette calamnité.
Alors, je plongeai par terre, roulant autour de moi-même vers mon ennemi du plus vite que je pouvais.
- Qu’est-ce que...? entendis-je.
Mais il eut à peine le temps de réagir, car un coup de pied d’une violence inouïe s’était fait ressentir dans son entrejambe.
Et, comme n’importe quel être humain, il abaissa sa lame, pouvant à peine supporter cet horrible flot de douleur qui était en train de le submerger. Ma chance, dont il fallait profiter.
Mon épée – qui n’était pas très lourde – se ficha dans son tibia gauche, détériorant l’os. Un cri, tant de douleur que de rage, m’assaillit les oreilles.
- Ta mort se fera dans l’irrespect et le déshonneur, me dit-il d’une petite voix aiguë.
Mais je m’en contrefichais royalement, parce que c’était lui qui allait mourir dans l’irrespect et le déshonneur. Déjà, il était à moitié perdu, ne pouvant ainsi plus se mouvoir correctement pour marcher. Je roulai de nouveau, mais cette fois-ci de sens inverse. Je me levai. Le souffreteux était à plusieurs mètres de moi, et ne pouvait donc pas me porter de coup. De toute façon, il ne pouvait plus trop en faire.
- Alors, qui est moins intelligent qu’une fourmi ? lui lançai-je.
Un éclair de colère apparut dans ses pupilles, et il tenta d’avancer vers moi, avec son unique jambe droite, l’autre pendouillant bêtement. Il poussa un râle semblable à celui d’une bête folle furieuse.
- Je t’aurai, me dit-il.
- Et si vous abandonniez, à la place ?
- Dans tes rêves !
Et il redoubla ses tentatives. Mais vu l’état dans lequel il était, il fut à peine capable d’avancer quelques mètres. Et s’il bougeait plus, sa jambe lui enverrait un nouveau message d’extrême douleur.
Soupirant, j’allai à sa rencontre en marchant, l’épée toutefois dressée. On ne savait jamais, il pouvait me donner un coup sans que je ne m’y attende. Il était salement amoché. Il méritait maintenant comme titre « estropié », et il ne pourrait sans doute plus courir à nouveau.
J’étais tout prêt de lui, à présent. Si bien que je pouvais voir la terreur qui était en train de posséder son âme.
- Ne me tue pas, me supplia-t-il.
Mais je restai sourd à ses paroles, et commençai à brandir mon épée.
- CHIEN ! cria-t-il soudainement, repris d’une soudaine vigueur.
Il tenta un coup d’estoc maladroit vers mon buste, mais il semblait avoir oublié que j’étais protégé par mon plastron. L’incompréhension trôna sur ses traits autour de ses yeux.
C’était un imbécile. Tous les Anglois sont des imbéciles. Pris d’un soudain excès de fureur, je le relevai alors qu’il demeurait sur le sol en attendant son sort. Ce fut si brusque que sa jambe gauche émit un craquement, le faisant gémir de nouveau.
- Allez, debout !
Il avait tellement mal qu’il n’eut même pas la force de parler. Je l’attirai à moi, le débarrassant de son arme inutile à présent. Sa tête reposait sur mon épaule, et je lui murmurai à l’oreille :
- Quand ton général te rejoindra, plus tard, tu lui diras que tu es mort parce que Son Excellentissime Fainéant Anglois Stilleman t’a envoyé au combat. D’ailleurs, tu lui annonceras d’attendre parce que je viendrai pour venir lui découper le gras du ventre. Tu es d’accord ?
Le champion anglois s’apprêtait à répondre quelque chose, mais quelque chose lui coupa son récit.
C’était le tranchant d’une lame, qui défit sa gorge...
Je ramassai la tête qui était tombée au sol dans un giclement de sang immédiat, la saisis et la montrai à la foule béate.
Pas de cris de joie, rien. On aurait cru un enterrement, après que le cadavre de la personne soit dans sa toute dernière résidence. Je crachai le sang qui avait en partie taché mon visage. Puis, je lançai le trophée rond à un général anglois plus que surpris assis sur le fauteuil d’une estrade improvisée, et quittai le terrain sans rien dire de plus.
- Prenez ça, et fichez-moi le camp dans votre pays au plus vite.
L’interprète traduisit mes paroles. Mes hommes m’accompagnèrent vers le campement. Aucune parole ne fut échangée jusque-là. Puis, une fois à l’abri, ce fut la grande ruée. Tout le monde hurlait, chantait, et même quelques-uns bondissaient partout pour mieux se défouler. On me criait aux oreilles « On a gagné ! On a récupéré la Normandie et la Bretagne ! » et on clamait des « EBBON ! EBBON ! » presque partout dans tout le camp.
- Laissez-moi me reposer, simplement, ordonnai-je.
Puis j’allai vers ma tente. À l’intérieur, se trouvaient des armes de guerre ainsi qu’un lit de fortune, constitué de branches coupées et de paille. Je m’assis sur le lit, et cette absence de mouvements me fit du bien. Au fond, je savais que je ne pouvais pas encore mourir. Tant que je n’aurais pas balayé la France de ces profanes, je ne saurais trouver le repos.
Un bruit de bottes se fit entendre, et je levai la tête. Un de mes soldats, à voir sa cuirasse.
- Laissez-moi vous enlever votre équipement, vous devez mourir de chaud.
C’était vrai. Ce combat m’avait grandement échauffé, et l’air, ne pouvant véhiculer à l’intérieur de mon armure, n’avait pas arrangé les choses. Je me laissai donc faire, et je sentis des mains défaire les sangles de mon plastron, enlever mes jambières. Je me sentis soudain bien mieux, en pourpoint et pantalon noirs. Je voyais la transpiration sur ma peau, à tel point que l’on aurait cru que je m’étais baigné dans un lac juste avant.
J’étais content. Nous avions récupéré les terres encore envahies il y avait quelques minutes et apparemment perdues.
J’étais inconnu de la nation. Et pourtant, je pensais qu’à mon retour à la capitale le roi me tendrait une fière chandelle. Une chandelle que j’avais acquise au fil des années qui passent.
- Vous avez soif ? me demanda le soldat.
À l’évocation du mot « soif », mon cerveau fit le lien avec l’eau. Une eau qui luit au soleil et qui ne demande qu’à être bue. La salive me venant à la bouche, j’opinai.
- De l’eau ou du vin ? le questionna-t-il de nouveau.
- De l’eau. Le vin ne désaltère pas assez.
Il s’exécuta, et pendant ce temps je rêvais à un accueil de triomphe, à des vivats sans fin. Le roi lui-même me mettrait au rang de général, et là où les Anglois me verraient passer, ils ne dormiraient pas de la nuit. Chaque fois qu’un Anglois entendrait le nom « Ebbon », son visage pâlirait. Chaque fois qu’un groupe d’épéistes anglois sauraient que je suis venu pour les tuer, ils s’entretueraient et fuiraient. Chaque fois que je sortirais mon épée, l’on tremblerait. Et dès que je ferais un mort de plus...certains auraient l’unique chance de s’évanouir, d’autres pas. Car je suis Ebbon, le vétéran, et que de mon vécu je sais m’adapter à toutes les situations envisageables.
Une coupelle apparut sous mon nez, que je saisis. Sans plus attendre, j’avalai son contenu, et je souris quand mon gosier fut enfin rafraichi. J’en bus une autre gorgée, et fis signe au guerrier de partir :
- Merci, vous pouvez vous en aller.
- Je ne pense pas, non.
Furieux de cette réponse, je dévisageai le curieux homme et m’apprêtai à lui demander de quel droit il osait me parler ainsi, quand je me raidis en voyant quelque chose de singulièrement frappant.
Un masque...un masque qui couvrait son visage, sauf ses deux yeux bleus perçants.
- Je suis Narsès, et je suis revenu du plus profond de l’Enfer, me dit-il d’une voix hostile. Je viens chercher ce qui me revient de droit.
- Ce qui vous revient de droit ? Mais vous êtes complètement fou ! Je vous ai dit d’attendre l’arrivée de votre roi !
Narsès parut indifférent et se contenta d’observer la toiture.
- Après des décennies, cela fait étrange de revoir le monde des vivants...
Puis il se réintéressa à moi.
- En tous les cas, tu vas mourir mon vieux. Dommage pour toi.
- La raclée d’il y a vingt minutes ne vous a donc pas suffi ?
Une dague jaillit alors d’un seul coup dans sa poignée, et instinctivement je mis ma main sur mon fourreau. Mais quelque chose me parut bizarre. Je regardai, et je constatai avec horreur une chose : ma lame n’était plus là, celui qui était devant moi me l’avait prise sans que je ne m’en rende compte !
J’eus beau essayer de me défendre en esquivant, je sentis quelque chose d’affreusement pointu dans ma poitrine, se frayant un chemin dans mon coeur.

Lorsque je m’éveillai, j’eus sans doute la plus grande surprise de mon existence.
Je me trouvais dans un royaume où le feu, l’eau et la glace, l’ombre et la lumière étaient réunis de façon inexpliquée. J’entendais des cris, des prières et des rugissements de joie, et pourtant j’étais seul. Seul tel une bougie dans les abysses du désespoir. En temps normal, et dans d’autres circonstances, j’aurais été terrorisé par tant de confusion, comme si je me retrouvais sur les murailles d’un siège, debout sur les merlons. Je me demandai un instant si je n’avais pas perdu la vue. Pourtant si, puisque je voyais des reflets jaunes, rouges et verts devant moi, dansant et se déplaçant. J’avais l’impression d’avoir été assommé et que ces résultats n’étaient que des conséquences.
Je marchai – ou plutôt, flottai, nageai ou volai, impossible à déterminer – et les couleurs paraissaient me suivre. Il m’aurait semblé qu’elles seraient restées derrière moi, et pourtant un peu plus loin elles étaient là. M’indiquaient-elles de me suivre ? Ou, comme je le disais tout à l’heure, était-ce une détérioration de ma vue ? Impossible de le savoir. Pourtant, je continuai à avancer, avec la désagréable impression d’avoir perdu le sens du toucher.
Les couleurs continuaient à me suivre de la même manière. On aurait cru voir les traits d’un tableau populaire. Sous mes pieds, je pouvais remarquer de la glace d’une épaisseur d’un mètre, créant un espace d’un blanc impeccable. Et pourtant, le feu et l’eau étaient bien présents, bien que je fusse incapable de dire ce qu’il en advenait. En fait, dans ce lieu désolé, j’étais incapable de dire quoi que ce soit d’autre.
- Oui, oui, j’arrive ! Laissez-moi au moins le temps de souffler un peu, d’accord ?
Cette parole tout à fait loufoque provenait d’une source inconnue, mais je pouvais distinguer son ton très mélodieux et innocent. Je pouvais entendre un souffle régulier. Je m’imaginais instantanément un athlète en action dans un entraînement d’endurance. Je lui obéissais donc en l’attendant.
Quand d’un seul coup une intense lumière m’envahit, si bien que je dus me couvrir les yeux de mes mains. J’attendis quelques secondes, et regardai enfin, pour avoir une deuxième grande surprise.
J’étais au milieu de nuages vaporeux, debout alors que j’aurais dû tomber d’à mon avis plusieurs milliers de mètres. Outre les nuages, le ciel était d’un rose et violet agréable, révélant l’aube ou le crépuscule. Je n’étais plus dans le noir, et les couleurs avaient disparu comme si elles n’avaient jamais existé. Ce n’était plus de la douce inquiétude que je ressentais, mais un très grand bonheur. Et, devant moi, devinez qui il y avait ?...
Un vieil homme chaleureux barbu, au sourire permanent et vêtu d’une toge qui changeait de couleur incessamment, virant du bleu au orange.
- Je t’ai débarrassé de ta non-faculté à voir dans la mort. Tu resteras ici pour l’éternité, parce qu’il n’existe pas de temps dans le trépas. Mais pour l’instant, avant de rendre le Jugement dernier, je te propose une petite devinette. Mon premier est de l’eau lancé en grande quantité. Mon second est dans les fruits. Et mon dernier résonne loin. Qui suis-je ?
Incapable de ressentir la moindre perte de moral, je réfléchis, sachant que tout ceci n’était qu’un jeu. Oui, un jeu. Un jeu d’échecs, où des pions défendent les rois, des cavaliers défendent les pions, des tours donnent l’alerte pour permettre aux fous, c’est à dire les gens de mon genre, de sauver la mise. Et, l’enjeu étant la survie, chaque camp se sert de coups de traître pour persécuter son adversaire. Et pour éviter que personne ne s’ennuie, les émotions interviennent, toutes très différentes.
- Jésus-Christ, dis-je alors.
La personne acquiesça.
- Eh oui, je suis bien Jésus. (Il rit.) Pas mal, non ? Rien ne vaut une bonne partie de rigolade pour bien commencer l’immortalité ! Mais je m’éloigne, il faut que je te dise où tu iras. Au Paradis, repos des âmes, ou en Enfer, terreur des damnés. Mais m’est avis que la première solution sera la bonne.
Il se mit alors à poser une main douce sur ma tête, et ferma les yeux un court moment, l’air profondément concentré. Puis, aussi vite que c’était venu, il la retira. À ma grande surprise, il avait l’air profondément déçu. Allais-je en Enfer ?
- Malheureusement, ce n’est pas encore l’heure pour toi. Ta vie n’est pas encore achevée ici, mon brave. (Il me saisit par la manche, et parla à toute vitesse.) Maintenant que tu es au courant, il me faut vite te parler avant qu’il ne soit trop tard. Écoute-moi. Ne laisse pas ta fureur envers les Anglois t’emporter. Il faut les respecter. Tu as un rôle à jouer dans ta patrie, et ils pourraient t’être très utiles à l’avenir. Tu comprends ?
- Oui, mais pourquoi...?
- Méfie-toi du masque, Ebbon. Il est couvert de cicatrices.
Et sans pouvoir parler davantage, je me sentis expédié et tiré vers le bas sans explication. Alors que je m’éloignais, j’entendais sa voix qui baissait de plus en plus.
- Salut à toi, fier François ! Tu reviendras ici pour ton salut ! Je te recontacterai !


Plus tard, après une chute démente, je retombai sur le sol d’un seul coup, gardant mes bras devant moi pour couvrir ma tête. Mais le choc fut presque inexistant. En fait, j’avais juste l’impression d’être tombé d’un petit mètre. J’étais presque déçu de ne pas être resté en haut. Il faisait bon vivre, là-bas. Surtout qu’à l’endroit où je me trouvais, à l’instant présent, rien n’était favorable à l’être humain.
Un paysage aride et extrêmement chaud, absent de toute végétation. La terre était noire comme du charbon, et le soleil n’existait pas. Pourtant, la lumière était présente, bien qu’assez faible. Le ciel était rouge, et, chose extrêmement étrange, des poteaux triangulaires hérissés de pics se dressaient avec arrogance sur le terrain. Ils étaient quasi transparents tant ils étaient blancs, des figures géométriques de toutes sortes et de toutes couleurs se reflétaient dedans. Ils projetaient même parfois des éclairs marron. Il devait y en avoir des centaines, tant ils se perdaient de vue dans le lointain.
Ce n’était pas possible. Ce n’était pas réel, je rêvais, tout simplement. Ou alors, peut-être étais-je assommé par ma chute ?
C’est alors qu’une voix me parvint, me murmurant de pénétrer dans l’un d’eux, que je serais récompensé par la gloire, l’honneur et tout le tralala. Je haussai les épaules. Qu’est-ce que je risquais ? La vie n’était qu’un jeu d’échecs, de toute façon. Alors je choisis celui qui était deux pas à gauche de moi, et le franchis sans appréhension.
Comme sensation, vraiment, il n’y avait pas plus bizarre ! J’avais été chatouillé et étreint par une douce inconnue pendant ce qu’il me semblait des siècles et des siècles, et pourtant une seconde plus tard j’étais de l’autre côté. C’était exactement le même environnement, sauf que les poteaux avaient disparu. Ce qui libérait de l’espace supplémentaire.
Insouciant, je commençai donc à cheminer tranquillement. Mais je m’aperçus qu’il y avait quelque chose d’anormal. Fronçant mes vieux sourcils blancs, je constatai avec étonnement que j’allais plus vite qu’à la normale sans pour autant faire le moindre effort nécessaire. J’allais à la vitesse d’un destrier en pleine course, et je ne savais trop pourquoi. Peut-être les mouvements étaient-ils plus favorisés que dans mon monde ?
Riant jaune de cette découverte, j’inspectai les lieux. Mis à part quelques bêtes squelettiques qui se faufilaient sans rien dire, il n’y avait personne ici. Et l’espace paraissait illimité. Cela commença à m’inquiéter, puis un noeud se forma dans ma gorge. Et comment ferais-je pour survivre, ici, sans eau, sans autre nourriture que le courage ? Je n’allais pas m’en sortir, ça c’était clair. Et aucune possibilité de faire chemin arrière, puisque j’avais remarqué que le panneau que j’avais emprunté avait disparu dès que j’étais arrivé ici.
Le désespoir m’envahit petit à petit, et je cessai de courir afin de préserver au maximum mon énergie vitale.
Des heures passèrent. Des heures où j’essayais vainement de trouver une solution à mes problèmes. Rien. J’étais perdu. Pourtant, j’avais envie de regagner le ciel pour que mon Jugement dernier soit accompli...mais la douleur avant ma mort inévitable, et surtout ma peur d’être souillé et d’aller en Enfer me traumatisaient.
Ma gorge se faisait sèche. Et je n’avais aucune outre, rien pour me désaltérer.
D’autres heures passèrent – enfin selon la durée je pense – si bien qu’une autre journée dut se lever. J’essayais pourtant de dormir, mais aucun moyen pour cela. Le sommeil devait aussi ne pas être incluse dans la charte de la survie, ici.
J’essayais de m’occuper à autre chose. Me rouler les pouces, par exemple. Ou essayer de creuser le plus profondément sous terre au seul moyen de mes mains, ce qui limitait mes possibilités.
Encore d’autres heures s’écoulèrent. J’avais tellement chaud que je retirai mon pourpoint et mes bottes. Mes yeux fourbus n’arrivaient toujours pas à se fermer, et j’étais pourtant si fatigué ! Je tentai toujours de trouver un moyen. Toujours rien, à part si j’avais quelque pouvoir shamanique inexploré.
Trois, cinq, dix, vingt. Je ne savais plus à quel période de la journée on se trouvait. Mais j’agonisais tellement que je ne me faisais pas cette peine. Ma gorge brûlait comme si j’avais avalé de l’huile tout récemment.
Je crois que finalement, ce n’est pas si fictionnel que ça, me dis-je alors que je marchais avec hyper rapidité.
Rageur, je donnai alors un coup de pied dans un caillou qui traînait par terre, qui fut presque lancé avec difficulté tant je me sentais faible.
- HÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ ! Doucement, doucement ! Veillez à respecter la loi de la postérité des roches, sinon cela n’a absolument plus aucun sens ! [...] Bon. Je vous pardonne, mais à une condition : que vous ne recommenciez plus. Ceci est fragile, messire, voyez-vous, et je ne tiens pas particulièrement à ce que vous tuiez tout ce en quoi j’ai toujours cru. Car, voyez-vous, et je ne sais pas si vous êtes au courant, la foy est toujours récompensée, de quelque manière que ce fût. Alors, quand vous vous déciderez à vous améliorer, (blablabla et patati et patata, broum, badam bam boum).
Ce moulin à parole provenait d’un prêtre qui avait fait son apparition sans qu’il n’y ait d’explication, sous mes yeux écarquillés. Habillé d’une robe noire, il était plutôt chétif, avait les yeux vifs et levait le doigt comme pour me faire la morale. Ses cheveux étaient en couronne sur son crâne mat.
- ...Donc, si vous avez bien entendu mes consignes, vous allez vous résigner à abandonner votre pèlerinage qui se résume plutôt à une malédiction, croire en la foy et...
Soudain il s’arrêta, me dévisageant sous tous les aspects, ses yeux verts me scrutant comme si j’étais une bête de somme.
- Mais...Mais ma parole, vous êtes Ebbon ! Celui que je recherche depuis une journée entière, suite à un ordre du ciel ! Vous devez être affamé et assoiffé.
- Un peu, oui, lui rétorquai-je. Mais pour quelle raison est-ce que vous me cherchiez ?
- Je ne sais pas, justement, me répondit-il en toute franchise. Mais voyez-vous, je suis le premier défenseur des roches de toute la France, et je trouve que pour un François de ce nom, franchement, vous me décevez. On ne lance pas un caillou comme ça, figurez-vous ! Je crois qu’une petite cure de croyance vous ferait le plus grand bien. Résumons donc tout ce que je vous conseille de faire...
- Et comment Diable est-ce que vous avez fait pour apparaître d’un seul coup, comme cela ? le coupai-je brutalement, énervé.
Le prêtre se courba en arrière et plaqua ses mains contre lui, l’air de souffrir.
- Ne prononcez plus ce nom, je vous prie ! Ah, décidément vous êtes un retors, vous ! (Il parut un instant perdu dans ses pensées.) Oui, oui, vous me demandiez comment j’avais fait pour apparaître d’un seul coup.
- Dépêchez-vous de me répondre, ça devient vraiment agaçant. Par quel moyen, comment et pourquoi ?
- Par quel moyen ? Eh bien, à l’aide des Triangles de Perfection. Comment ? En vous cherchant et en vous voyant faire du mal à ce pauvre caillou. Et, euh, pourquoi...
- Oui, pourquoi ? m’impatientai-je puisqu’il hésitait.
- Eh bien, parce que je fais partie des masques noirs profanateurs, autrement dit les Suppôts du Balcon.

***

Pendant ce temps, Stilleman, grand général des Anglois, fulminait.
Comment se faisait-il que son plus grand champion, véritable destructeur aux batailles, ait été vaincu ? Cela le dépassait. Il était invincible. Imbattable. Stilleman n’avait pas douté un seul instant de ses capacités. Et pourtant, en quelques minutes, sa fierté aussi solide que le béton avait été éradiquée. Disparue comme si elle n’avait jamais existé. Cet homme, Ebbon, devait être un sacré guerrier pour ainsi en venir à bout. Pas pour la rapidité – car avouons-le, il ne l’était pas – mais pour son expérience et sa défense irréprochables. Ce devait sûrement être grâce à sa longévité hors du commun. Des vieux qui devraient être loin sous terre pourtant toujours en train de combattre, c’était rare. Mais on pouvait facilement les éliminer, en connaissant bien leurs faiblesses. Pour cet autrefois inconnu, il avait remarqué un certain manque d’équilibre quand il devait plier les genoux et basculer en arrière, pieds accrochés au sol.
Il se souvenait du duel. Stilleman soutenait son champion à cent pour cent, convaincu qu’il parviendrait à gagner. Déjà, ce ridicule François, Ebbon, avait été éjecté de sa monture par un coup de lance frénétique. Complètement sonné, le général l’avait vu gésir comme un imbécile sur le sol, puis se relever à la façon d’un ivrogne. Et il avait provoqué, insulté le champion. Stilleman avait été persuadé qu’il ne faisait qu’accélérer sa perte. Or, le programme n’avait pas du tout été comme ça. En un temps qui avait semblé infime, il avait fait une de ses bottes secrètes, qui s’était déroulée en un quart, même un quart de quart de seconde, le blessant grièvement. Surprise ! Peu après, celui qui était le grand favori avait été défunt, et le général anglois avait eu droit à sa tête. Un visage d’horreur sur le futur. La braise qui incendie le coeur.
Après cet échec, il s’était résolu à retourner en Angleterre pour subir le courroux du Roy. En silence, il avait ordonné à ses hommes, le moral le plus bas, de se préparer à quitter les lieux dès le lendemain. Ç’avait vraiment été la journée du charognard moqueur, comme l’appelaient ses compagnons de guerre à l’âge où il n’était qu’un simple soldat, fervent guerrier de la nation.
Jusqu’à ce qu’un événement plus qu’inattendu se produise.
Alors qu’il résidait dans sa tente résigné, un homme lui était apparu. En fait, c’était plus précisément un esprit, car il était dépourvu de chair. Stilleman avait cru s’évanouir. Il ne l’avait aperçu qu’en se retournant. Son coeur avait failli lâcher. Il était difficile d’expliquer ce qu’il avait vu. C’était en quelque sorte un savant mélange d’un spectre et d’un cadavre pourri. Une aura noire l’entourait, mais au lieu de le rendre encore plus sombre, elle l’illuminait. Sa voix était horriblement grave.
- You are...the general Stilleman ?
- Yes, avait-il répondu d’une voix tremblante. But what do you make therefore in my tent, by which right, and especially how ? I can very well send you my bowmen, if you want. They wait outside, and will carry out the slightest order which I can give them.
- What I make here ? I come to claim that I should already have since a very long time ago. By what right ? What I just said to you. How ? In help of Triangles of Perfection. (Il avait regardé un moment d’un air absent le mobilier : un fauteuil en coton visiblement sculpté par un expert, un lit à baldaquin et un bureau avec un encrier, une plume et du parchemin, ainsi qu’une chaise pour être installé confortablement. On aurait cru qu’il y avait eu un vrai déménagement et qu’il avait fallu tout un char pour transporter tout ça.) You live in comfort, here. Too much, even. A little of blood on the cloth would prettify the decor a marvel.

Mais qu’est-ce que j’entends ??? Je m’absente à peine trois minutes, et voilà que c’est devenu du grand n’importe quoi ! Et à votre avis, comment vont-ils faire, les autres, pour comprendre ce qu’il se passe ??? Allez, arrangez-moi ça ! Il faut que ce soit en français !
...Bon, reprenons.

- Vous êtes...le général Stilleman ?
- Oui, avait-il répondu d’une voix tremblante. Auriez-vous un tailleur plus riche que le mien qui puisse me faire de meilleurs vêtements ? Ce serait très gentil de votre part. Tenez, si vous voulez vous asseoir, prenez mes belles fleurs sur le bureau. Elles sont moins splendides que le jardin d’Eden, mais elles sont plus ravissantes que la belle-soeur de mon cousin.
- Ah bon ? Très bien, je vais pouvoir en profiter pour les mettre dans ma bleue maison. Auriez-vous...

Mais nooooooooon !!! Les dialogues sont censés être sérieux, là...On n’est pas dans D&CO, ici ! Plus nazes comme doubleurs, franchement, y’a de la concurrence ; même pas capables de lire correctement leur texte !


- Vous êtes...le général Stilleman ?
- Oui, avait-il répondu d’une voix tremblante. Mais que faites-vous donc dans ma tente, par quel droit et surtout comment ? Je peux très bien vous envoyer mes archers, si vous voulez. Ils attendent dehors et réaliseront le plus petit ordre que je peux leur donner.
- Ce que je fais ici ? Je viens pour réclamer le dû que je devrais déjà avoir depuis il y a très longtemps. Par quel droit ? Ce que je vous ai juste dit. Comment ? À l’aide des Triangles de Perfection. (Il avait regardé un moment d’un air absent le mobilier : un fauteuil en coton visiblement sculpté par un expert, un lit à baldaquin et un bureau avec un encrier, une plume et du parchemin, ainsi qu’une chaise pour être installé confortablement. On aurait cru qu’il y avait eu un vrai déménagement et qu’il avait fallu tout un char pour transporter tout ça.) Vous vivez dans le confort, ici. Trop, même. Un peu de sang sur la toile embellirait à merveille le décor.
Le général avait senti une vague de terreur le submerger, et la chaleur avait enveloppé son corps pour évacuer ce sentiment. Il s’était senti comme perdu. Mais soudain, comme le vent apporte le frisson, une idée avait germé dans son esprit.
- Et quel est votre fameux « dû » ? avait-il demandé en dissimulant sa joie.
- Un corps à habiter, une nouvelle vie à ronger. Le fait de se sentir vivant de nouveau.
Stilleman avait eu grand-peine à ne pas montrer un sourire triomphant sur son visage carnassier droit et aux yeux marron perçants.
- Et si je vous offrais cette récompense, m’aideriez-vous à accomplir ma vengeance ?
- Bien sûr, à condition que cette entreprise ne requière pas plus d’une mort.
- Cela, je vous le garantis. Mais pour l’instant, occupons-nous du corps.
Le monstre avait disparu, mais le général avait pu toujours sentir sa présence menaçante à ses côtés tandis qu’il allait à l’extérieur et quittait progressivement le campement. Démoralisés, aucun homme ne lui avait demandé où il se rendait. Bientôt, ils étaient arrivés au lieu où s’était déroulé le duel. Il y avait toujours les barricades en place, et l’estrade était vide. Par terre, dans une mare de sang, le corps du champion Anglois sans tête reposait.
- Voilà, lui avait alors dit Stilleman. Vous devez sûrement savoir ce que vous...devez faire.
Le spectre-âme avait réapparu, et son aura noire s’était disloquée. Ses contours étaient devenus soudainement plus précis tandis qu’il tâtait le corps du champion. Quelques instants étaient passés, puis il avait arrêté et avait reproché au général :
- Il n’a plus de tête.
Le ton de ses propos laissaient entendre des pensées bien sombres.
- Normal, elle s’est détachée du reste du corps, avait répondu Stilleman en contenant son effroi croissant.
- Elle est ici ?
L’Anglois avait sorti de la poche de sa tunique verte un visage couvert d’un masque noir, des yeux bleus fixant le vide, du sang suintant encore de son cou. L’autre l’avait prise, et les mêmes changements s’étaient opérés en lui. Ensuite, il avait regardé le général en la gardant précieusement dans ses mains.
- Intéressant. Très intéressant.
- Alors, est-ce que vous pourrez vous la mettre ? J’y tiens particulièrement.
- Oh, mais ce sera avec un grand plaisir, avait-il dit dans un claquement de langue. Vous me rendez un fier service. Je m’en charge dès maintenant.
Ce qui s’était passé ensuite avait paru incroyable aux yeux du général. Il s’était mis dans une sorte de danse machinale, mais une danse hors de l’ordinaire. Il se mouvait non avec la grâce de la lumière, mais avec la séduction de la terreur. On eût dit une sorte de destruction de tout le vécu magnifique de l’environnement, de la naissance de la croûte terrestre à l’évolution de la toute dernière herbe. Ce spectacle avait duré des minutes entières, longues telles l’aube qui point après une nuit sans sommeil. Et, au bout de toute cette attente, le spectre-cadavre avait disparu. À la place, se trouvait un nouveau champion en un seul morceau, tout en armure et la transpiration visible sur sa peau. Son masque de cuir, d’un noir foncé, ne trahissait aucun sentiment.
- Ah...Cela fait du bien. Je vais maintenant pouvoir tuer cette personne au plus vite. Qui est-elle ?
- Vous le trouverez dans le camp des François, à quelques centaines de pieds d’ici (un pied = environ 30,50 centimètres). Il s’appelle Ebbon. Vous le trouverez facilement, c’est celui qui a des yeux gris clair et les cheveux et barbe blancs.
Et aussitôt à la vitesse de la lumière, il avait de nouveau disparu.
L’opération s’était très bien passée. Trop bien, même. Moins d’un quart d’heure après, on entendait des râles de rage et de stupéfaction au loin. Cette créature était puissante. En un clin d’oeil, elle avait assassiné ce minable François qui avait réussi à battre son meilleur guerrier. Stilleman s’était empressé de rassembler ses hommes étonnés voire surpris, et de les emmener dans ce qui était le dernier regroupement de la résistance Françoise. Tel un conquérant, le général, heaume au bras et main sur le pommeau de l’épée, avait été inspecter les lieux. Mais tout était vide, sauf le champion dont il n’arrivait jamais à retenir le nom qui restait debout à la manière d’un piquet, droit comme un i. Quand Stilleman s’était approché de lui, il l’avait regardé d’une façon si indifférente que son coeur s’était transformé en glace.
- Je vois que vous avez rempli correctement votre part du contrat, avait dit le général. Merci beaucoup pour votre aide. Mais...dites-moi, pourquoi n’y a-t-il personne ici ?
Le monstre avait regardé d’un air nonchalant tous les individus présents, des milliers. Cela n’avait eu l’air de ne lui faire aucun effet. L’atmosphère, empoisonnée, avait fait chavirer l’estomac des fiers Anglois, qui ne savaient toujours pas ce qui se passait.
- Je les ai envoyés voir mon maître. Ils ne doivent pas être tout à fait réjouis, là-bas. En fait, ils n’ont la capacité d’éprouver plus aucune émotion. Vous, vous ne savez pas ce que c’est. Mais croyez-moi, cela se produira...un jour où l’autre.
- Et où ? avait-il demandé, essayant d’ignorer ce sentiment de terreur continu.
- Cela ne vous regarde pas. Je ne suis pas en obligation de répondre à vos questions ; comme vous l’avez justement dit, j’ai rempli ma part du contrat. Pour l’instant, vous êtes tous prisonniers. Prisonniers, vous m’entendez ? des griffes de la mort. Mais pas de n’importe quelle mort : d’une mort éternelle et virtuelle, ne s’arrêtant qu’au pire stade, celui de l’oubli. Vous oublierez tout. Même que vous êtes humains. En quelques heures, vous essaierez de vous envoler, puis paniquerez. Et ce ne sera pas tout. Vous vous mettrez à vous manger vous-même, persuadés que votre chair est une malédiction. Vous n’aurez même plus l’humanité de pleurer, ni de gémir ou crier. Vous ne sentez pas la peur vous envahir ? Moi, je la perçois. Je la contrôle. Et ce, grâce à vous et à votre flagrante bêtise.
Stilleman se souvenait encore de ce moment avec horreur. Des cris de terreur pour ceux qui tenaient le plus à la vie, des cris de rage pour les impétueux, et des cris de pitié pour les plus lâches avaient retenti dans toute la vallée. C’était à ce moment précis qu’il avait compris sa terrible erreur. Au départ, il voulait sa revanche sur le vieillard qui avait contrecarré ses plans. Avec l’arrivée de cette créature, il s’était dit que faire mourir Ebbon dans le doute de ne pas savoir s’il avait véritablement tué son adversaire serait affreusement délicieux. Mais maintenant...il savait qu’il n’aurait pas dû recourir à ces extrêmes moyens à la légère.
Tous s’étaient volatilisés dans tout ce bruit de chaos. Tous, sauf lui et à sa proximité, son diplomate Stanley, le tout jeune mais aux capacités hors normes, qui avait convaincu bien des personnes. Celui qui avait pris le corps du champion les avait regardés tous deux, ses yeux les scrutant, paraissant inspecter leur âme. Le général n’avait pu s’empêcher de trembler un peu devant lui.
- Écoutez-moi, vous deux. Je vous sauve pour le moment de l’oubli. Mais vous êtes condamnés, comme les autres. Vous, Stilleman, vous savez des choses, je vous interrogerai. Vous, Stanley, vous m’apprendrez les différents langages de ce monde.
Le général confirmait intérieurement ce qu’il avait pensé : cette horreur lisait leur âme, elle connaissait leur nom.
Trois jours après, il était dans ce qui paraissait être le plus profond des abîmes, une terre d’un noir cendreux inhabité, sans soleil mais avec des quadrilatères de toutes formes surmontés de triangles équilatéraux qui projetaient avec leurs tracés rouges la lumière. Aucune plante n’était dans les règles de cet endroit maudit jusqu’à la moëlle. Il y allait souvent, quand le champion ressuscité le questionnait. Sinon, il passait le reste du temps dans sa tente. À chaque fois, il avait essayé de s’échapper ; mais bizarrement, une barrière invisible, un lien mental l’empêchait d’aller à l’extérieur pour monter sur un cheval, prendre un bateau et revenir dans le château du Roy pour lui expliquer la situation désespérée. Et il se fichait des conséquences. Au contraire, ç’aurait été un service que lui aurait rendu son souverain en le tuant.
Stanley avait été frappé d’un mystérieux cancer la veille au matin, qui l’avait tué. Stilleman, lui, s’efforçait de répondre aux nombreuses questions du spectre-cadavre, qui n’étaient parfois pas si simples que cela. Il lui arrivait qu’il soit obligé de répondre à « et après la mort, donc, qu’est-ce qu’il y a ? » dont il parvenait à s’esquiver d’une manière ou d’une autre. Il avait l’impression d’être surexploité, qu’il l’embêtait avec toutes ces énigmes simplement pour le rendre encore plus coi. C’était vraiment terrifiant, de ne rien savoir sur l’origine de cette peste ambulante.
Cela faisait trois jours. Il se demandait combien il lui restait de temps à vivre. Il cria d’un seul coup toute sa rage à travers cette terre dévastée. Si seulement il avait encore son épée...mais elle avait disparu, et il ne pouvait même pas avoir la joie de percer les poumons à son geôlier.
Il avait échoué. Et tout cela à cause de son laisser-aller.

Je suis Ebbon.
Le vétéran, le distributeur de souffrance.
Rien ne peut m’arrêter.
Pas même ces chiens d’Anglois, asservis par le désir de conquête.
Anglois qui se trouvaient devant moi, me menaçant de leurs bouts d’acier.
Ils m’entouraient. Ils étaient au total huit, sept et demi si l’on comptait celui qui avait un bras tranché et la clavicule touchée, gémissant par terre.
Le combat avait à peine commencé. Il était rude, l’action était à son comble.
Je brisai les côtes de l’un d’eux, qui s’effondra avec l’autre. Un autre Anglois au regard haineux me donna un coup d’estoc, que je parai tout en donnant un coup de pied à son camarade à ma gauche en plein visage. Puis ce fut un enchaînement de coups qu’ils me livrèrent, que je bloquai à grand-peine. Une lame traversa le dessus de mon bras. Je donnai une sévère réponse à l’aveuglette, et je sentis un corps tomber lui aussi.
Huit – trois = cinq.
Cinq qui mourraient dans les prochaines secondes à venir.
Les actions se succédèrent. Je laissai couler du sang de la poitrine de l’un d’eux, l’achevai au coeur alors qu’il regardait avec stupéfaction sa blessure, évitai une contre-attaque verticale de l’autre, détachai les jambes de celui qui était à mon extrême droite, m’acharnai sur lui en lui assenant des coups répétés avec le plat de mon épée. Immédiatement, je sautai sur les trois restants en poussant un cri de guerre, fis sortir mon arme à travers la nuque d’une autre malheureuse victime. De suite, j’exécutai un choc frontal lequel fit expédier les têtes de l’autre côté. Il ne restait plus rien, à part la force de la mort.
En moins d’une minute, je m’étais débarrassé de mes ennemis.
- Impressionnant, commenta Ridéric, le prêtre. Vous êtes doué.
Je regardai les morts qui jonchaient le sol noir, du sang imbibant leurs vêtements et coulant par terre.
- Je ne suis pas doué. Ce sont juste eux qui étaient inexpérimentés. Regardez, ils ne portaient même pas d’armure.
- C’est normal, c’étaient juste des reproductions irréelles de guerriers.
Au même moment, les Anglois disparurent ainsi que toute trace de ce qu’il s’était passé, c’est-à-dire leurs corps, leurs membres déchirés et le liquide rouge foncé qui en était sorti.
- Et si c’étaient des reproductions, comment se fait-il qu’ils n’aient pas de protection ? Je ne comprends pas.
- Les Suppôts du Balcon n’ont pas encore assez de connaissances sur la guerre humaine, dit le prêtre en enlevant son capuchon, dévoilant son nez en bec d’aigle proéminent. Ils sont en train de découvrir les coutumes et habitudes de notre civilisation.
Je le regardai, me demandant s’il serait bon de le questionner un peu plus à ce sujet.
Depuis ma rencontre avec cet énergumène, j’avais pu, à l’intermédiaire des Triangles de Perfection – ces poteaux des plus étranges –, retourner dans mon monde, qui même s’il est dur, se révèle plus correct que la terre noire sans végétation. Boire et manger m’avaient été disponibles, et j’avais pu profiter de cet espace si naturel, si beau, mais si ignoré, tandis que nous faisions nos provisions. Quand un chef de guerre décide de s’emparer de telle ou telle terre, il ne pense pas au sol qui la recouvre, mais à sa valeur nutritive et à l’exploitation qu’il peut en faire.
Ensuite, j’avais tenté de poser des questions à Ridéric à propos de son appartenance aux Suppôts du Balcon. Il avait refusé sèchement de me le révéler. N’osant pas en demander davantage, nous étions retournés dans ce monde infertile. Je me souvenais de cette impression d’être attiré par une main, exactement ce qui m’était arrivé lorsque j’avais quitté Jésus et son Jugement dernier. En silence, le prêtre m’avait fait signe de le suivre, et nous étions arrivés dans un Triangle de Perfection ma foi peu différent des autres. Le sol était toujours le même. Le seul changement était que trois cercles concentriques tournoyant dans le ciel noir éclairaient le tout. Nous avions avancé, moi dépendant de sa route. Et, plus loin, se trouvait une lumière verte, rouge et orange qui scintillait. Encore plus loin, j’avais vu une cathédrale immense qui ressemblait plus à une de ces mosquées d’Orient tant elle était arrondie. Autre détail qui m’avait frappé : ses contours étaient noirs, comme si un doux manteau recouvrait le bâtiment. Et, en nous approchant un peu plus, j’avais remarqué que la lumière provenait d’un immense clocher qui tanguait de façon anormale.
- Ce n’est pas normal, tout ça !
- Pas autant que l’outrage que l’on porte aux roches, avait objecté Rodéric.
- Ah, je crois qu’on est en train de faire du mal à un caillou sensible !
- Où ça ? Où ça ? avait-il répété nerveusement en regardant dans toutes les directions, ne se préoccupant plus de la cathédrale.
- Ben, dans votre tête. Elle est petite et il faut bien chercher, mais on arrive quand même à la trouver entre deux nerfs, à force, avais-je répondu tout en avançant vers le clocher.
Le clocher paraissait avoir un système automatique. Je me demandais comment cette lumière pouvait marcher, sans qu’on ne s’en occupe. Je n’avais jamais vu ça. On aurait dit un bateau sur l’océan qui basculait tantôt d’un côté tantôt de l’autre, sans jamais s’arrêter mais en marchant toujours aussi correctement. Je ne saurai dire ce que j’avais éprouvé à ce moment-là. Je m’émerveillai de l’horreur, voilà tout.
- Je me demande bien qui a fabriqué ce truc, m’étais-je interrogé à haute voix. Pas un apprenti-architecte, en tout cas.
Le prêtre, sa couronne de cheveux visible, tâtait sa croix en bois en marmonnant des paroles indistinctes. Ses petits yeux noirs irradiant de folie fixaient le ciel d’un air rêveur. Je m’étais demandé s’il comptait prier Dieu maintenant ou si je devais le bousculer pour qu’il le fasse plus tard.
- Ridéric ?...
- Oui, mon Fils ?
- C’était juste pour vous demander si je devais attendre que vous ayez terminé pour que vous m’en disiez un peu plus là-dessus.
- Pardonnez-moi, avait-il dit en retirant ses deux mains osseuses de son joujou. J’étais en train de lutter mentalement contre le mal que l’on a fait à ces pauvres pierres.
- Ah, je vois que vous avez donc trouvé l’âme soeur ! avais-je raillé. Il va falloir déloger le caillou d’vot’ crâne.
J’avais étudié de plus près le monument. Il dégageait une atmosphère envoûtante. Peut-être des ondes de sympathie ?
- Au moins, elle est plus utile que de l’huile condensée, on peut frapper avec, avait rétorqué l’autre en me rejoignant.
Je ne regardais même plus la cathédrale, je ne me préoccupais que de cet engin. Pouvait-on s’en servir comme arme de siège ? Avait-t-elle une très grande valeur, à la vente ?
J’avais presque envie de l’embrasser, de prendre cet oeuvre dans mes bras et de l’étreindre comme s’il s’agissait d’une personne vivante.
- Faites attention, Ebbon.
Je m’étais retourné.
- Eh bien, quoi ?
- N’essayez pas trop de la fixer des yeux, elle ne ferait qu’avaler votre cupidité. Je connais ceci. Les Suppôts du Balcon s’en servent pour obtenir des informations de quiconque en est ensorcellé. C’est un filet pour les poissons, en quelque sorte. N’y posez surtout pas vos lèvres, vous serez irrémédiablement emmené dans un monde encore plus infernal que celui-ci.
Il s’était assis, l’air anxieux.
- Écoutez-moi bien. Je vais vous parler des Suppôts du Balcon...
Mais il s’était arrêté dans ses paroles, car d’un seul coup une horde d’Anglois avait surgi, l’un d’eux portant une bannière représentant trois lions dorés aux griffes et langue bleus sur fond rouge, que je détestais par-dessus tout. Quelqu’un avait marmonné des paroles angloises – que je détestais aussi par-dessus tout –, puis ils nous avaient foncé dessus, épée devant eux, m’entourant petit à petit.
Et maintenant, je les avais tous vaincus.
- Venez.
Je me rapprochai et m’assis près de Ridéric qui avait repris la manie de tenir sa croix entre ses deux mains, et fixait le sol d’un air profondément contrit. Ses sourcils étaient plissés, révélant une profonde tristesse inavouée jusqu’à présent.
- Il fut un temps où j’étais jeune homme cherchant à servir ma ville en même tant que ma nation. Il fut un temps où le goût de la guerre équivalait à celui de la nourriture avec laquelle je survivais. Je voulais tuer et devenir un grand héros, comme les autres de mon époque. La milice ne pouvait évidemment que me soutenir dans ce choix ; c’était la période de l’insouciance, des mains dans les poches. Et, en même temps, j’aurais défendu ma famille comme un grand soldat, défiant quiconque d’hostile s’approcherait des portes de ma cité à moins d’un demi-kilomètre, que ce soit un infirme ou un démon. Ma vie était excitante, à la risquer toujours. J’assaillais parfois des brigands ou des Anglois soit à l’arc sur les remparts en pierre, soit à l’épée longue sur la plaine. Je ne perdais jamais, le sang tachait mes vêtements comme s’il s’agissait d’un trophée naturel, et je me commençais à me faire une solide réputation, après des plusieurs sièges endurés. C’était trop simple. Si bien que mes camarades commençaient à avoir des doutes sur moi. Jamais je ne recevais de blessures, même lacéré d’épées de tous les côtés. À la suite d’un test sur moi où mon supérieur me donna des coups sur les côtes, on me traita de sorcier en me voyant sans une égratignure et m’emmena au bûcher de suite. Mais les flammes n’eurent pas non plus d’effet sur moi. On tenta alors de me noyer dans un sac, ce qui ne les avança pas non plus. Profondément énervés, ils décidèrent alors tout simplement de m’expulser de la ville pour que je n’y revienne plus jamais, ni, après l’envoi d’un message, que je puisse aller librement dans chaque regroupement urbain de ma région. Moi, persuadé que je ne possédais aucun pouvoir magique, je me sentais innocent. J’acceptai donc, morne, ma situation et devins solitaire. Je peux vous dire que ce n’est pas drôle, de manger des racines à longueur de journée, sans autre occupation que marcher et rêver. Je dirais même que c’est encore plus morose qu’aller fondre des roches.
» Jusqu’au jour où quelque chose d’inattendu se produisit. J’étais en train de m’asperger d’eau sur la rive du lac. Quand soudain, je vis une figure sombre dans cette étendue de vitalité. Elle était scrutatrice, presque sévère. Elle était entourée de cheveux blancs bouclés très longs. Je me mis alors bien évidemment à crier devant cette horreur apparue devant mes yeux. Mais elle se mit alors à devenir plus brillante, et son expression s’était déformée, la rendant bienveillante. Déjà, en plein jour, j’étais frappé de terreur par ce surnaturel. Alors, en pleine nuit où les humains ont le plus peur, vous imaginez bien ce que ça aurait donné !
» N’aie crainte, me dit-elle sereinement. Bizarrement, cette voix ne paraissait pas être vraie, mais retentissait plutôt dans mon crâne. Je ne suis pas là pour t’effrayer. Je suis Dieu, le tout premier protecteur de l’Humanité, créateur de la Terre, inventeur de la vie mortelle, oracle des jours futurs. Et je...
- Il se la joue bien, Dieu ! lançai-je. On voit bien qu’il est fier de ce qu’il est !
- C’est peut-être vrai, mais vous venez de m’interrompre, me dit-il d’un air agacé.
- Et je suis venu pour te livrer une information des plus capitales, poursuivit le prêtre. Ridéric. Connais-tu le Diable ? Je lui répondis que oui, que c’était une sorte de deuxième nom pour moi. Eh bien, je t’annonce quelque chose de pas très encourageant : tu es son fils. Fils qu’il a conçu avec une mortelle il y a de cela deux décennies. À l’image de ta mère, tu as donc gardé une enveloppe charnelle humaine. Mais de ton géniteur, tu as un physique indestructible, une incapacité à mourir. Donc, il est normal que tu sois rejeté des villes. Tu n’as qu’une seule solution pour accomplir ce qui doit être accompli : rejoindre ton père dans les entrailles de l’Enfer.
» Mais tu peux aussi décider de ne pas suivre cette voie et rejoindre le côté du bien, de la paix et de l’harmonie. Me rejoindre pour veiller au repos des hommes, bien que tu ne coûtasses pas un châtiment si terrible pour ta race, ne jamais connaître la mort.
» Il te reste donc un dernier choix. Loin de là, dans un monde profondément inconnu, se terrent des démons, possédés par le savoir et la connaissance, inoffensifs. Ils ne connaissent pas le monde dans lequel tu vis, et cherchent à en apprendre le moindre filon. Ces hommes-là, on les appelle les Suppôts du Balcon. Si tu envisages cette possibilité, dis-le-moi, et je t’y emmènerai...pour l’éternité.

» Pour ma part, Ebbon, même si j’étais un peu secoué par toutes ces révélations d’un seul coup, je ne me sentais pas d’aller en Enfer ! J’aurais encore préféré me décapiter tout seul et rejoindre le Paradis. J’hésitais entre rejoindre notre Saint-Père et aller me frotter à ces mystérieux personnages. Finalement, j’optai pour la première solution, et en fis part au reflet. Quasi immédiatement, je rejoignis une terre aussi dévastée que le plus torride des déserts. Cette terre, messire.
» Je fus accueilli presque avec dérision, par un être au charme aussi envoûtant que révoltant. Il était tripède, avait des crochets aussi longs qu’une lame, qui montaient puis se pivotaient vers le devant jusqu’à dix centimètres, de sorte qu’elles présentaient une sérieuse menace à l’ennemi qui se trouvait en face de lui. Il avait des écailles noires, des cornes rouges lui poussaient sur le torse. Son front était courbé, ses yeux blancs, et comme je le remarquai plusieurs jours après, ses pieds comptaient quatorze orteils de chaque qui ressemblaient plus à des griffes. Un être du mal, quoi. Et pourtant, je parvenais à l’apprécier, pire, à l’aimer. Et dire que les autres Suppôts du Balcon lui étaient absolument identiques !
» Il n’existait pas d’habitation, là-bas. J’appris à passer ma vie dehors sur cet inverse de notre beau monde, à y dormir. On ne mangeait et ne buvait pas, là-bas. Et pourtant, toutes ces privations ne me firent aucun effet. Peut-être parce que j’étais le fils du Diable ? Sans doute. Je ne savais rien sur eux, leur mode de vie. Je leur posai d’innombrables questions au fil des jours. Et on me répondit qu’avec le temps et si j’étais observateur, j’en connaîtrai un rayon sur eux.
» Mais un jour – enfin, peut-être s’agissait-il d’une nuit – se passa quelque chose qui bouleversa à jamais l’existence des Suppôts du Balcon. J’en étais à peut-être des années de ma venue, ou peut-être simplement quelques dizaines d’heures. Je n’en savais rien. Toujours est-il que j’étais en train de m’éloigner du regroupement afin de me promener quand je trouvai un masque noir, par terre, que bien évidemment je ramassai.
» En le rapportant aux Suppôts du Balcon, ceux-ci parurent en savoir plus que moi. Ils l’étudièrent en marmonnant des paroles dans un langage tout à fait incompréhensible, que je n’avais jusqu’à présent jamais entendu. Puis, l’un d’eux m’aborda. Es-tu sûr que tu l’as bien trouvé toi-même ? Sois franc. Bien sûr, je lui répondis que oui. Il se mit alors à avancer vers moi dangereusement, comme si je venais de commettre quelque hérésie. Les autres essayèrent de l’en empêcher, mais il refusa et commença à essuyer la crasse sur ses immenses crochets. S’ensuivit alors une bataille démente entre ces êtres, et à chaque fois que l’un d’eux se ressaisissait et déclarait qu’il valait mieux s’arrêter, un autre lui répondait en le frappant. Chacun voulait avoir le masque pour une raison qui m’échappe encore. Je le pris donc dans la confusion, m’échappai discrètement et déchirai cet objet de la discorde, le réduisis en morceaux. Je ne sais pas ce qui m’arriva par la suite, mais une immense pierre me fut balancée.
» Puis, je me réveillai. Mais pas à l’endroit auquel je m’étais habitué. J’étais revenu dans notre monde, sous une épaisseur de couvertures, dans un lit d’un monastère. Des moines me dirent que j’étais tombé devant leur lieu de croyance la veille, et qu’une bonne partie de ma tête avait été fracturée, que l’on m’administrait des soins. Ne croyant pas à ma chance, je me fis religieux, et entrai dans le culte dévoué à ce saint des saints, notre bien-aimé Dieu, jusqu’à devenir prêtre. La pierre qui m’avait rendu dans cet état me traumatisa à jamais, et je devins le tout premier protecteur des roches, ces matériaux sans arrêt maltraités, que ce soit dans n’importe quelle expérience.
» Et depuis, j’ai la faculté de retourner dans le monde des Suppôts du Balcon. Il n’en reste plus que trois survivants. Moi-même, un ancien hargneux et comme me le révéla Dieu plus tard, une âme vivante qui erre dans notre monde. De plus, ces bâtiments bizarres ont été construits par je ne sais quels moyens.
Le prêtre se tut. Moi, j’essayai d’enregistrer les informations données. Il n’avait pas eu une vie facile. Oh que non. Je m’en rendais compte. Brusquement, je me demandai quel âge il avait. Trente ans ? Quarante, peut-être ? Ou même...plus ? Avait-il une vie illimitée ?
Je me levai scrutai alors cette fameuse cathédrale. Son entrée, grande ouverte, ne paraissait contenir personne. Et pourtant, avec mon expérience de vétéran, j’arrivais sans difficulté à imaginer le piège à loup que c’était. Une entrée non protégée et demandant presque qu’on y pénètre, ce n’était pas normal. Non, on cherchait à ce que quelqu’un se fasse avoir. Mais qui ? La réponse était presque évidente : l’un des deux Suppôts du Balcon.
Par contre, la notion du pourquoi m’était inconnue.
- Bon, fit le prêtre en se levant à son tour, il faudrait peut-être penser à poursuivre notre route. Engageons-nous dans la cathédrale, il doit bien y avoir quelque chose d’intéressant.
- Non.
- Pourquoi « non » ?
- Parce que, parce que, répondis-je agacé en voyant l’indifférence de Ridéric, parce que ça sent la bonne vieille embuscade à plein museau ! Le clocher, déjà. Rien que lui, il a servi avec ses lumières à nous attirer sans aucune crainte. Et vous croyez que c’est une invitation, les portes de la cathédrale ? Vous ne comprenez r...Hé ! Revenez !
En effet, le prêtre était parti vers l’édifice, m’ignorant totalement. Je doublai les interpellations, en vins même à l’insulter afin qu’il se mette en rogne et revienne furieux pour régler des comptes. Ne voyant aucun résultat, je lançai :
- Je crois que je viens de buter contre un rocher ! Il a basculé de l’autre côté !
Même cela ne fit pas d’effet à Ridéric, alors qu’en temps normal il serait à coup sûr venu vérifier. Il était totalement sourd à mes paroles, et tenait sa croix dans sa paume. Il était à présent rentré à l’intérieur de la bâtisse. Jurant et essayant de contenir mon mal de dos grandissant dû à mon fort âge, je courus pour le chercher. Je ne le voyais déjà plus, aussi forçai-je l’allure. Ce genre de sport n’était plus pour moi, me dis-je. Au lieu de passer mon temps à imiter un lapin, je devrais être sur un banc devant ma maison, à paresser tranquillement en profitant de la brise. Enfin bon, ma maison, ma maison...je n’en avais plus vraiment, depuis ce qui s’était passé, il y avait de cela plus de quinze ans.
Les Anglois étaient venus incendier la chaumière que je partageais avec mon frère et ma soeur, au bord de la Manche. N’étant qu’un simple boulanger nourrissant ma ville, Dieppe, et mon frère bijoutier, nous n’avions su nous défendre de ces véritables furies, amenant leur lion paître notre bon lys. Nous avions fui. Ma soeur, Elvira, était morte dans les flammes, touchée par la fumée qui l’avait assommée. Quant à mon frère, il avait été tué quelques jours plus tard d’une morsure de loup à la gorge, alors que l’on tentait désespérément de chasser pour survivre, contournant toute la loi de la justice seigneuriale et bravant la corde. Seigneur qui n’avait pas été fichu de nous aider au gré de nos plaintes devant lui, deux jours auparavant.
Désespéré, j’avais alors décidé de m’enrôler dans l’armée. On m’avait accepté, et très vite j’avais été muni d’une épée dont je savais à peine m’en servir avant même de participer à ma toute première bataille. Bataille auquelle je m’étais sorti vivant de justesse. Dès lors, je m’entraînai avec acharnement, presque jusqu’à l’épuisement, n’ayant qu’une seule idée en tête : venger ma famille.
Pour me récompenser de mes efforts et après avoir survécu à trois batailles, j’avais été gradié officier, et je faisais mon travail avec assiduité, sachant que je ne trouverais pas le repos tant que ces abrutis de première classe ne seraient pas tous en train de perdre leur sang dans l’eau de la Manche. Des années que je faisais ça. Et aujourd’hui encore, je continuais.
Tous mes souvenirs me revinrent d’un seul coup. Mon enfance, devant un oncle hilare alors que je réclamais encore de la soupe aux choux ; ma sagesse croissante alors que je travaillais aux champs avec Fastrade, mon frère ; ma nouvelle vie en ville, et mon métier ; la venue des Anglois ; l’incendie ; l’armée, avec sa loi du chacun pour soi ; les batailles, dont certaines où je m’en étais tiré d’un fil ; la mort du général Gondebaud ; la retraite avec mes « hommes » ; le duel ; Jésus-Christ ; le monde des Suppôts du Balcon ; la peine, la soif et la faim ; Ridéric ; et maintenant, ma course vers la cathédrale.
 

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troisième texte (suite [ben oui, 198 191 caractères ça rentre pas dans un seul post ._.])
J’étais essoufflé et mon genou me lançait. Je franchis les portes immenses, en bois renforcé, et me faufilai à l’intérieur. Il faisait tellement sombre que s’il n’y avait pas eu de bougies, on y aurait vu goutte. Ce qui était un peu le cas en cet instant présent.
- RIDÉRIC !
Il n’y eut aucune réponse, mais un bruit indistinct. Je fonçai. Il faisait décidément très obscur. Le bruit s’intensifia. J’accélérai encore et encore, jusqu’à donner mon maximum. Et, finalement, lorsque j’atteignis la nef, ce fut l’arrêt total de mes forces.
Devant moi, se trouvait une bête, un véritable démon.
On aurait dit un taureau. Sauf qu’il possédait des cornes de bélier et des griffes de tigre, des nageoires de poisson et des ailes d’oiseau, si bien que l’on n’aurait su de quoi il s’agissait. Enveloppé de brume extrêmement épaisse, il fixait de ses yeux verts d’un diamètre trois fois plus grand que les miens Ridéric, qui l’air de prier, frottait son front contre sa petite croix en bois.
Je restai pétrifié devant une telle horreur.
La bête fixa alors son regard sur moi, qui me stupéfia. J’avais l’impression d’avoir les fosses de la mort devant moi.
- Je suis Kornobrath, contremaître de l’Enfer. Le Diable, mon maître, m’a demandé de venir ici. Vous tuer tous les deux est mon devoir, auquel je ne renoncerai pas. J’obéis encore et toujours. Et la mission exige le sang. Le sang, récolté par l’ouverture des veines, fait partie du programme de l’inanimation. Et l’inanimation entraîne la mort, ce qui engendre ma victoire.
- Belles paroles, Kornobrath, m’exclamai-je, mais es-tu capable de faire plus qu’un discours ?
- Bien plus, bien plus. Autant que me l’ordonne mon envoyeur.
- Alors je pense tout simplement que tu n’es qu’un menteur, que tu trembles de peur devant moi sans le dire, et que tu es venu ici simplement pour décorer ! Tu n’existes pas. Tu n’es qu’une pâle représentation de ce qui est la peur. Tu vois, je te défie sans ciller. Ton Diable t’a envoyé ici ? Je n’y crois pas une seconde. Ou alors, pour envoyer un démon aussi poltron, c’est qu’il est tombé bien bas. Tu me crains car tu te surestimes pour te redonner du courage. Et, crois-moi, tu me craindras quand tu giseras dans le sang comme le gibier !
Kornobrath fit une sorte de grommellement animal, qui ressemblait plus à un rugissement.
- Tu vas le regretter, mortel !
Je tirai brusquement mon épée, bien décidé à l’éliminer. L’acier devint presque noir dans toute cette brume. Je me préparai à charger, tandis qu’un hurlement bestial retentit dans toute la cathédrale, et résonna dans la voûte.
Il ne m’aurait pas.
Car ma vengeance n’est toujours pas terminée.

Caribert était un voyant. Ou plutôt, un devin.
Assis sur la terre noire ressemblant à la peste, il était entouré de centaines de soldats. Tous étaient pâles, et ne bougeaient pas. Les paroles du guerrier Anglois ressuscité prenaient sens. Caribert se souvenait. Quand il avait découvert Ebbon mort avec ses camarades, ç’avait été la panique totale. Il avait un poignard fiché dans le coeur, il était blanc de mort. Les derniers François de la bataille de la Manche avaient été pétrifiés, paralysés en voyant Narsès, le champion Anglois debout, un sourire inquiétant sur le visage. Ce dernier savait qu’il les tenait, c’était clair. Et pourtant, il était resté comme une vague de résistances chez les rescapés, qui s’était éteinte d’un seul coup lorsque le meurtrier avait dit :
- Votre heure est venue, mes chers mortels. Pas celle de mourir. Mais celle de tout oublier, de perdre la mémoire. Vous oublierez que vous êtes humains, vous oublierez de vivre, vous oublierez ab-so-lu-ment tout. Mais, chance pour vous, vous oublierez votre désespoir, ainsi que votre situation. Dans un instant, vous vous trouverez sur une terre inhospitalière, la terre des Suppôts du Balcon. Vous êtes faits. Et moi, je souris à l’idée de ce que vous allez devenir.
Caribert, âgé de vingt-et-un ans, se souvenait de la terreur qui s’était emparée de lui, l’enveloppant et l’étouffant. Il se souvenait aussi de son voyage instantané, qui l’avait conduit dans cet endroit bénéfique à aucun être, aucune plante, aucun matériau. Même pas à l’eau, qui commençait très sérieusement à lui manquer. Mais il parvenait à tricher, en se plongeant dans les nerfs de l’information sur l’avenir. Et, contrairement aux autres, il n’avait pas été affecté par cet oubli. Peut-être parce que le futur le conserve ? Il n’en savait que diantre.
Ses pauvres amis ! tous rongés par ce mal invisible. Dans le tas, il y avait même des Anglois, qui étaient arrivés peu après eux. Eux aussi étaient complètement immobiles. Ils avaient oublié la capacité de se mouvoir. Caribert ne les aimait pas. Il les détestait, à vrai dire, pour toutes les souffrances qu’ils leur avait fait endurer. Et c’étaient eux qui avaient provoqué la guerre.
Heureusement, il y aurait bientôt quelqu’un pour les délivrer.
Un prêtre. Le jeune devin, par contre, aimait les prêtres. Ils avaient une sagesse considérable, et leur pardon n’avait pas de limites. Il avait vu sa venue dans le futur. Il arrivait bientôt pour les sauver. Et il leur apporterait de l’eau. Rien que de penser à ça, Calibert commença à saliver d’impatience.
Il avait aussi vu d’autres choses, plus floues. Il avait vu le drapeau anglois flotter sur le sang comme un navire, et Stilleman, leur général, s’y noyait. Il y avait aussi des bateaux qui arrivaient. Eux aussi étaient rouges. Rouges comme le sang...humain.
Caribert se demandait si parmi les morts qu’annonçait cette image, il y figurerait. Il n’en savait trop rien. Il ne s’en préoccupait pas, pour l’instant. Son objectif principal était de ne pas oublier son passé.
Et, que Dieu soit béni, qu’on lui apporte bientôt de l’eau !

***

Je suis Ebbon, le vétéran.
Je n’ai pas le droit de fatiguer.
Ni de tuer sans émotion.
Le monstre était un véritable forcené, ses coups ne respectaient aucunement le tempo donné. Il était redoutable. Deux blessures sérieuses aux flancs, et pourtant il se battait avec la même force. Les entailles que je lui avais faites ne paraissaient le gêner pour rien au monde. Il chargeait avec la rapidité fulgurante d’un tigre, se déplaçait avec l’équilibre d’un singe et rugissait tel un lion. Pire qu’un homme dans son art du combat, un surhomme.
Cela ne faisait qu’à peine cinq minutes que l’on bataillait, mais elles avaient été lourdes d’action. J’étais concentré à mon maximum, la bête paraissait jouer avec moi, tester mes forces en me forçant à esquiver et me baisser pour éviter des coups de griffes surpuissants. J’avais chaud, la transpiration coulait le long de mon torse. Pire que tout, la brume qui enveloppait mon ennemi et l’obscurité naturelle de la cathédrale trompait mes sens et risquait de fausser mes réflexes.
D’un seul coup, sans que je ne m’y attende, il chargea non plus de face, mais choisit d’attaquer par le côté. Son incroyable vitesse me permit à peine de faire un pas de côté, car je m’étais habitué à éviter les attaques de front. Mon épée dont la pointe était couverte de sang s’abattit sur la bête, mais elle échappa de peu à la nuque et le seul résultat fut de la déception devant cette chance gâchée.
Essayant de me remettre de cet échec, je cherchai Kornobrath des yeux. Je ne le voyais plus. Où donc était-il passé ?
Soudain, je compris lorsque j’entendis un souffle à peine audible, juste derrière moi. Il allait me tuer par derrière, comme ça !
J’eus le réflexe de m’écrouler au sol juste à temps, car moins d’une seconde plus tard, une immense carcasse sauta juste au-dessus de moi, puissante, qui retomba quelques mètres plus loin. Elle grommela de fureur. Me relevant plus par instinct de survie que par réelle volonté, je fis face à mon redoutable adversaire. Ce dernier me montra ses crocs si pointus qu’ils avaient sûrement été acérés régulièrement. Les yeux verts reptiliens me firent un regard mauvais, presque haineux. Mon dos me fit soudain mal, et je jurai intérieurement de ne plus pouvoir faire aucun effort physique tant j’étais vieux. Si ça continuait, il faudrait bientôt que je demande à chaque fois un porteur pour me soulager de mon poids en armure, ce qui ne m’avancerait sûrement pas.
Sans attendre, je bondis sur lui, me glissai sur le côté, et lui assénai un enchaînement de trois coups, au ventre, à la poitrine et à la gorge. À ma plus grande surprise, cela ne lui laissa que quelques éraflures qui le firent juste grogner. Comme contre-attaque, et avant que je ne puisse anticiper, il claqua sa mâchoire puissante contre ma main droite. Heureusement, cela ne me blessa pas la paume. J’avais eu de la chance, parce que j’aurais été obligé de devenir instantanément gaucher, avec des crocs comme ça qui auraient tout arraché, les os, les tendons et les veines.
Je m’apprêtai donc à répondre d’un coup violent, quand quelque chose me stupéfia.
Le coup de mâchoire n’avait pas eu pour but de m’enlever une partie de membre.
C’était pour ma lame, qui sous le choc, s’était cassée en deux...
Kornobrath me défiait du regard, les pattes arquées, ses muscles maxillaires travaillant comme un véritable prédateur. Il semblait attendre que je relance le combat pour me porter un coup fatal.
Mais qu’est-ce qu’il attendait, corbieu ? Je savais qu’il était interdit de blasphémer, mais dans cette situation je ne pouvais m’en empêcher. Mon arme était inutile à présent, même si j’en prenais les deux morceaux pour venir à bout de cette terrifiante créature. J’étais à sa merci, ma seule défense était la fuite ; or je ne pouvais me résoudre à abandonner le prêtre toujours perdu dans ses pensées, marmonnant des paroles tout en tenant sa croix. Il suffisait d’un coup de griffes à la gorge ou de cornes à la poitrine pour que je succombe immédiatement, en l’espace de quelques secondes. En quelque sorte, j’étais mort.
Mais, intérieurement, une voix me dit que ce n’était qu’une épreuve, et qu’il me fallait juste la résoudre...
Mon regard fut attiré par mes poings. Ils pendouillaient près de ma taille. Du sang coulait d’eux, provoqués par le fait de tenir la poignée de mon épée éclaboussée par ce liquide.
Une attaque mentale ravagea violemment mon esprit, me forçant à laisser tomber mon épée au sol. Ce feu, représentant l’ardeur et la témérité, me fit aller vers l’avant, vers la gueule monstrueuse de Kornobrath. Elle parut s’étonner grandement de cette brusque approche, surtout lorsque j’enserrai le cou du démon de mon bras, l’autre empêchant ses pattes de riposter.
On eût pu croire qu’il fallait avoir une force herculéenne pour bloquer ainsi un tel torrent de rage vivant...pourtant, cette opération ne me parut pas extrêmement difficile. Au contraire, je sentais mes avant-bras déchaîner leur force comme cela n’avait jamais été. Mais j’avais l’impression de garder une certaine réserve, de ne pas tout envoyer d’un seul coup, limitant donc mon endurance.
Alors que j’étais en train d’étrangler Kornobrath, celui-ci, qui se débattait de plus en plus faiblement, eut comme une montée de colère et cogna son énorme tête contre mon buste. Cet énorme poids me coupa littéralement le souffle, si bien qu’il réussit à se dégager. Sans attendre, il courut puis bifurqua pour foncer droit vers moi. Me forçant à garder mon sang-froid, je me préparai à le contrer, et, quand il m’atteignit, je saisis ses cornes, l’empêchant ainsi de m’éventrer. Il rugit de nouveau.
- Je te déteste, mortel, cracha-t-il.
Je laissai mon poignet s’enlever d’une des deux cornes pour le frapper en pleine figure. Un peu de sang coula, mais se perdit dans son épaisseur de poils. Enhardi, je recommençai, serrant sa gorge au maximum de ma force. La bête tenta de griffer, mais je donnai un violent coup de pied sur le dessus de sa patte. Elle essaya ensuite de déployer ses ailes, mais sans élan, elle n’y parvint pas.
Malgré tout, même si je parvenais à résister à cette masse de muscles, je commençais à sérieusement me fatiguer. Je décidai donc de changer de tactique. Je basculai sur le côté, évitant ses affreuses serres, empoignai les poils grisâtres sur son flanc, et passai un pied au-dessus. Kornobrath se mit à courir à toute vitesse en zigzaguant dans toute la cathédrale, renversant au passage une ou deux chandelles. J’avais juste eu le temps de m’accrocher à ses cornes. Il allait diablement vite, cet animal. Si bien qu’il réussit à me renverser par terre, alors que j’étais à moitié assis sur son dos. Je m’accrochai toujours, les dents serrées, glissant sur le sol poussiéreux. La vitesse était exorbitante, il allait plus vite qu’un cheval au grand galop. Je ne pouvais continuer ainsi. Je décrochai un coup de poing au visage du démon, puis deux, puis trois. Il hurla, sauta pour me désarçonner. Je m’agrippai avec mes pieds tant bien que mal à sa colonne vertébrale. Quand nous retombâmes, le choc fut terrible ; je fus pris d’un haut-le-coeur.
J’en profitai pour me redresser, pour me remettre sur son dos. Il se cabra, mais j’étais bien paré face à cette éventualité. Il s’ébroua, étira ses ailes, mais elles étaient si grandes qu’il risquait de se les abîmer. Kornobrath sauta de partout, poussa un cri perçant, fit encore claquer ses longs crocs derrière lui, cherchant à me mordre et donc à me déstabiliser. Ces glaives passèrent à quelques centimètres de ma peau.
Cherchant à me sortir de cette situation éreintante, je scrutai mes environs, explorant les profondeurs du bâtiment. Mis à part des piliers, des décorations en or, des vitraux religieux, du noir général et la lueur des bougies, il n’y avait rien. Ou plutôt, presque...une idée germa dans mon esprit.
- Votre croix, mon Père, votre croix ! m’exclamai-je à Ridéric dans tous ces cris bestiaux. Passez-la-moi, Ridéric !
À l’évocation de son nom, il parut sortir de son espèce de transe, et observa le combat en me lançant :
- Courage, Ebbon ! Dieu va nous sauver, je le sais !
Il n’a rien compris ou quoi ? me dis-je tout en essayant de contrôler la bête.
- Donnez-moi votre croix, Ridéric ! Allez, morbleu, je ne suis plus tout jeune !
Mes mots étaient entrecoupés de râles d’effort tandis que je tenais fermement les cornes de Kornobrath.
- Ma...Ma croix !? s’étonna le prêtre. Mais vous êtes devenu fou, ma parole ! Je ne peux vous la céder, c’est un bien de l’Église, et sans ça...
- Ridéric, si vous ne me donnez pas cette croix, je...je détruis tout le plafond, y compris les façades ! Et je peux vous le garantir, c’est de la bonne pierre, hein !
Il ne pouvait y avoir que cette solution pour le faire marcher. En effet, il s’exécuta illico presto en retirant sa babiole et en me la lançant. Je la rattrapai en me penchant légèrement sur le côté. Kornobrath rua, mais sans effet. Il essaya encore une fois de me mordre ; il ne parvint qu’à tirer sur mon pourpoint. Puis, à une vitesse quasi inhumaine, il se jeta en avant. Il avait l’air d’être à son maximum, et je faillis être éjecté. Puis, il fit un virage tonitruant vers la gauche, et poursuivit sa course, toujours plus vite.
Mais soudain, il s’arrêta car quelque chose lui dérangeait la gorge, le serrant.
Un cordon, plus précisément.
Le cordon d’une croix religieuse !
- Bien, dis-je en serrant fermement la croix. Tu as perdu, Kornobrath. Je dois avouer que ce n’était pas de tout repos.
- Crois-tu réellement que tu m’as, humain ? me demanda-t-il. Tu peux me tuer en m’étranglant, quand tu seras mort je me chargerai de toi. Même si pour cela je dois aller jusqu’au Paradis.
- Sauf que tu as oublié une chose : je peux t’asservir au Seigneur. Ceci est une croix, mais pas n’importe laquelle. C’est une croix qui appartient à l’un des fils du Diable, et qui pourtant referme toute la foi en la paix et la prospérité. À ta place, je m’inquiéterais fortement : tant que tu auras cet objet autour du cou, tu appartiendras à Dieu, qui Te vouera à une tâche te menant vers le bienfait. Et, le seul qui pourra te libérer, ce sera moi ou Ridéric. Or, je ne pense pas que tu le seras. Alors, qu’est-ce que tu dis de ça ?
Le monstre grogna.
- Futile ! Jamais je n’accepterai de suivre un tel traitement.
- Pourtant, tu le feras. Allez, va.
Et, brusquement, Kornobrath disparut. Il n’y avait désormais plus rien que le souvenir de sa silhouette, et la brume s’évapora avec elle.
- Hé ! Et ma croix, alors ? geignit le prêtre.
- Mais vous en avez déjà une, on peut en marquer une à votre bêtise ! Humour. Alors, vous allez me dire ce que vous faisiez ?? Je vous ai appelé, vous avez continué à avancer dans cette maudite cathédrale !
- Je...j’ai prié Dieu, et il n’y a eu aucune réponse, alors j’ai cru qu’il fallait que j’aille là-dedans pour mieux l’entendre !
- Mais bougre ! le grondai-je. Dieu ne peut pas vous appeler ici, je vous rappelle que c’est la terre des Suppôts du Balcon ! Lui, il reste à l’écoute de ceux qui sont sur Terre, il ne peut pas être partout à la fois !
Ridéric fit son air d’enfant qui a commis une faute.
Au même moment, une lueur étrangement verte illumina la pièce, et je me demandai ce qu’était cette nouvelle attraction. Elle était tellement vive que je fus obligé de me couvrir les yeux. Puis, au bout d’un certain moment, je les rouvris. Une espèce de poteau transparent était là, deux lignes vertes parallèles se faisant voir à l’intérieur. Un Triangle de Perfection.
- Hé, mais c’est exactement le même que j’ai emprunté, quand je vous ai trouvé ! me dit Ridéric.
- Raison de plus pour être prudent, lui répondis-je. Je me demande qui nous a mis ça, ici. Cela ne présage rien de bon.
Le prêtre se mit soudainement à s’agiter, ses yeux brillant d’exultation.
- C’est Dieu qui nous l’envoie ! s’écria-t-il. Je l’ai supplié de nous montrer le chemin, et voilà qu’il nous aide ! C’est merveilleux, Ebbon ! Il faut y aller absolument !
- D’accord, dis-je après une intense réflexion. Vous savez ce que l’on va faire, Ridéric ?
- Oui, aller le remercier dans cette cathédrale de tout notre coeur et de toute notre foy !
- Non. Nous allons nous séparer. Vous, vous franchissez le Triangle de Perfection tandis que moi j’explore la cathédrale. Si vous rencontrez un problème, il suffit que vous criiez pour que je vienne à votre secours.
- Pas de problème ! dit-il en s’avançant vers le Triangle de Perfection.
- Hé !
- Quoi, Ebbon ?
- Ne vous faites pas de cheveux blancs, je suis là.

Ridéric rayonnait. Il était rare d’avoir un message de Dieu, et plus rare encore d’avoir de sa part un signe. Or, c’est ce qui lui était arrivé, pile au moment propice. C’était une sacrée chose, quand même, avoir une croyance...la bonne, surtout. Il se souvenait de sa jeunesse, lorsqu’il défendait Bayeux, sa ville normande. Qui d’ailleurs devait sûrement être prise par les Anglois, à l’heure où il parlait. Son moral baissa d’un coup.
Quoi qu’il en fût, il était orgueilleux, et Dieu n’existait pas pour lui, malgré toutes les leçons que lui avaient administrées ses parents. Ce n’était qu’une invention ayant pour unique usage de créer un bouclier devant les hommes faibles. La récolte a été mauvaise ? On a mal prié Dieu, ou pas assez. Des barbares ont été s’en prendre à nous ? On a été trop querelleurs ces derniers temps, et le Seigneur nous en a puni. La maladie menace de créer une épidémie ? Alors on n’a pas donné de dîme à l’Église ; et la dîme étant la garante de la santé chrétienne, il y a châtiment. Ce n’étaient que des explications comme ça, abrutissantes. Dieu n’avait pas le temps de se consacrer à toutes ces banalités ! Il avait le monde entier à surveiller. Ridéric, à l’époque, n’en croyait pas un mot. Mais après son éducation dans un monastère, il avouait qu’il était irréfutable de dire que l’Être Divin observait chaque homme sur cette planète. Y compris lui.
Le combat avec cette espèce de monstre avait été redoutable. Au départ, concentré sur ses prières, il n’avait fait qu’écouter les rugissements. Puis, lorsqu’Ebbon avait réclamé sa croix, ç’avait été un choc. Vraiment une puissance, cette bête. Ridéric s’en voulait d’avoir causé autant de mal au guerrier. Mais en même temps, il en était content, car ça avait ouvert ce Triangle de Perfection. Triangle de Perfection devant lequel il était.
Il avala une grande bouffée d’air, et avança vers ce moyen de déplacement instantané, sur la terre des Suppôts du Balcon. Il ne savait pas ce qui se passerait une fois qu’il serait de l’autre côté. Il commençait à douter un peu, même s’il avait une confiance aveugle en son ultime maître.
Il se souvint du dernier message que lui avait envoyé Dieu. C’était il y a environ une centaine d’heures. Ridéric était à ce moment-là en train d’observer une falaise dont certaines pierres tombaient dans la mer. Le prêtre s’inquiétait grandement de ces pertes. Quand soudain, sans qu’il ne s’y attende, une voix résonne dans son esprit, en même temps qu’un visage paraisse le scruter, invisible et pourtant visible.
« Il faut que tu cherches Ebbon. Il est dans le territoire des Suppôts du Balcon, et a besoin de ton aide. Il est vieux, mais a l’apparence d’un guerrier. Je compte sur toi pour le retrouver en vitesse. »
Et avant que Ridéric ne puisse lui répondre, Dieu avait rompu le contact avec lui.
En tant que Suppôt du Balcon, il avait acquis la capacité de retourner dans ce monde. C’était Gläsnôrphé, l’un d’eux, qui lui avait appris un jour – ou une nuit, il n’en savait rien. C’était inexplicable, il savait juste le faire, c’était tout. Sans doute parce qu’il était le fils du Diable, et que pour lui c’était aussi simple que marcher.
Il se rappelait. Une fois dans ce monde, il avait cherché le Triangle de Perfection où devait se trouver cet homme. Suivant son instinct et sa raison, il en avait choisi un : le bon. Aussitôt, il avait parcouru tout le territoire, se servant du bonus de vitesse qu’offrait cet endroit, tout comme certains autres ralentissaient le mouvement. Il n’avait pas réussi à le trouver, et il avait commencé à se dire qu’il avait mal choisi. Jusqu’à ce qu’il voie un hérétique, une personne qui s’acharnait sur un pauvre caillou innocent. Au début, il n’avait pas remarqué que c’était l’homme qu’il cherchait, mais il s’en était rendu compte bien après.
Le prêtre revint à la vie réelle, et remarqua que pendant tout ce temps-là à se remémorer les faits passés, il avait franchi le Triangle de Perfection. Il était à présent non plus dans la cathédrale, mais sur cette terre stérile qu’il avait appris à apprécier durant tant de temps. Il regarda le ciel noir. Comme récepteur de lumière, il y avait trois lignes courbes blanches s’entrecroisant. Instantanément, il se demanda si les pierres étaient mieux traitées, ici. Il n’aimait pas ceux qui ruinaient l’univers merveilleux des roches, qui pourtant ont un triste sort : monuments pour décorer, bâtiments, et même armes de guerre, avec des catapultes ! C’en était vraiment triste.
- Ah, enfin ! Je savais bien que vous viendriez.
Ridéric baissa la tête pour voir qui venait de parler. Et là, il fut stupéfait de voir un homme sec comme s’il n’avait pas mangé depuis des décennies. Ses côtes se voyaient à travers sa simple robe délavée rapiécée. Il avait le visage tout en os, et ses yeux reflétaient la mort progressive. Pire que tout, une encore plus grande surprise : à ses côtés, il y avait des soldats en armure intégrale, immobiles, ne cillant même pas des yeux. Quelques insectes se promenaient le long de leurs membres. On aurait dit des statues humaines, en chair et en os.
- Oui, je sais, ça peut surprendre, dit l’homme en robe.
- Dites, comment se fait-il que tous ces hommes soient là ? Et dans cet état ?
- Ils ont été envoyés ici par le champion anglois, afin qu’ils oublient absolument tout. Là, ils ne se souviennent plus comment se mouvoir. Mais ça aussi, je l’avais deviné. Bon, vous me la donnez, cette eau ? grogna-t-il en s’humidifiant les lèvres.
Ridéric, bien qu’un peu confus par toute cette histoire, sortit une outre remplie d’eau, qu’il tendit à l’homme. Ce dernier avala son contenu d’un trait, visiblement assoiffé. Quand il eut fini, il soupira de bonheur.
- Ah, j’en rêvais depuis longtemps, dit-il.
- Êtes-vous un prophète, mon brave ? Et quel est votre nom ?
- Je suis Caribert, le seul qui ait réchappé à ce massacre mental. Et, effectivement, j’ai le don de voir l’avenir.
Il se leva.
- Bon ! Ce n’est pas tout ça, mais comment allons-nous faire pour nous enfuir d’ici ?
- Vous ne le savez pas ? questionna Ridéric en fronçant légèrement les sourcils.
- Chaque devin a sa spécialité, soupira-t-il. Certains, c’est les signes de la mort. D’autres, la puissance de l’amour. Nous sommes tous polyvalents, mais nous avons nos forts comme nous avons nos faibles. Pour ma part, c’est tout ce qui concerne la guerre ; c’est d’ailleurs pour cela que l’on m’a enrôlé. Or, la fuite ne fait pas partie de la guerre, elle concerne l’esclavagisme, ou les éclaireurs si on se trouve piégé. Nous sommes compliqués, nous, les visionnaires, je vous l’accorde.
- Et ma venue, alors ? Comment avez-vous pu faire ?
- Ça, c’est autre chose, avoua-t-il. Dans des conditions extrêmement désespérées, nous pouvons arriver à deviner l’avenir d’un domaine qui ne nous est pas proche. C’est ce qui m’est arrivé. J’avais extrêmement soif. La soif se rapportant à l’eau, cela m’a donc mené à vous, vu que vous m’en apporteriez. Et puis, ce n’est pas parce que nous avons notre spécialité que nous sommes totalement incapables de déchiffrer autre chose.
Le prêtre réfléchissait. Ce devin était bougrement intéressant, et il paraissait dire moins de choses qu’il ne savait. Peut-être serait-il utile pour le futur.

Je suis Ebbon, le vétéran.
Je suis un destructeur, un tueur réveillé par le meurtre de sa famille.
La lumière verte emplissant toujours la salle, j’attendis que Ridéric ne soit plus là, et soupirai. Je me massai ma barbe blanche, et m’assis par terre, sur le sol froid de la cathédrale.
- J’ai besoin de me reposer, dis-je à voix haute comme si on surveillait le moindre de mes mouvements.
Restant néanmoins attentif à tout bruit, je fermai les paupières. Tout ceci me dépassait. Les Suppôts du Balcon, les masques, tout. Tout allait trop vite pour moi : il n’y avait même pas cinq heures, je ne connaissais absolument rien, par rapport à mon savoir actuel. Un ignorant. Et maintenant...je possédais des révélations à faire tourner en rond la Terre entière.
Tranquillement, je revins sur mon assassinat qui avait eu lieu trois jours avant. C’était le champion anglois, le prétendu Narsès, qui m’avait porté un coup à la poitrine. Je n’avais toujours pas la réponse à cette résurrection inexpliquée. Et pourquoi j’étais tombé sur la terre des Suppôts du Balcon.
- Ce n’est pas le champion qui t’a fait ça.
J’ouvris les yeux d’un seul coup. Personne. Mais qui pouvait-ce bien être ? Pas moi, je n’étais pas arrivé au point de parler sans savoir ce que je racontais.
- Ebbon, c’est Jésus. Je t’avais dit que je te recontacterais.
- Ah, dis-je bêtement, relâchant ma garde. Et qui était-ce, alors ?
- Un esprit, Narsès, dont Stilleman a loué les services en échange d’un corps. Or, ce corps, ça a été ce champion, Arichis. Stilleman voulait une vengeance horrible, te faire mourir dans le doute profond. Mais tout s’est retourné contre lui, et il est sous sa torture, désormais.
- Mais je croyais que les esprits n’existaient pas ! lançai-je.
Je me rendis compte que j’avais l’air un peu idiot, à parler comme ça sans personne devant moi, comme si je délirais.
- Tu n’as pas tout à fait tort. Écoute-moi bien. Te souviens-tu de ce que Ridéric t’a dit, qu’il restait trois survivants des Suppôts du Balcon ?...
- Oui. Ridéric lui-même, un des anciens et une âme vivante.
- Bien. Pour ce qui est de Ridéric, je pense que cela ne pose aucun souci. L’âme vivante ? Celle dont on vient de parler. Quant à l’ancien...eh bien, il est là.
- Quoi ? Vous ?
- Non. Il est très près. Dans le clocher. Le masque l’a rendu complètement fou. Il a créé ces deux bâtiments à la seule aide de sa folie. Ses deux seules occupations sont d’aider Narsès dans son entreprise de dominer les humains et d’empêcher quiconque de s’approcher de ses oeuvres à l’aide de fausses représentations d’êtres réels. Tu as ici deux exemples : les présomptueux Anglois que tu as terrassés. Ebbon, il faut à tout prix que tu le vainques, c’est vital pour la destinée de la France. Sans lui, c’est un énorme poids en moins dans la résistance du Mal.
- Moi je veux bien, dis-je, mais comment puis-je faire, sans arme ? Mon épée s’est brisée.
- Utilise tes neurones à bon escient, ce sera suffisant. Bon, je suis navré, mais je vais être dans l’obligation de m’en aller.
- Attendez, attendez, attendez, le retins-je. Et pour cette histoire de masque, alors ? Qu’a-t-il de si particulier ?
Jésus-Christ parut soupirer au son de son souffle.
- Je ne peux t’informer plus, il en va de ta réussite. On se reverra, Ebbon.
Et il partit.
Entre Dieu et Jésus, décidément on est bien servi, pensai-je.
Je me relevai péniblement, guettant un moindre signe de protestation de la part de mon dos. Mais celui-ci se tint tranquille. Lentement, je déambulai dans la cathédrale. Cette conversation ne faisait qu’ajouter des énigmes de plus en résolvant les premières.
Je marchai vers la sortie, conscient que là-haut on m’observait. Mes pas se faisaient sans grande vigueur. Bon sang, je n’étais pas un sorcier ou quelque chose de ce genre, j’étais censé être guerrier, affronter des Anglois froussards comme des faisans ! Rien de ce genre, avec des Triangles de Perfection, des êtres surnaturels et tout ! Moi, mon but était d’avoir ma vengeance sur ces envahisseurs, pour le jour où ils étaient venus détruire l’existence de mon frère et ma soeur. Pour tous les crimes qu’ils avaient commis lors de leur invasion. Pour tous leurs actes de faiblesse en massacrant des innocents ! Cette guerre durait depuis des années. Combien, je ne savais pas. Elles étaient bien trop nombreuses et trop longues pour êtres souvenues.
J’étais à présent à l’extérieur. Je soupirai de nouveau, puis me retournai vers le tympan, regardant les décorations religieuses. Et là, contrairement à ce que j’aurais pensé, il y avait non pas Jésus qui trônait entre le Paradis et l’Enfer, mais un démon à cornes qui saignait des mains en tenant un masque. Un masque noir, en cuir. Le fond était apocalyptique, de la couleur des cendres mêlées aux braises, synonyme de malheur.
N’y tenant plus, je tournai le dos et avançai vers le clocher, qui tanguait toujours. Je me demandai soudainement comment je ferais pour entrer là-dedans.
Mais je n’eus pas à me préoccuper de ça, car un étrange personnage qui m’était familier fit son apparition, en train de courir vers moi. Il était en robe, le capuchon baissé, les yeux pétillant de vivacité.
C’était Ridéric.
- Ebbon ! Ebbon !
Essoufflé, il s’arrêta devant moi, inspirant profondément.
- Vous ne vous rendez pas compte de ce que j’ai trouvé, parvint-il à me dire. C’est magnifique, derrière le Triangle de Perfection. Voulez-vous savoir ce qu’il y a ?
- Dites toujours, faites comme si je n’attendais pas !
- Dieu nous a vraiment aidés, parce que c’est vraiment splendide. Il y a de ces montagnes, là-bas ! Elles sont vertes d’été, et elles sont immenses. C’est le plus bel endroit que j’aie eu l’occasion de voir. Leur sommet est vertigineux, mais glacial.
- Et il n’y a rien d’autre, à part ça ? lui demandai-je.
- Si. Des chèvres et des moutons qui bêlent sur la montagne. J’ai même cru repérer un loup, quelque part. C’est génial, Dieu nous a aidés à trouver un havre de paix pour être à l’abri de toute menace, en attendant ! s’exclama-t-il d’une voix aiguë en sautant follement.
Ses nombreux sauts, imitant ceux d’un tigre, faisaient un bruit de crissement sur le sol.
- Tu n’es pas Ridéric, lui dis-je tristement.
- De quoi ?
- Tu n’es pas Ridéric, lui répétai-je. Jamais Ridéric n’aurait osé bondir sur des cailloux, il ne peut supporter cela. De plus, il n’est pas à ce point illuminé. Je sais que son enseignement au monastère l’a un peu dérangé, mais il est concentré sur sa mission et n’y faillirait point.
Pour la troisième fois en quelques minutes, je soupirai.
- Ta montagne n’est autre que la guerre, vieux. Elle a des prétextes rendus compréhensibles : c’est le vert de l’été. Son sommet n’est autre que l’issue de la guerre. Plus la guerre est longue, plus le sommet est haut, ce qui est le cas de cette guerre. S’il est glacial, c’est parce qu’il est lourd de peines et de regrets. Les chèvres et les moutons représentent les deux peuples : la France et l’Angleterre. Et le loup est l’événement imprévu qui risque de surgir, c’est-à-dire les Suppôts du Balcon.
Je lui administrai alors une série de coups : thorax, abdomen, plexus solaire, mâchoire, côtes et pour finir, gorge. Tout cela en un temps record, la vitesse augmentant les dégâts. Le faux prêtre, complètement assommé, s’effondra, rejetant un peu de sang de sa bouche. Il se volatilisa aussitôt.
- Je n’ai pas de temps à perdre avec ces sottises, dis-je en m’adressant au clocher, non loin de moi.
Je continuai à m’approcher. La lumière verte, rouge et orange fonctionnait toujours aussi parfaitement. Elle changeait sans arrêt. Je fus irrésistiblement attiré par ce clocher. Une fois de plus, une vague d’affection vint me prendre, mais j’y résistai. Je fis le tour de ce bâtiment. Il n’existait aucune porte, aucune entrée. Juste de la pierre.
Aussi, quelque peu agacé, je hurlai :
- Suppôt du Balcon ! Tu te caches derrière des murs, poltron ! Tu as peur de m’affronter, avoue-le ! Sache que je t’attends, et que je compte bien te tuer, même s’il faut que j’y perde quelques veines !
Et je guettai le moindre signe de réponse, circonspect.

- Et voilà ! annonça Ridéric.
Caribert regarda surpris les soldats naguère immobiles se réveiller, s’agitant afin d’éviter les ankyloses et surtout, de se débarrasser des insectes. On pouvait même entendre un François qui disait « il était temps, un peu plus et j’oubliais ma mémoire ! ».
- Comment êtes-vous arrivé à faire ça ? demanda le devin, les yeux écarquillés. Jamais je n’aurais cru que quelqu’un de notre monde puisse réparer tous ces dommages, et en si peu de temps !
- On me l’a appris, répondit Ridéric, un peu mal à l’aise. Bon ! Maintenant, nous allons tranquillement retourner là où nous devrions être. (Il jeta une dizaine d’outres et de gourdes aux soldats.) Allez, buvez ça, il devrait y en avoir assez pour tout le monde.
Comme des fauves sur leur proie, ils se jetèrent sur cette eau, qu’ils se passèrent à tour de rôle. Néanmoins, on pouvait en voir certains moins partageurs avec leurs ennemis, leur vieille rancoeur toujours présente.
- Bon allez, on y va ! dit tout fort le prêtre au bout de plusieurs minutes.
- Où ça ? questionna Caribert.
- Eh bien, dans notre monde, pardi ! Je ne sais pas si les transports collectifs marchent aussi, mais on va voir.
- Mais vous êtes un enchanteur, pour avoir autant de pouvoirs ! s’exclama un François aux épaules larges et au regard bleu clair.
Ridéric l’ignora, et demanda à ce que chacun se tienne le bras, parce qu’il fallait « que le courant magique passe ». Caribert dit qu’il savait parler l’anglois ; il se proposa pour faire la traduction. On le répéta plusieurs fois pour que tout le monde puisse entendre, et ils le firent, mais en deux groupes bien distincts : les François tenant le bras de Caribert derrière Ridéric, et les Anglois à gauche du prêtre. Ils s’évitaient nettement du regard, comme si c’était une hérésie. Leur nombre était extrêmement disproportionné : il y avait des milliers d’Anglois face à une petite centaine de François.
- Franchement, je n’avais pas prédit que vous sauriez nous ramener. Vous devez être tombé du ciel pour nous aider ainsi, lui dit Caribert.
- En attendant, faites attention, vous faites mal aux cailloux par terre, lui rétorqua-t-il en désignant du doigt ses pieds qui s’amusaient à glisser sur place.
- Ça par contre, je l’avais deviné !
Ridéric demanda brusquement le silence complet, car les nuées de chuchotements imitaient le tonnerre. Tout le monde s’arrêta, et Ridéric se concentra. Il ne dépensait absolument aucune énergie pour lui-même, mais s’il devait s’occuper de milliers d’hommes en même temps, ça équivaudrait au travail que devait fournir un cheval pour labourer un champ durant des mois. Il se souvenait de comment il avait fait avec Ebbon, lorsqu’ils s’étaient réapprovisionnés en eau. Déjà, il avait senti que le résultat était quelque peu différent. Une sorte de pincement au crâne qui avait duré une seconde. Même chose sur le chemin de retour. Donc, il s’inquiétait de ce que ça lui ferait, avec tout ce monde. Peut-être devrait-il faire plusieurs voyages ? Non, il risquerait de se passer quelque chose, en son absence.
Bah. Prendre des risques fait partie de notre vie.
Ridéric avala une grande bouffée d’air, et s’exécuta. En quelques secondes, ils étaient plongés dans un noir total, et les premières paniques se firent ressentir. Il n’y avait plus rien, et ils ne paraissaient même pas garder les pieds sur terre. Le prêtre ne relâcha pas son attention, et continua à se concentrer. Il garda les yeux fermés, la transpiration commençant à couler le long de son corps. Ce processus dura une bonne minute, jusqu’à ce qu’il ouvre les paupières, conscient que tout était terminé.
À présent – et il ressentit le soulagement des hommes – c’était non plus le lieu inhospitalier envahi par la pénombre permanente, mais un endroit de sérénité, habité par la végétation et le soleil. Au loin, vers le nord, se dessinait un immense campement pouvant accueillir une armée entière. Même chose pour le sud, mais avec largement moins de tentes.
- Lâche-moi la main, chien ! gronda un François à un Anglois peu après Ridéric.
Cet Anglois répondit quelque chose d’incompréhensible et cracha au sol. Le François tira sa lame de son fourreau, furieux.
- Ne m’adresse plus la parole, crevard !
- Qu’est-ce qu’il dit ? demanda Ridéric à Caribert, montrant l’Anglois qui venait de jurer quelque chose d’autre.
- Il dit que s’il veut son portrait, il n’a qu’à demander, et que tous les François voient à peine plus loin que la bouillie de châtaignes qu’ils mangent, répondit Caribert. Et il a aussi ajouté que leur peuple triomphera sans plus peiner que ça, car on est tellement glandus que l’on se disperserait sur les champs de bataille.
Ridéric s’avança vers le conflit entre les deux hommes, et invoqua le silence en écartant ses deux mains. Il regarda tous les soldats présents.
- Vous voulez vous battre ? Vous entre-tuer ?
Caribert traduisit ses paroles. Comme réponse, les Anglois lancèrent un hurlement de guerre rageur, et les François les imitèrent. La haine se lisait sur leur visage, la discorde emplissait leurs pupilles. Ils avaient tous leur poignée sur le pommeau de leur épée, ou la main sur leur arc, ou encore arbalète. Visiblement, Leur compagnie dans le monde des Suppôts du Balcon ne les avait en rien rapprochés.
- Eh bien battez-vous ! Détruisez-vous ! Annoncez l’arrivée de la mort avec des tambours de guerre ! Tuez tout ce que Dieu vous a apporté, et ne purifiez plus votre âme avec des prières qui ne vous conviennent pas ! Exterminez-vous à volonté, et crevez les yeux à vos premiers cadavres ! Moi, je ne serai pas de la partie. Je ne prendrai pas part à votre combat d’ignorants.
Sur ce, il partit, accompagné du devin, sous les vociférations des guerriers déchaînés.

La journée fut terrible. Tandis que les François, rassemblés dans leur campement, supervisaient leur stratégie et préparaient leurs armes, les Anglois eux, sortaient leurs catapultes et les plaçaient à différents endroits de la vallée, concentrés sur leur travail de précision et de stabilité.
- Ils ne vont tout de même pas se lancer des pierres dessus ? s’inquiéta Ridéric.
- Malheureusement, si, répondit Caribert. Ça va être un carnage. Cent hommes contre...disons, trois ou quatre mille ? Il est impossible de vaincre, même si on a déjà été à la bataille des Thermopyles.
Il se tut un instant, apparemment perdu dans ses pensées, yeux clos, puis les rouvrit.
- Non, décidément je n’arrive pas à savoir ce qui va se passer, c’est trop flou.
Puis, les deux armées se lancèrent des insultes tonitruantes à tour de rôle, charmant les cieux d’un bleu éclatant.
- Vous ne nous faites pas peur, cochons d’Anglois ! pouvait-on entendre. Vous êtes les fils d’une femelle hamster et d’un homme puant le sureau !
C’est alors que les premiers bombardements détonnèrent. Les catapultes et balistes, au nombre de quinze, lancèrent des masses rocheuses titanesques. Les François se retirèrent juste à temps sur le côté droit alors que leurs tentes étaient pulvérisées. Lançant un cri d’assaut, ils se ruèrent sur leurs ennemis en courant, traversant à grande vitesse toute la distance qui les séparait de leur but.
Mais les Anglois ne l’entendirent pas de cette oreille-là : leurs archers, environ cinq cents, se postèrent sur le flanc rocheux que les François tentaient de franchir. Ils préparèrent leurs flèches et se mirent à les tirailler de toutes parts, leurs traits mortels semblables à des épines géantes filant à grande vitesse. Les François, déjà fatigués par cette course folle, mirent leurs pavois en avant, se couchant par terre. Les flèches se plantèrent dans le bois et ne les touchèrent pas. Au bout de trois rafales qui firent peu de blessés, les archers cessèrent le tir, soucieux de préserver leurs munitions. Les guerriers en profitèrent pour se relever et pour passer à la charge. Ils avaient peu de temps : les soldats anglois étaient en train d’aller à leur rencontre, vers leur côté gauche.
Le choc fut brutal. Les archers, n’ayant pas d’armes au corps-à-corps, tentèrent de s’enfuir. Du sang coula, des cris fusèrent. Une dizaine de François furent morts par des Anglois plus rusés que la moyenne, mais au final les cinq cents archers périrent. Les vainqueurs n’eurent pas le temps de souffler, car les guerriers ennemis se rapprochaient dangereusement d’eux. Fourbus, éreintés, les François n’avaient aucune chance contre un nombre six fois supérieur au leur, et frais et dispos.
Du haut d’une falaise, Ridéric et Caribert impuissants regardaient la scène, le moral défaillant, le doux clapotis des vagues loin derrière eux essayant de couvrir les hurlements, tintements d’acier et autres.
- Pour la France ! POUR LA MORT ! beuglèrent les François, leur épée teintée de sang devant eux.
Cette phrase, venant d’une détermination héroïque, n’avait pourtant pas grande valeur devant un tel poids de soldats. Ces derniers commencèrent à les encercler. La bataille était perdue d’avance. Des têtes volèrent, des hommes tombèrent au sol, vaincus. Et là-dedans, il y avait plus de François que d’Anglois.
- C’est fini, annonça Ridéric. On n’aura même pas tenu une heure.
Caribert opina en silence. Le prêtre ne voulut en voir plus. Il tourna le dos au massacre et observa le ciel. Tout ce qu’il avait entrepris jusque-là n’avait servi à rien : quand il avait été moine, on lui avait dit qu’il fallait toujours tenter de ramener la paix dans le coeur des hommes. Car même l’humain le plus hargneux a une part d’humanité qu’il voile. On lui avait dit de les rallier à Dieu, de les purger de leur mauvaise âme. Or, cela n’avait jamais marché. Il avait perdu son temps, les hommes refusaient de l’écouter. Il ne se battait plus pour ces calomnies, mais pour les roches. Et ça, c’était aussi en train de le dépasser.
Il baissa le regard, scrutant la mer. Elle était bleu clair, et l’on pouvait voir quelques traces d’écume blanche. La brise était excellente, mais son coeur plein de foi était brisé. L’odeur de sel et d’algues marines attirait son odorat.
Il avait raté. Échoué lamentablement. Il était le fils du Diable, et il comprenait maintenant pourquoi : pour encourager les hommes à se tuer entre eux. Ridéric aurait très bien pu les laisser comme ça, emprisonnés par l’oubli. Ils n’auraient fait aucun mal, et il y aurait eu quelques dizaines de cadavres en moins sur cette terre. La chandelle qui éclairait son esprit était confrontée aux forces surpuissantes du vent.
La vie ne lui était décidément pas favorable. Il aurait pu devenir capitaine de la garde et avoir la vie excitante et privilégiée de surveiller les alentours de Bayeux, prêt à défendre les remparts tel un héros. Eh bien non. Voilà qu’il y avait eu les doutes parmi les siens, et par la suite, lorsqu’il avait été banni, les révélations de Dieu. Il avait dû s’inventer une nouvelle facette, prier le Seigneur chaque jour pour se sentir en paix. Et, au bout d’un certain temps, il s’y était habitué, était même à fond dedans. Mais c’était sans compter sur la totale bêtise des êtres humains qui geignent sur toute la virulence du monde et se battent ensuite sous l’effet de la vengeance, devenant les propres ennemis de leurs valeurs.
Ainsi les derniers François emmenés dans cette escarmouche s’étaient transformés en véritables monstres. Pas dans le sens qu’ils tuaient sans vergogne, même si ça s’en rapprochait ; mais dans le celui où ils s’étaient engagés dans une dernière bataille à l’aveuglette et sans hésiter, alors que leurs chances de survie devait être d’une sur un million. Ils auraient pu s’échapper et vivre en exil, se forgeant une nouvelle vie. Mais non. Ils avaient préféré s’engager dans cette opération suicide, allant à l’encontre de ce que leur disait leur coeur, préférant leurs fortes émotions.
Il n’avait plus rien à faire ici. Alors pourquoi restait-il ainsi, à défendre une cause qu’il ne pouvait pas sauver ?
Le prêtre se demanda s’il ne serait pas mieux pour lui de sauter de cette falaise pour ne plus être concerné par tous ces événements. Pour échapper à son malheur de faillir à sa mission. Il se souvint brutalement qu’il était immortel, et ne pouvait donc pas mourir. Cela le fit grimacer : il devrait assister à la chute de la France, au meurtre de ses compatriotes. Il devrait essayer jusqu’à la toute fin de faire entendre raison aux deux pays en guerre.
Ridéric tourna sa tête vers la gauche, la vue toujours sur la mer. Et là, sans qu’il ne s’y attende, quelque chose le déstabilisa, et il essaya de saisir sa croix, avant de se rappeler qu’il ne l’avait plus.
- Dieu !
- Qu’y a-t-il ? demanda Caribert, l’air impassible, venant vers lui.
- Des navires de guerre...
Un balcon.
J’étais sur un balcon, debout, mon dos refaisant des siennes après ce qui s’était déroulé. L’air dur et sourcils froncés, j’observai le lointain noir, seulement éclairé par un soleil rudimentaire.
Je me retournai. Un démon était allongé par terre, la mâchoire tordue, la bouche en sang. Ses yeux orange ne montraient aucune émotion particulière. Qui était-ce ? Le Suppôt du Balcon que j’avais vaincu au combat. Oui, mais comment ? Eh bien, vous allez le savoir tout de suite.
Après avoir appelé le monstre, un cri surpuissant et prolongé avait résonné, faisant vibrer mes tympans. C’était comme une réponse, un hurlement de défi, faisant clairement savoir qu’il n’y aurait aucune pitié dans ce duel, que la mort serait lente et douloureuse. Aussitôt, une porte était apparue dans le mur, que j’avais ouverte.
- Tu n’as même pas le courage d’aller m’affronter dehors, chien ! lui avais-je hurlé.
De rage, j’étais entré, cherchant une quelconque échelle ou bien un escalier, essayant de me repérer dans cette atmosphère de nuit noire. Au bout d’un long moment de tâtonnements, j’étais arrivé à trouver une échelle en bois, simple et légère. Elle était accrochée à l’étage du dessus. J’avais gravi les échelons, ma visibilité grandement diminuée, et au bout de quelques secondes j’étais arrivé en haut, sur un sol de pierre lisse.
Dégageant les cheveux sel qui me couvraient les yeux, j’avais regardé tout autour de moi. L’espace était limité, mais le plafond conique en tuiles montait loin. Ici, la lumière filtrait mieux grâce aux fenêtres.
Mais où était donc ce Suppôt du Balcon ?
La réponse était venue comme la question avait filé. Une cloche en fonte était en plein milieu, et était prise de secousses inexpliquées. Aussitôt que j’aie pensé à ceci, celui que je recherchais avait surgi de la cloche, poussant un hurlement strident. Il possédait trois jambes, des cornes rouges sur le buste et des crochets extrêmement long, comme me l’avait expliqué Ridéric. Ses yeux blancs me rendaient à la limite de l’écoeurement. Et, chose étrange, il avait des écailles noires alors que ce n’était pas un reptile.
- C’en est trop, humain ! Tu m’as assez défié comme ça, foi de Sophrone !
Sans épée, je m’étais retrouvé bien embêté par un monstre pareil. Je m’étais donc préparé à lui faire face ; mais à la place d’une charge furieuse, ç’avait été un choc à la tête. Je m’étais d’abord demandé pourquoi. Puis, voyant que ça recommençait en plus fort et plus prolongé, j’avais compris. Au lieu de se servir de son physique imposant, il préférait m’affronter mentalement ! Le contrer m’était donc impossible, ce jeu de pantins était quasi surnaturel.
« Utilise tes neurones à bon escient », repensai-je.
Ce mal de tête avait été à ce moment limite insoutenable. Je ne savais vraiment pas comment riposter. Je n’avais pas été préparé pour ça, moi. Je tuais par la force de mes bras et des mes poignets, moi !
« Utilise tes neurones à bon escient. »
À bon escient, à bon escient...Donc, il ne fallait pas que je m’en serve inutilement. Là, dans ce cas, je ne pensais pas mal user mon cerveau. Peut-être la réflexion était-elle la clef ? Mais je ne faisais que ça, réfléchir ! Décidément, ce n’était pas facile. Tandis que j’essayais de lutter contre ces torrents de douleur, je me concentrai sur cette fichue énigme. Et soudain, j’avais trouvé.
Ne perdant pas un centième de seconde, j’avais fortement pensé à un coup de pied dans le thorax, au mouvement à faire pour exécuter cette action. Le Suppôt du Balcon, alors qu’il ne s’était rien passé, recula, le souffle coupé.
- Je vois que tu as compris, m’avait-il dit.
Je m’étais pris une gifle énorme à la joue, alors que mon ennemi n’avait jamais levé la main, ou plutôt la patte. Visiblement, il avait seulement usé de quelques influences négatives sur mon esprit. Dans mon monde, on n’aurait jamais pu faire telle sorcellerie, c’était de la pure fiction. Mais là, celui des Suppôts du Balcon était différent.
Un violent duel cérébral s’était ensuivi. De nombreux coups s’étaient échangés, et même des dagues avaient lacéré la chair de l’adversaire, nécessitant néanmoins plus d’efforts. Les haches encore plus. Les fléaux et les arcs et flèches ? N’en parlons même pas.
Une heure avait semblé s’écouler quand enfin j’avais vaincu le démon. J’avais un oeil quelque peu amoché, des blessures superficielles dans le ventre mais sinon j’allais bien. Le Suppôt du Balcon semblait incroyablement fourbu et il avait cessé de se battre, mais moi aussi j’étais éreinté. Chacun des coups que nous nous ayons donnés nous avaient aussi fatigués qu’à la normale.
- Pourquoi ne vous êtes-vous pas battu physiquement ? Pourtant, vous auriez vite fait de me tuer.
- Je savais que non, m’avait-il répondu en haletant. Parce que tu as tué mes Anglois ainsi que Kornobrath. Dans ton espèce, tu es une exception. N’importe qui se serait fait laminer, mais toi, tu as vaincu sans grand effort. Il y a peu de personnes dans ton cas.
- Mais je vous ai battu dans un combat qui n’est pas physique.
- Exactement. Cette histoire est profondément aberrante.
- Pourquoi ?
Il avait soupiré. Ses jambes ruisselaient de sang, et une autre source de ce liquide rouge vif venant de sa cage thoracique remontait à sa gorge, le forçant à cracher pour tout évacuer.
- Il y a longtemps, alors que moi et les autres Suppôts du Balcon nous entendions à merveille, un masque noir, créé par le Diable en personne qui s’ennuyait, fut envoyé chez nous afin de semer le différend. Celui-ci répandait la jalousie, l’envie, la convoitise, mais surtout rendait la réussite à quiconque le portait, dans n’importe quelle entreprise. Aussitôt, lorsqu’on le trouva, chacun le voulut pour lui tout seul. Pour la première fois, nous nous divisâmes. Nous nous battîmes. Pendant des jours et des jours. Jusqu’à ce que Dieu se rende compte de la supercherie de son pire ennemi et nous le fasse savoir. Alors, nous décidâmes de nous débarrasser de ce terrible masque. On le confia à Narsès. Mais ce dernier fut lui aussi corrompu, et le jeta juste hors de notre camp.
» Et, plus tard, Ridéric le fils du Diable fut envoyé chez nous par Dieu. Nous l’acceptâmes, parce que l’on ne pouvait rien refuser à celui qui nous avait en quelque sorte sauvés. Mais, malheureusement, peu après, il retrouva le masque. Lui seul, immunisé contre ses effets, n’était pas affecté et donc nous le ramena, curieux.
» Nous nous mîmes dans une colère inimaginable, et ce fut de nouveau le massacre. En peu de temps, des dizaines d’entre nous furent massacrés. Ridéric détruisit le masque. Mais Satan était plus rusé que ça...c’est pourquoi on l’appelle le Malin. Il le reconstitua, et l’envoya dans votre monde. Il fut passé de mains en mains au fil des années, mais finalement, ce fut un champion anglois qui le remporta.
» Mon tout dernier camarade, qui avait perdu son corps mais qui avait demandé à Dieu de pouvoir retourner parmi le monde des vivants avec son seul esprit, a fini par tomber de nouveau dessus il y a à peine quelques jours. Il veut conquérir le monde avec. Pour cela, il récolte des informations pour mieux s’y prendre. Moi, je l’aide, parce que je sais que si je refuse il me tuera. Et, grâce à cet attribut, il y arrivera.
- Il n’y arrivera pas, lui avais-je dit.
- Seulement s’il retire le masque. Sinon, c’en est fait de vous.
Brusquement, l’un des murs s’était écarté. Un balcon sinistre était alors apparu.
- Voici le secret de notre vie, Ebbon. C’est ce balcon qui nous permet d’être directement en contact avec le Diable, de le voir afin qu’il nous alimente en puissance, source de notre vie. Nous y portons grande attache : c’est pourquoi nous nous sommes attribué le nom de « Suppôts du Balcon ». Allez-y, vous pourrez retourner dans votre monde. Faites de moi ce qu’il vous plaît.
Inspirant de l’air frais, je me retirai de mes pensées. J’étais toujours sur le balcon. Je parlai enfin à Sophrone :
- Je suis un vétéran. Et un vétéran, surtout s’il mérite de l’être, ne tue pas d’homme qui est intimidé par son maître. Restez ici, mais à une condition : ne refaites plus une seule de vos créations virtuelles. Et n’obéissez plus à Narsès.
Et, me concentrant sur le terrain où j’avais vaincu Arichis, je partis, ayant juste le temps de voir s’échapper un « d’accord » de la bouche de mon ex-ennemi. La brume m’enveloppa soudain, et le décor se brouilla jusqu’à ce qu’il soit entièrement obscur.
Une impression de malaise me frappa alors, je ne me sentais pas en présence d’ondes chaleureuses. La lumière vint enfin, mais pas celle qui réchauffait le coeur : c’étaient des flammes immenses tout autour de moi, un véritable brasier. La chaleur m’envahit, de plus en plus présente, et je me serais cru mort, ainsi encerclé de ces ennemis immatériels si un chemin ne s’eût pas été pas ouvert devant moi comme un guide spirituel. J’avançai, et je me crus Moïse sur la Mer Rouge, tant le feu délimitait cette étrange allée. Tout était sombre. Y avait-il un ciel, ici ? Je n’en savais que nenni.
J’avais l’impression de faire un rêve éveillé. Je n’étais pas vraiment conscient de ce que je faisais, j’obéissais simplement au scénario que me livrait ce rêve. J’allais toujours tout droit, sans qu’il y ait d’angle, comme si je marchais sur place. C’en était presque interminable. Me mettait-on à l’épreuve de la résistance physique ? Peut-être. Mais dans ce cas, c’était un test stupide. Les jambes devenaient lourdes, et toujours aucune fin...
Une maison m’apparut sans prévenir. C’était une jolie chaumière, bien qu’elle eût été plus resplendissante sous le soleil. Comme le chemin s’arrêtait là, j’attendis comme un idiot devant. Il ne se passa tout d’abord rien, puis...
...le feu prit à l’habitat, et des cris commencèrent à fuser.
Je sentis des présences autour de moi. Je regardai. Plusieurs Anglois hilares couraient, torche à la main. Je tirai mon épée de mon fourreau, et frappai sur ces malédictions vivantes. Sans impact. C’étaient des fantômes ! Là où ma lame devait transpercer de la chair humaine, il n’y avait pas une seule égratignure. C’était franchement frustrant. Ils ne semblaient même pas m’apercevoir.
Des gémissements résonnèrent, et je me tournai pour voir d’où cela provenait. Deux hommes en haillons roussis couraient non loin, l’un traînant l’autre larmoyant par l’épaule. Je pouvais entendre leurs voix :
- Mais il faut y retourner, Ebbon ! se plaignait l’affligé. Il faut la secourir !
- Nous ne pouvons rien faire, soit elle meurt seule, soit nous mourons ensemble. Viens, dépêche-toi.
C’est alors que je compris enfin. Abandonnant ma lutte inutile, j’accourai vers la maison en train de se faire consumer. J’ouvris la porte à la volée.
- ELVIRA ! ELVIRA !
Les élémentaux étaient omniprésents, dévorant le bois et la paille. La chaleur était suffocante. Me baissant afin d’éviter la fumée, je me précipitai vers la deuxième pièce. Et là, j’y découvris...ma soeur qui flamboyait, hurlant de douleur, essayant de trouver une issue.
- Fastrade ! Ebbon ! essayait-elle de crier en se débattant. Au secours !
- Je suis là, Elvira ! Cette fois, je ne te laisserai pas succomber !
Je tentai de la prendre dans mes bras, mais ceux-ci traversèrent son corps pourtant réel. La transpiration m’enserra le buste, et je me demandai un moment si je n’allais pas y passer.
- Viens, Elvira...on va s’en sortir...
Bien sûr, c’était plus facile à dire qu’à faire. Je ne voyais pas comment je pouvais la tirer de là. On la voyait maintenant à peine, couverte de démons venus prendre sa vie. Je pris une chaise pas encore attaquée pour asseoir ma soeur dessus. Toujours sans effet. Puis, Elvira poussa un dernier râle et s’effondra, morte.
- Non !
Les lamentations n’auraient servi à rien, je le savais. Je laissai le cadavre au sol, et je sortis de la demeure. À ce moment-là, je me serais bien laissé mourir si le feu voulait bien me tuer à mon tour.
C’est alors que tout disparut, la chaumière et les Anglois. Un autre chemin de feu s’ouvrit à moi, que j’empruntai. Le trajet ne fut cette fois-ci pas très long. Bientôt, j’arrivai à une autre sorte de clairière. Il y avait un homme, assis sur son trône d’ivoire, vêtu des plus belles étoffes, au visage sévère et aux yeux de glace. Le duc de Normandie. En face de lui, les deux mêmes personnes que j’avais aperçues tout à l’heure étaient agenouillées. Le premier, à la chevelure châtain-brun, au nez recourbé et à la mâchoire en pique, avait la tête basse. Le second en revanche défiait du regard le duc. Il avait des cheveux obscurité et des sourcils étirés. Il avait une sorte de beauté singulière et féroce, en réprimant ainsi sa colère.
- Sire, ils nous ont attaqués et ont tout ravagé sous nos yeux ! disait-il.
Le duc paraissait insensible à cette révélation.
- Et il n’y avait aucun garde pour vous sauver ? Je n’y crois point une seconde. Je pense que toute cette histoire est du flan pour que je vous paie plus qu’à la moyenne. Vous mériteriez prestement que l’on vous passe à la question. Si vous vous acharnez à me chercher noise, vous regretterez d’être nés.
- Je regrette déjà d’être né pour avoir vu votre sale figure, marmonna Fastrade.
Ebbon parut se raidir en entendant cette parole. Il savait qu’une phrase de ce genre pouvait aller très loin. Heureusement, le duc ne remarqua rien.
- Avons-nous l’air de mentir, monseigneur ? demanda Ebbon en se levant.
- À genoux ! (Il attendit qu’il exécute son ordre.) Les questions, c’est moi qui les pose.
Il frappa des mains.
- Bien, cet entretien est terminé. Je ne vois point pourquoi je resterais à fatrouiller avec des traîtres. Vous avez intérêt à retourner rapidement en Angleterre, avant que mes gardes n’aient le temps de vous attraper.
- Comment ça, des traîtres ? s’emporta le Ebbon du passé en se relevant. Nous sommes de simples serfs rattachés à vos terres !
- Vous me fatiguez ! Vous estes venus ici pour tirer des informations du Roy et de son armée françoise. Gardes, emmenez-moi ceux-là à la salle de torture !
- Espèce de sale sorceresse ! dit Fastrade en se levant à son tour. Tu n’es bon qu’à plonger la tête dans ta vinasse, et à servir de francherepue la vêpre !
C’est alors que tout disparut de nouveau, et un nouveau chemin se dessina. Celui-ci fut encore moins long que le précédent. Cette fois-ci, les deux hommes enchaînés se retrouvaient entourés de plusieurs gardes. Plus loin, il y avait plusieurs instruments de torture qui me firent frissonner.
- Alors, on se sent moins courageux à présent ? railla celui qui semblait être le capitaine par ses distinctions. Je vous conseille de parler tout de suite, et votre souffrance sera moindre.
C’est alors que mon moi jeune se mit à cracher sur la figure du capitaine. Son frère l’imita. On leur administra à eux deux une volée de coups de poings.
- Très bien ! dit le capitaine en s’essuyant le visage. Où sont vos conspirateurs ?
- Nous n’avons pas de conspirateurs ! rétorqua Fastrade. Nous avons dit la vérité.
- Je ne vous crois pas une seconde ! Alors, pour la deuxième fois, où sont vos conspirateurs ? Quelque part dans le château ?
- Les Anglois ont tout saccagé, et notre soeur est morte !
Ce fut au tour du capitaine de semer les coups. Du sang coula un peu sur le visage de Fastrade.
- Ne dites pas de sottises ! Je sais que c’est vous qui avez mis le poison, dans la marmite d’hier soir. Il y a eu dix-sept morts.
- De quoi ? s’étonna Ebbon. Nous n’étions pas au courant.
- Menteur ! jura le capitaine en frappant encore. Vous êtes tous les deux des menteurs ! Vous allez souffrir.
Il se retourna et alla à une table. Il revint peu de temps après avec un seau d’eau qui fumait. Il le mit bien en valeur devant les deux suppliciés qui se mirent à se crisper.
- Savez-vous ce que c’est ? Oui, sûrement. Vous allez avaler cette eau bouillante de force. Cela va avoir un effet immédiat dans votre organisme : toute votre gorge se mettra à crier grâce, et le liquide descendra, toujours avec plus de douleur. Et pendant ce temps, mes hommes vont se charger de vous appliquer des fers rouges sur la poitrine. Ce ne sera que le début.
Il avança vers Ebbon, sa cruelle arme à la main. Il avait un sourire satanique aux lèvres. Il s’approcha. Leva le seau. Ordonna aux gardes de lui ouvrir la bouche. Et se prépara...
La porte coulissa et tonitrua. Le duc arriva à grande allure, écartant les bras. Sa couronne, au milieu de sa masse de cheveux roux, faillit basculer.
- Arrêtez tout ! Cessez ! (Le capitaine, visiblement énervé, posa le seau par terre.) J’ai trouvé le traître.
Il saisit le poignet du capitaine avec vélocité ; d’un coup sec, il retroussa sa manche.
Sur son avant-bras, figurait un lion tatoué.
- Et ça ? gronda le duc. Pour dix-sept châtelains morts, tu vas subir. Gardes ! Relâchez les prisonniers.
Les chaînes tintèrent tandis qu’on les retirait d’Ebbon et de Fastrade médusés.
- Déguerpissez, dit-il en s’adressant aux deux intéressés. Je ne veux plus vous voir ici.
- Et notre chaumière, alors ? demanda Fastrade. Et le meurtre de notre soeur ?
- Déguerpissez, répéta l’autre.
Pour la quatrième fois consécutive tout s’effaça, et pour la quatrième fois consécutive un chemin de feu apparut. Celui-ci fut rapidement traversé.
La prochaine scène se situait dans une forêt. Fastrade, couché par terre, avait la gorge en sang, la tête retenue par son frère protagoniste à genoux.
- Quand je te disais qu’il ne fallait pas que tu t’attaques aux loups !
Le sang coulait abondamment, rendant les herbes rouges. La respiration de l’estropié se faisait irrégulière.
- Mais je n’en pouvais plus, de ne pas réussir à attraper des proies, murmura-t-il.
- Ce n’est pas une raison ! Tu as peut-être commis la plus grande imprudence de ta vie.
Il ne répondit rien.
- Et puis, poursuivit Ebbon, j’avais presque réussi à faire un arc, ce n’était plus qu’une question de temps. Nous aurions même pu nous faire de l’argent, en vendant au marché. Tu m’écoutes ?
C’est alors qu’il observa les yeux de son frère, qui restaient immobiles. Le sang sur son cou avait fini par ne plus se déverser. Son expression resta pourtant impassible comme si ses émotions restaient intérieures. Il se releva.
- Ainsi, voilà comment s’achève cette tragédie, dit-il à haute voix. Très bien.
Il s’éloigna du corps, et fit plusieurs pas. Il leva ensuite la tête vers les cieux.
- Mais ce crime ne restera pas impuni. VOUS M’ENTENDEZ, ANGLOIS ? VOUS ALLEZ TOUS VOUS MORFONDRE EN CRAIGNANT MA VENUE ! MA VENGEANCE VOUS DÉTRUIRA, TÔT OU TARD !!
Quelques oiseaux apeurés quittèrent leur branche à l’écoute de ce hurlement.
La même opération se reproduisit : tout s’effaça. Un nouveau passage s’ouvrit, sauf qu’il faisait le double de la largeur des précédents. Je remarquai que peu à peu, je commençais à m’habituer à la chaleur due aux flammes environnantes. Quelques pas suffirent pour que j’arrive à ce qui semblait être la toute dernière clairière.
Et à l’intérieur, Satan m’attendait. Pas celui que l’on décrit habituellement comme un être du chaos armé d’une fourche, cornu, aux sabots de taureau et mesurant trois mètres de haut : mais un être d’une beauté sans égale, aux ailes de feu et à la robe de braises. Son visage ressemblait en tout point à celui des mortels, avec des sourcils roux et broussailleux ainsi que des yeux clairs ; sur sa tête recouverte de cheveux noirs reposait un diadème d’or. Pour finir, il mesurait un peu plus de ma taille.
Stupéfait, je m’immobilisai. Le Diable prit soudain la parole. On aurait dit un ange. Il me scruta de haut en bas.
- Tu n’es pas un Suppôt du Balcon, déclara-t-il d’une voix rauque. Mais tu dois être doué pour être arrivé jusqu’ici. Tu n’es pas venu pour rien, je présume.
Le silence s’installa.
- Alors, dis-moi comment tu as vécu ton Couloir de Souvenirs.
Je m’étonnai :
- Mon Couloir de Souvenirs ?
- Oui. Lors de la première venue de n’importe quel mortel ou immortel, les événements qui ont marqué l’âme ressurgissent de la mémoire. Certains n’en reviennent pas indemnes.
- Je veux rentrer chez moi. Retourner dans la guerre.
Le Diable se massa le menton.
- C’est tout ce que cela t’évoque ? Si tel est ton désir. Je ne suis pas un ingrat, et je sais juger le mérite d’une personne. Mais avant ça...je souhaiterais te montrer quelque chose que tu pourras colporter dans ton pays.
Il me prit l’épaule.
- Ouvre les yeux, humain.
- Mais ils sont déjà ouverts !
- Je voulais dire : éloigne tes songes les plus captifs et laisse-toi entraîner.
J’obéis. Pour me faciliter la tâche, je gardai les yeux clos un moment. Puis, au bout de trois minutes, je les rouvris.
Devant mes yeux se présenta un véritable Paradis. La végétation était ici omniprésente, allant de bourgeons désuets à de magnifiques arbres de toutes sortes, en passant par des fleurs d’une beauté exotique. Le ciel, bleu, était le même que celui sur Terre. Un radieux soleil projetait des rayons chaleureux à faire frémir un lézard. Partout, des gens de tous âges se promenaient, parfois avec des paniers de fortune. Mais, malgré tous ces facteurs, le monde restait...bizarrement inexpressifs.
- Bienvenue en Enfer, me dit le Malin.
Il était debout à mes côtés.
- En Enfer ?
- Oui-da, c’est l’Enfer, même si ça ressemble plutôt au Paradis de ta religion. Ici, comme tu peux le constater, ces personnes-là ne manquent de rien. Ils vont et viennent, quand ils veulent et où ils veulent. Mais c’est parce que nous sommes sous un beau jour. Vois-tu, ici comme dans la vie, les saisons se succèdent : printemps...été...automne...et hiver. Ils sont livrés aux caprices de la nature en permanence, et quand elle refuse de leur tendre la main, ils doivent vaincre le froid et la douleur. Sans mourir. Drôle de perspective, n’est-ce pas ? Ils doivent s’adapter à ce bourbier du mieux qu’ils peuvent, sans espérer élever du bétail ni pratiquer quoi que ce soit qui existait dans leur passé. As-tu remarqué leurs visages de marbre ?
J’opinai.
- C’est parce qu’ils craignent la catastrophe à venir. Une pluie torrentielle ? Une tornade dévastatrice ? L’avenir le leur dira.
- Mais pourquoi avoir créé deux morts aussi semblables mais aussi différentes ? le questionnai-je.
- Pour la reconversion ! Ici sont logés ceux qui ont un coeur trop noir pour aller au Paradis. Au bout d’un moment, livrés à de tels cataclysmes, ils finissent par basculer du bon côté. Et donc quittent cet endroit ! C’est un système que Dieu et moi avons élaboré lors des premiers jours de l’Humanité. Lui pensait que chaque homme devait être pardonné de ses péchés lors de sa mort. Moi pas. Alors, petit à petit, nous avons convenu comme ceci !
- Ingénieux, fus-je obligé d’admettre. Donc, en quelque sorte, vous n’êtes pas ennemis ?
- Disons que nos avis sont partagés.
- Alors pourquoi avoir envoyé un masque répandant la discorde ?
Le Diable réfléchit tandis qu’il regardait un bel olivier non loin de là.
- Je ne savais pas trop ce que je faisais à ce moment-là, finit-il par répondre. Je m’ennuyais, la vie était devenue beaucoup trop monotone. Alors j’ai fabriqué le Voile de l’Éternel, et l’ai envoyé sur le territoire des Suppôts du Balcon. Je ne pensais pas qu’il provoquerait un tel effet ; c’était un jeu au départ, maintenant il faudrait qu’il fût oublié.

Eh ben mon p’tit père, vous manquez pas de souffle ! Enfin, si je peux me permettre...​


- Il le sera, promis-je. Son pouvoir se détruira avec son porteur.
- Je t’admire pour ta bravoure, dit-il. Je te souhaite une bonne réussite.
Le paysage était toujours aussi magnifique. C’était un véritable havre de paix, le calme était envahissant.
- Bien, je pense qu’il est temps pour toi de retourner combattre avec tes hommes.
- Mes hommes ? Comment l’avez-vous deviné ?
- Tu as un charisme de chef, et tu es fait pour commander des troupes. A présent, je te souhaite adieu. Ou au revoir, j’espère.
La silhouette du Diable se brouilla, ma vue devint floue, et tout devint noir.
En à peine une seconde, j’étais à nouveau dans l’atmosphère de lumière et de tendresse que la Terre nous offre. Enfin...presque. En un coup d’oeil, je me rendis compte que l’on se battait vers le campement des Anglois, à entendre les bruits d’épées et de cris. Mais, de là où je voyais, je n’arrivais pas à voir ce qui se passait.
Où était passé Ridéric ? Que lui était-il arrivé ?
Je remarquai soudain un homme en armure qui avançait plus loin. Je le suivis, intrigué par cet étrange personnage, pendant des minutes. Je me rendis compte qu’il allait vers la plage. J’accélérai l’allure, me demandant ce qu’il faisait. Et, quand il tourna la tête et que je vis son profil, je fus stupéfait de voir quelqu’un de familier.
C’était Stilleman !

Tout n’allait pas bien pour le pauvre général anglois. Oh que non ! Il n’avait décidément pas de chance.
Voilà que l’interrogatoire avait débuté depuis pratiquement quatre jours. Et il craignait que sa vie ne soit mise en jeu, car il ne savait absolument pas quoi répondre aux questions que lui posait le monstre déguisé en champion. Comment tuer avec la seule pensée de l’esprit ? Pourquoi y avait-il toujours un ciel bleu sur la Terre ? La plupart du temps, il émettait des hypothèses, ou essayait de détourner la question avec un « et vous, alors ? ». Heureusement que dans ce monde constitué de noir et d’immoralité, son impitoyable geôlier l’avait nourri et abreuvé, juste suffisamment pour qu’il survive. Mais pourquoi ? Pourquoi le gardait-il continuellement, puisqu’il ne lui portait pas satisfaction ?
Il avait obtenu la réponse peu avant. Stilleman, une barbe de plusieurs jours et ses côtes étant de plus en plus visibles à travers sa peau, était assis par terre. Il dormait très mal, il n’arrivait pas à différencier le jour et la nuit et par conséquent ses horaires pour le sommeil étaient très variés. Il n’avait aucune entrave aux pieds et aux mains, mais dans cette horreur de monde il n’avait nulle part où aller, à part un terrain visiblement infini, où il craignait de s’aventurer de peur qu’il s’éloigne encore plus de son but : s’échapper et être libre.
C’était à ce moment-là qu’était apparu le corps de Feu Arichis, des éclairs dans les iris.
- Tu me déçois profondément, humain. Je crois que j’ai fait un mauvais choix. Alors, soit votre espèce est profondément ignorante et insouciante, soit tu es un cas particulier à traiter d’une autre façon. Je pense qu’avec les progrès que vous faites d’années en années, je vais opter pour la seconde option. (Il s’était encore plus approché de lui, une fausse amicalité empreinte sur le visage. Une fraction de seconde, le général avait cru voir ses traits se déformer en un rictus, mais un être comme celui-ci ne pouvait avoir l’humanité de rire, même s’il s’agissait de cruauté.) Je pense que tu seras plus loquace lorsque tu mourras, pas vrai ?
- Mais c’est ridicule ! Ce n’est pas avec la mort que je vais en savoir plus ! avait-il rétorqué.
- C’est ce que tu crois. Mais as-tu déjà vu des hommes mourir devant toi ? Leur surprise en constatant qu’ils étaient perdus ? Sûrement. Cela est dû à la douleur soudaine...mais aussi à la connaissance qui leur vient d’un seul coup, héritage des Suppôts du Balcon...parce que s’il se passe quelque chose avant d’avoir son Jugement dernier, c’est bien eux qui apportent leur savoir aux mourants.
- Mais de quoi ? avait balbutié Stilleman. Quels Suppôts du Balcon ? Et pourquoi est-ce que je parlerai, une fois de l’autre côté de ce miroir ?
- C’est bien ce que je pensais : tu ne sais décidément rien, avait dit l’autre en soupirant. Tu en apprendras plus, quand ce sera à ton tour de décéder.
Stilleman avait senti un grand frisson involontaire parcourir le long de son corps. Il ne voulait pas mourir maintenant : il tenait beaucoup trop à la vie. Et celui qui se tenait devant lui l’avait privé de son arme. Et soudain, alors qu’il allait dire quelque chose, une grande obscurité s’était mise à envelopper tout l’environnement. Un instant, il s’était demandé si c’était ça, la mort. Mais il n’avait pas eu à s’interroger longtemps parce que la lumière, en quelques secondes, était revenue. À sa grande surprise, il s’était retrouvé dans un paysage noyé par le soleil. Il n’aurait pas reconnu cet endroit s’il n’avait pas vu les tentes de son armée. Il avait été dans une telle extase qu’il avait cru qu’il avait été libéré, qu’il pouvait quitter ce pays de fous pour retrouver le sien.
- Bon, lui avait brusquement dit le monstre dans sa tête, va vers la plage, et tu sauras tout.
- Et si je refusais de coopérer ? avait-il dit à voix haute.
- Alors tu rentrerais chez toi. Arrivé en Angleterre, ton Roy, furieux de ton échec, te traquerait et réussirait à te capturer. Tu irais alors à ton procès, et le verdict serait celui-ci : la corde au cou, tu irais au bûcher pour être pendu et brûlé à la fois. Puis, on jetterait ton cadavre à la mer, ton pays étant à cours de bois et ne pouvant pas t’offrir le luxe d’un tombeau.
- C’est ridicule ! J’ai une femme, là-bas, qui a de fortes influences sur Sa Majesté. Elle n’accepterait pas un tel supplice.
- Dans ce cas, fais-le et nous verrons !
Stilleman avait grommelé. Il savait que cette horreur avait raison. Il avait décidé d’aller à cette plage, même s’il n’aimait pas la mer. En effet, elle lui remuait l’estomac, et même s’il n’avait pas le mal de mer, il ne se sentait pas bien.
Au bout de trois minutes, il avait remarqué un bruit, une sorte de chahut vers son camp. Il avait tendu l’ouïe : il s’était rendu compte de quelque chose de bien plus bizarre que ça.
- Mais on se bat, ici !
- Ce sont tes hommes qui sont en train de massacrer les François. Ils ont réussi à s’enfuir de la terre des Suppôts du Balcon à l’aide d’un prêtre. Maudit soit ce traître ! Mais moi, à ta place, je n’irais pas les voir. Tu n’es plus aimé d’eux.
Il avait alors poursuivi sa route. L’air était doux, mais pas chaud. Le climat était le seul point positif de ce pays, commençait-il à comprendre. Il s’était progressivement éloigné de la bataille, et progressivement, il s’était rapproché de cette plage. Au départ, il n’avait rien vu ; mais il s’était vite rendu compte qu’il y avait quelque chose d’anormal.
D’immenses galères sur la rive, côte-à-côte, immenses. Espagnols, à leur drapeau. Il en était resté complètement figé. Et, à l’instant présent, il était toujours muet par ce spectacle.
Des soldats débarquaient partout, par milliers, descendant des bateaux tout armés, le regard dur et sévère. C’était déconcertant d’absurdité. C’étaient les Anglois qui attaquaient la France, pas l’Espagne ! Le retournement de situation le rendait complètement fou.
Ah, ça non, il n’avait pas de chance.
Il essaya de partir, mais quelque chose l’en empêchait. Sa peur ? Ou la simple volonté de ce démon ? Il n’en savait rien.
Un archer, accosté à la rambarde d’un colosse en bois, tira une flèche dans sa direction. Il avait une barbe rousse épaisse, et sa mâchoire ressemblait à celle d’un ours. Stilleman vit le projectile venir au ralenti vers lui, comme si les secondes étaient devenues aussi lentes que des minutes. Son esprit flotta un long moment, complètement perdu par ce contexte déroutant.
La discorde, cette fille à l’air inoffensif, provoquait l’hostilité, qui précédait la colère et la haine. Lorsque toutes ces cendres deviennent des braises, la cuisson brûle. Et quand on n’a pas mis de combustible sur lequel elles peuvent s’acharner, cela peut provoquer de graves dommages, particulièrement si elles sont bien embrasées. Elles peuvent même provoquer un incendie qui ferait trembler la terre. Et, lorsqu’il faut combattre ce fléau, on amène de l’eau pour l’éteindre. Le combat commence – c’est la guerre. La plupart du temps, si elle est en grande quantité, c’est l’eau qui l’emporte. Mais il peut arriver qu’un duel entre braises et braises s’engage. Alors là, c’est la preuve ultime de la décadence des êtres humains. Et Stilleman y participait.
La flèche, sans crier gare, perfora ses poumons. Le choc fut terrible, il n’arrivait plus à respirer. Se touchant l’abdomen, il vit le sang couler le long de ses paumes à flots continus. Cela le fit trembler sans qu’il ne parvienne à se contrôler. Ce fut à ce moment précis qu’il reçut une overdose de révélations.
En une seconde, il vit tout défiler dans sa tête : les Suppôts du Balcon, ces monstres à trois jambes et à la physionomie incroyable, en train de naître par Dieu, le sixième jour et demi de la Création ; leur intérêt évident pour la science et pour les humains ; la venue du prêtre Ridéric, et ce qui s’ensuivit, à savoir la bataille pour un masque noir, dont il apprit toute l’histoire ; l’objectif des derniers survivants des Suppôts du Balcon d’envahir la Terre ; et tout ce qui s’était passé en quelques dizaines d’heures. Il en fut bouche bée. Il avait compris ce qu’avait voulu dire Narsès – car c’était son véritable nom – par « être plus loquace » : c’était quand il serait devenu « encore plus flasque » qu’avant.
Mais pourquoi est-ce que tout cela était tombé sur lui ?
Pour la bêtise de la guerre.
Et il sombra dans le néant.

Les Anglois triomphaient : ils tenaient presque les François. Pourtant, lorsque Caribert leur dit dans leur langue que des envahisseurs venaient, ils arrêtèrent la bataille, persuadés après avoir entendu des cris de guerre. Il restait quatre François de vivants dans la centaine...quatre qui avaient échappé de près à la mort. Tout comme leurs ennemis, ils allèrent voir ce qui se passait. Tous regardèrent interloqués les Espagnols arriver non sans discrétion, brandissant leur étendard. La plupart étaient des fantassins, mais certains étaient sur des destriers. Avec grande rapidité, ils vinrent vers les Anglois et François, épées, haches et pavois brandis.
- STOP ! cria Caribert en arrivant en courant alors que les légions d’Espagnols étaient maintenant tout proches des François et des Anglois. Arrêtez !
Surpris par ce venu, ils se tournèrent vers lui et cessèrent leur charge. L’un des cavaliers alla vers lui. Il portait un heaume, un haubert et une cuirasse. On ne pouvait voir qu’un nez en bec d’aigle et de petits yeux bleu outremer.
- Je suis Don Gregorio de Salamanque, le grand, annonça-t-il en roulant fortement les r. Je parle assez bien votre langue de minables, et je viens vous annoncer que l’Espagne va ravager votre pays.
La nouvelle, bien qu’attendue, fit chavirer le coeur des soldats majoritairement anglois.
- Nous ne souhaitons pas la guerre. Nous voulons la paix, dit Ridéric en arrivant à son tour. Si vous voulez, nous pouvons...
- Plus de discussion ! siffla Gregorio. J’en ai déjà assez de vos palabres. (Il parla dans sa propre langue Soldats, charg...
- Il n’en sera rien ! intervint un vieil homme.
- Qui est-ce, encore ? gronda le seigneur espagnol.
L’homme vint se planter devant le cavalier, fixant ses yeux gris avec tellement d’insistance que l’on aurait dit qu’il le jugeait intérieurement.
- J’ai différents noms. Pour moi, le plus approprié serait « le Némésis » ; mais on m’appelle Ebbon, le vétéran. Je ne sais combien de personnes j’ai tuées dans ma vie, mais il y en avait des faibles, des forts, des courageux, des lâches. Des Anglois comme des François. Des démons comme des créations. Et bientôt, si les choses ne s’améliorent pas, je m’attaquerai à l’Espagnol.
Gregorio grimaça. Il avait envie de tuer cet énergumène, cela se voyait dans ses yeux.
- Vous vous en prenez aux mauvaises personnes, mon bon seigneur, poursuivit Ebbon. Il y a bien plus utile que de tuer des étrangers pacifistes et qui ne sont en rien une menace. Je complimente votre armée qui peut terrasser deux nations à la fois. Combien êtes-vous ? Cinq mille, dix mille ?...
- Dix-sept mille, répondit-il.
- Dix-sept mille. Ce qui représente une sacrée puissance. Mais dites-moi, quels seraient vos bénéfices si vous vous en preniez à autre chose ?
- Rien. Le Roy veut manger des cuisses de grenouilles !
- Cela vous rapporterait prestige et gloire auprès des autres pays, rectifia Ebbon. Ce qui est beaucoup plus enrichissant que de l’or dont on pourrait bien se passer. Ici, il y a quelqu’un à tuer, mais pas n’importe lequel. Il se trouve quelque part. Ce n’est pas un humain, mais un démon venu d’un autre monde. Si vous nous aidez à le terrasser, vous en serez fort récompensé. Une alliance entre nos trois peuples : la France, l’Angleterre et l’Espagne.
- Êtes-vous d’accord pour créer une alliance entre nos trois pays ? demanda Caribert aux Anglois.
Ceux-ci acquiescèrent.
- Et vous, Don Gregorio ? demanda le prêtre.
Malgré lui, il fit oui de la tête, sourcils froncés.
- Retirez vos heaumes !
Après les habituelles traductions, tout le monde s’exécuta, non sans désapprobation parce que découvrir sa tête signifiait être sans défense face à une lame. Cela fit bizarre à Ridéric, qui n’était pas habitué à voir ce genre de choses. On aurait dit un numéro de théâtre avec des gentilshommes qui enlevaient leur chapeau en même temps, sauf que là c’était six mille fois plus impressionnant. Ebbon regarda partout, alla même parmi les rangs pour regarder. Son visage ridé observait durement les hommes présents. Non. Décidément, tout le monde l’avait fait.
À moins que...
- Hé ! Toi ! cria le vétéran en désignant un soldat serré entre deux de ses camarades. Retire ton heaume tout de suite !
- Sinon quoi ? demanda le soldat. Vous allez me priver de ma ration du jour ?
- Sinon, tu es mort !
Avec un rire déplacé, la personne montrée du doigt enleva progressivement ce qui lui voilait le visage. On vit d’abord son cou. Puis sa mâchoire. Au fur et à mesure, la forme du visage devenait plus précise, moins confuse. Quand finalement sa tête fut entièrement découverte, il jeta le heaume par terre.
C’était Narsès, sous les traits du champion anglois, son masque noir couvrant sa face.
- TUEZ-LE ! hurlèrent les François et Anglois.
Ils s’apprêtaient à le découper en deux, mais Ebbon les arrêta dans leur folie.
- Attendez ! Tant qu’il a ce masque, il est invincible.
Néanmoins, ils restaient menaçants, guettant le moindre ordre qui puisse leur permettre de l’embrocher.
- Si vous osez me charger, vous êtes morts ! dit Narsès.
- C’est toi qui as conduit Stilleman à la mort ! l’accusa Ebbon. Je l’ai vu. Tu l’as contrôlé et lobé ! Même si je ne l’aimais pas, il méritait mieux !
- Cet imbécile ne méritait rien d’autre !
- Et c’est toi qui as lancé la pierre qui m’a fait revenir sur cette terre ! dit Ridéric. Tu ne voulais pas que je perturbe tes plans pour asservir le monde !
- Tu nous as envoyés chez toi où tu nous as plongés dans l’oubli ! ajouta Caribert.
- Approchez, humains, et je vous exclue de la vie ! s’exclama Narsès en menaçant les soldats avec son épée.

...

Eh bien, vous pensez que tout est perdu, qu’il est impossible de battre Narsès et de se sortir de cette mauvaise passe ?...
Vous avez tort ! Car n’oubliez pas la présence de Dieu, qui veille bien en ses petits humains protégés...​

Les insultes plurent, et Narsès commença à attaquer. Mais soudain, à la surprise générale, un gigantesque arbre germa à la vitesse de l’éclair, cette graine d’abord lente et docile se transformant en olivier majestueux et gracieux. Cela se produisit tellement vite qu’une branche atteignit Narsès, s’emparant alors de son masque. Le Suppôt du Balcon, surpris, tenta de le récupérer, mais il était trop haut à présent pour pouvoir le récupérer. Voyant que tous les guerriers, archers et arbalétriers présents s’approchaient dangereusement de lui, il brandit sa lame. Il ne parvint qu’à tuer deux soldats anglois et à blesser un cavalier espagnol. Tout explosa si vite qu’en quelques secondes, il avait le coeur transpercé trois fois, la tête coupée par deux épées en même temps, et des flèches et carreaux tout le long du corps, comme des épines.
Laissant le cadavre et les soldats là, Ebbon s’éloigna. Cette histoire ne le concernait plus, à présent. Il ne voulait plus entendre parler de démons, de faux soldats et de duels de pensée. Son armure poussiéreuse scintillait quand même sous l’effet du soleil. L’harassement le gagna.
Il pensait à sa retraite dans l’armée françoise, et pourtant il avait envie de continuer. De défendre sa patrie chaque jour du mieux qu’il pouvait, même si cela signifiait accélérer sa mort.
Le soleil brillait, mais il ne tarderait pas à se coucher. Il voyait déjà des nuances de ruban rose dans le ciel. Ses aventures n’avaient duré que cinquante heures...pourtant, il avait l’impression d’avoir labouré un champ à lui-même pendant un siècle.
C’était la vie...il l’avait choisie comme ça. Au départ, c’était pour se venger du meurtre de sa famille. Il avait arrangé ça en proclamant la paix, qui ferait sans doute plaisir au Roy. Ça n’avait pas été facile à songer. Mais il avait fini par se raisonner que c’était la solution à prendre. Car quelle meilleure vengeance que la paix avec ses pires ennemis ?
Il pensait à tous ceux qu’il avait tués le long de toutes ces années, de tous les lieux, périodes et situations.
Et ça continuerait sûrement. Il avait pris goût à ça.
Il était Ebbon, le vétéran. Et sa destinée était faite pour toutes ces tribulations.

Epilogue



À la suite de cette campagne de défense, Ebbon revint victorieux dans la capitale de France, où on lui réserva un triomphe. Fort d’un tel succès, il se présenta devant le Roy Louis VIII dit le Lion, qui le promut au rang de général. Le vieil homme, après quelques jours de repos bien mérité, partit derechef dans une escarmouche contre des pillards vikings, dans le grand Nord ; il ne connut que très peu de défaites, et à la fin de très durs affronts, Ebbon réussit enfin à les éliminer. Sa popularité ne fit que décupler ; c’était la période où sa réputation était au zénith. Quatre ans plus tard, et après de nombreuses conquêtes, il décida de passer ses derniers jours en Corse, trop vieux pour continuer à batailler ainsi. Malheureusement, il ne réussit jamais à atteindre son but, terrassé par la gangrène. Il mourut à trente-neuf ans dans une carriole, défunt. Son dernier voeu fut qu’on se souvienne de lui dans l’Histoire. On l’enterra alors tristement à Orléans le XXIV mai MCCI, le prêtre étant Ridéric. Son cercueil, couronné de fleurs fanées, portait cette inscription :
Ebbon – L’homme qui a tué l’automne à coups d’hiver
Ridéric, pour sa part, partit à la cathédrale d’Orléans, remonté par ses performances de diplomatie. Là-bas, il devint cardinal, et fut plus heureux que jamais, d’autant plus qu’il était un véritable symbole, avec son excellente participation à la guerre sans user de violence. Adoré de ses congénères, les doutes persistaient néanmoins : en effet, il ne vieillit jamais, même si ses traits se déformèrent avec le temps. On considéra cela comme la marque de Dieu pour désigner le nouveau saint.
Le cas de Caribert fut aussi des plus enchanteurs : après la guerre, on le nomma oracle officiel de Sa Majesté Toute Puissante. Il prédit de nombreuses choses qui se révélèrent exactes, comme la peste noire de MCCCILVII à MCCCLI, les ravages qu’elle commettrait à l’armée. Il vécut en toute tranquillité et mourut naturellement. Il avait quarante-trois ans. Avec lui furent emportées son âme et ses prophéties : en effet, à la mort de Louis VIII, on en vint à l’oublier. Aussi, de nombreuses catastrophes ne purent être évitées par la nonchalance d’autrui.
Le Roy d’Espagne, furieux de cette paix involontaire, renvoya ses soldats en France. Cette dernière, alliée avec l’Angleterre, les repoussa avec aisance et leur envoya un ultimatum. Cette affaire n’alla pas plus loin. L’Espagne signa un traité commercial avec les deux pays, qui apporta peu à peu la fortune aux François. Cet accord dura constamment. Durant plusieurs siècles, et grâce à cette relâche de la guerre, de nombreuses découvertes aboutirent, finalement, à la préparation de nouvelles conquêtes toujours plus terrifiantes. Le début d’une ère nouvelle arriva : celle de la pré-Révolution, de la poudre dans les canons et de l’éveil de la Liberté sous différents aspects. Dont celui d’un petit homme bien connu au bicorne...
Quant au Voile de l’Éternel, il disparut à tout jamais des yeux des humains. Comment, c’est un grand mystère ; des savants, des guerriers avides de gloire tentèrent de le retrouver, sans succès. La légende dit qu’un vieil homme l’avait tenu à bout de bras, en haut d’une falaise. Un vieil homme qui tenait dans son poignet le début d’un mythe. Un mythe qui de nos jours, n’est toujours pas délaissé !

Et pendant ce temps-là, dans un lieu bien serein...
- ...Alors, Ridéric va bientôt venir ?
- Oui. Il ne devrait plus tarder, à présent, répondit Caribert d’un air las. Pourquoi, tu t’ennuies ?
L’ambiance était à la fête dans ce paysage où végétaux et arbres faisaient harmonie. Des gens se promenaient, les visages la plupart du temps quelconques mais toujours le plus grand sourire affiché. Certains étaient en armure tandis que d’autres étaient en tenue de nuit, chandelle à la main, hommes et femmes confondus. Des forêts entières s’étendaient à perte de vue, seulement entrecoupées de quelques clairières – dans lesquelles des petits groupes résidaient sans habitations, contents de ce que la nature leur offrait.
- C’est le Paradis, Ebbon ! déclara Caribert à son camarade visiblement pas d’humeur à faire des sauts périlleux. Relaxe-toi ! Tu peux faire ce que tu veux. Tiens, va chercher du raisin, dans le champ de vignes ! Il ne nous faudra que l’écraser pour avoir du bon vin.
- J’ai la nostalgie de l’ancien temps, mon vieux, dit Ebbon. Celui où je me battais en pleine Mer Baltique sur mes navires. Celui où je passais des nuits interminables mais réconfortantes, gloire dans le fourreau.
Le devin se tut un instant.
- Il est vrai qu’ici, nous sommes tous égaux, admit-il. Le mérite n’est absolument pas considéré. Je crois que Dieu s’est un peu planté pour ce genre de situation.
Ebbon sourit à la remarque pointue de son ami.
- Je t’aime bien, mon vieux ! s’exclama-t-il en le frappant violemment dans le dos. Je suis content de t’avoir retrouvé, après mon Jugement dernier.
Puis d’humeur plus sérieuse, il scruta l’orée du bois, où trois jeunes garçons s’amusaient à dévorer des prunes sur les branches d’un arbre.
- Dis-moi Caribert, pourquoi est-ce qu’il n’existe pas de Paradis pour les arbres ?
- Qu’en sais-je ? C’est le cycle de la vie, et même après la mort il se poursuit. L’homme a besoin de manger des fruits, et les arbres qui produisent ces mêmes fruits ont besoin d’eau, de chaleur et de lumière. Mais des pucerons mangent les feuilles de l’arbre, le gui absorbe sa sève jusqu’à ce qu’il soit entièrement desséché. Heureusement au moins qu’il n’existe pas de telles bestioles ici...parce qu’avec les seuls vêtements que je portais lors de ma mort, j’aurais fini par être infesté de toute cette vermine.
Un véritable démon apparut alors, qui effraya déjà les quelques humains passant par là mais qui finirent par se calmer. Kornobrath était le même que dans les souvenirs d’Ebbon, une sorte de lion-bélier-boeuf-avec-des-nageoires-et-des-ailes. Aucune brume noire ne l’accompagnait dans ses pas, ce qui était le seul changement.
- Ridéric arrive, annonça-t-il de sa voix rauque en s’adressant aux deux personnages.
Il vint se placer devant eux, ses lourdes pattes faisant bruisser l’herbe.
- Bonne nouvelle ! rétorqua le vétéran. Depuis le temps que Jésus nous disait qu’il lui avait donné la permission d’aller nous rendre visite. Alors, comment se passe ta servitude ?
- Très bien. Dieu m’a enfin éclairé, et j’ai compris que j’avais commis une erreur en servant le Diable.
- Ah, parce que c’était vrai, ces histoires ? s’étonna Ebbon.
- Bon, moi je vais aller cueillir une grappe de raisin, et je reviens, annonça Caribert.
Sur son passage, des enfants enthousiasmés lancèrent de véloces « Bébert ! Vive Bébert », et l’homme au grand coeur ne put résister à l’envie de leur raconter la légende de Rodrigue le Bon François, auquelle une foule se réunit pour écouter, leurs réactions étant de grands éclats de rire.
- Tu ne m’as pas compris, dit le démon. Le Diable, c’était Sophrone ! Il m’a créé pour t’anéantir. Il a échoué. J’ai été converti à la foy chrétienne, je veille au bien des morts et à leur respect mutuel.
Au même moment, alors qu’Ebbon s’apprêtait à parler, une voix bon enfant retentit. Elle fut immédiatement identifiée à celle de Ridéric. Ebbon alla vers lui, près d’un saule. Kornobrath disparut.
- Alors, vieille branche, toujours aussi peur des pierres ?
Le prêtre était dans ses habits d’origine : robe noire simple, mais avec cette fois-ci une soupape. Il n’avait pas vieilli d’une ride.
- Et alors, qu’est-ce que ça peut te faire, que j’aie peur des pierres ?
- Ça me fait que c’est drôle !
- Alors, primo, je n’ai jamais eu peur des pierres ! Secundo, je les défends toujours, et je n’en suis que plus fier ! Tertio, eh bien ta pierre, tu peux te la mettre dans l’oeil ! Ça fera un oeil au beurre noir, et quand on te demandera qui t’a fait ça, tu répondras « celui qui a voulu me cuisiner » !
Ebbon partit dans un éclat de rire sonore.
- Tu sais, ce que j’aime bien avec toi, c’est ta progression vers l’absurdité ! C’est tellement flagrant qu’on se demande où tu as été obtenir ton titre de prêtre !
- Cardinal, maintenant ! rectifia Ridéric.
- C’est pareil ! Allez, viens, on va voir Caribert, il s’est trouvé le talent fou de conteur.
Ils marchèrent tous deux dans la vaste clairière vers l’important rassemblement. Ebbon regarda à l’intérieur de sa tunique noire, et vit que son corps était chauffé comme une fournaise.
- Il va falloir que je reprenne un bain, dans la source, déclara-t-il.
- Un bain ? s’étonna le cardinal. Mais c’est dangereux, ça, on peut y attraper un tas de maladies !
- Dis-moi, ça fait combien de temps que tu es chez les vivants ?
- Cent trente ans, environ, répondit-il d’un air tout à fait naturel. D’ailleurs, je commence à avoir des problèmes, des villageois ont tenté de brûler mon église, l’hiver dernier. Il faudrait que j’augmente ma sécurité.
Ils continuèrent à faire leur petit bonhomme de chemin sans ajouter quoi que ce soit, jusqu’à arriver à l’écoute de Caribert, plongé dans son récit.
- ...Alors Rodrigue va le lendemain demander du vin au vigneron, qui vivait sa vie avec ses vignes. Il lui dit que c’est un scandale qu’il n’y ait plus rien en cette saison. L’autre lui répond avec un accent prononcé : « Vous voulez un pot-de-vin, pour me lâcher la grappe ? »
Des rires généraux s’élevèrent, et le devin attendit qu’ils cessent.
- Rodrigue accepte, et part heureux en croyant que sa mission est terminée. Mais trois jours après, voyant qu’il n’y a toujours rien, il va aller se plaindre chez le bailli. Retenez bien que c’est celui du Limousin : on aura par la suite fait une célèbre chanson sur lui (De nombreux hommes rient.) Après son entretien, le bailli décide d’envoyer deux soldats pour aller voir le vigneron.
» Celui-ci, avant qu’ils ne puissent dire la moindre chose, leur propose d’aller boire un coup. Les deux hommes, qui avaient soif et voulaient se lâcher, acceptent volontiers et le rejoignent dans sa maison. Toutefois, en tant que bons soldats, ils n’oublient pas de lui parler de la raison qui les avait amenés ici. Et c’est là que se joue le drame : le vigneron avait mis de l’eau dans leur vin !! Évidemment, il ne faut pas s’étonner s’ils étaient mous et qu’ils parlaient de la crue des eaux, à laquelle le vigneron ne crut pas. (Explosion de rire.)
» C’est donc la fin de cet épisode. Un mois plus tard, cependant, il arrive à Rodrigue un autre événement perturbateur. En effet, un homme est envoyé chez lui, en pleine aube. Bien de mauvaise humeur, il va le recevoir. L’homme était en fait un collecteur d’impôts, et ne parlait pas bien la langue françoise. « Vous devez...impôts », parvient-il à dire. Rodrigue s’étonne : « Ah bon ? D’accord, je fais ça tout de suite ! » Et, sitôt après, il arrive avec un énorme pot en terre cuite, ouvragé à la main. (Nouvelle explosion de rire.)
» « Qu’est-ce...ça ? » « Un pot ! » C’est alors que la discussion part en alto, et, manque de pot, le collecteur d’impôts finit par découvrir le pot aux roses. Il tourne autour du pot, et finit par dire : « Je veux vos...impôts, sinon vous allez vite connaître ce qu’est le pot-au-feu. » (Les rires ne cessent de s’intensifier, jusqu’à cette conclusion finale où on dirait qu’un boulet de canon vient de tonitruer.)
Caribert se leva alors que la foule était pliée en deux. Il y eut bientôt des applaudissements francs.
- Moi, j’en connais une aussi, déclara Ebbon, sourire aux lèvres. Tu permets ?...
- Je t’en prie, vas-y, répondit Caribert. Je vais aller prendre mon raisin, et je reviens.
Il s’éloigna – cette fois-ci pour de bon –, mais fut surpris de voir que Ridéric l’accompagnait. Il ne dit rien, et arriva bientôt au champ de vignes. Cet endroit le fit sourire quand il repensa à sa première blague. Ne pipant mot, il alla couper une des nombreuses grappes, s’assit et commença à avaler en s’amusant à lancer les grains dans sa bouche. Le soleil lui piqua les yeux ; il se les couvrit en mettant sa main horizontalement au-dessus de ses paupières.
- Tu ne trouves pas qu’il y a quelque chose de changé chez Ebbon ? questionna-t-il Ridéric.
Ridéric, qui était en train de croquer une pomme debout à côté de lui, attendit qu’un morceau descende dans sa gorge pour répondre. Il émit un petit sourire. Sourire qui, en ces lieux festifs, n’était pas des plus rares...
- Oui. Il n’ira jamais à Stonehenge.
 

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Bonjour c'est très bien seulement je ne peux pas voter car je n'ais pas la majorité!
 
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DeletedUser7903

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Je ne voudrais pas déranger le cours de ce vote par mon message, mais voilà, ça m'embête ...

J'ai légèrement l'impression que tu donnes des notes comme ça, pour le plaisir d'en donner. Tu n'a que très peu argumenté tes choix et tes notations par 3 adjectifs (et encore :eek:) qui ont l'air d'avoir écorché ton clavier.

Je dis ça, parce qu'étant un des participants, et respectant le travail des autres, je n'admets pas qu'une note tel qu'un 10 puisse seulement recevoir la critique "amélioration à faire".

Alors j'aimerais, si toutefois cela ne te dérange pas, que tu trouves d'autres choses à redire pour argumenter tes choix. Merci beaucoup.

Et désolé si mon message n'a pas sa place.
 

DeletedUser

Guest
Ton message a sa place. Dorénavant ne seront pris en compte que les notes argumentées.
 

DeletedUser

Guest
non, mais par contre toi tu peux le modifier pour qu'il soit pris en compte.
 

DeletedUser

Guest
Les mineurs peuvent aussi voter -.-

Et ça serait cool que d'autres mettent des avis, les auteurs ont passé du temps à écrire leurs textes !
 

DeletedUser3091

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[édité par lélou :]euh, on ne livre pas d'informations sur son texte :rolleyes:
 
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DeletedUser

Guest
ce qui me décourage c'est l'enorme texte

promis je noterai demain mais pas ce soir je dois sortir


EDIT a 11H27 : ben oui j'edite j'ai pas envie de faire de double-post :D Enfin bref

1er texte : 70/100 : Tres jolie texte, avec un retour dans le temps mais dommage que l'on ne sache pas ce que cassandra était en train de faire avant quel soit dans les années 1300.
Un ou deux passage un peu flou pour moi mais dans l'essentiel on comprend bien l'histoire

2eme texte : 55/100 : Moins bien que le premier et je suis pas trop fan de ce genre d'introduction. Aussi j'aurai aimer un peu plus de détailles sur l'assaut navale et je trouve l'histoire un peu courte mais sinon le reste ça me convient.

3eme texte : 90/100 : Chapeau l'artiste. Tres belle introduction qui décrit le personnage principale. Avec des chapitres écrit plus gros que le reste pour que l'on les distingue. Je m'y suis vraiment cru dans cette histoire. Rien a dire sauf que j'ai mis du temps a le lire :D


PS : je ne suis pas tres bon en RP donc les autres si vous avez des chose a dire merci de rester indulgent
 
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DeletedUser3091

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Aaah, merci, ça fait plaisir un premier lecteur ;)
Personne d'autre pour noter ?
 

DeletedUser

Guest
Texte 1 :
Rien à redire niveau orthographe/grammaire/syntaxe. Mis à part une ou deux petites erreurs, mais je suis pas là pour chipoter :p
Concernant l’histoire donc. J’aime bien l’introduction, ceci dit, on devine d’emblée ce qui se passera pour la suite à vrai dire. Ce n’est pas une critique, loin de là. Je suis l’avis d’hallebarde, j’aurais bien aimé en savoir un peu plus sur cette Cassandre. Pourquoi a-t-elle vécu ce retour en arrière ? J’aime poser plein de questions^^
Après, j’ai beaucoup aimé l’intermède philosophique, mais il était un peu trop court à mon goût. J’en aurais bien lu encore. Oui, je suis très quémandeuse aussi. :)
En tout cas, c’était un texte très agréable à lire. J’aime.
85/100

Texte 2 :
Niveau orthographe, juste quelques coquilles, mais ce ne sont que des fautes de frappes je présume :)
Niveau grammatical, j’ai un peu de mal avec tout les synonymes donnés. ça fait beaucoup de répétition, et je bloque un peu:/ Les rythmes ternaires, c’est classe, ça donne du rythme oui, mais trop… : / On commence avec un rythme ternaire et ça suit. A la limite, tu aurais pu jouer avec ça et achever le récit avec un rythme ternaire aussi. Il n’empêche, le texte est lui aussi agréable à lire.
Pour l’histoire, j’aime bien les guerres navales. J’en aurais là aussi lu un peu plus. Plus de détails, et peut être d’autres personnages aussi. Mais j’ai bien aimé aussi.
75/100

Texte 3 :
Introduction pour le moins originale. Faut aimer. Et moi, j’Adore :p
Après, premier avis : arf, je vais jamais réussir à tout lire. (oui, je rédige mes commentaires en même temps que je lis vos œuvres. Ce n’est peut être pas à faire, mais après, je ne me retrouve pas dans mes pensées). Mais en fait, non, ça passe. Même très bien. Il suffit de ne pas avoir peur de se lancer en fait^^ Et puis, le fait de titrer tes parties rend bien :)
J’aime quand le narrateur nous parle. On a l’impression d’être vraiment utile. J’ai l’impression de me retrouver devant Jacques le Fataliste, entre la réflexion philosophique du premier texte, et l’apparté du narrateur dans celui-ci. J’aime beaucoup.
Concernant les dialogues, je les trouve très riches. Vraiment bien écrit. J’ai eu peur en ce qui concerne l’arrivée des dialogues anglais. J’ai eu envie de me dire WTF, mais merci, le narrateur est venu à notre secours o/ Ahahah, je ris. Doublement à notre secours en fait. :D Par contre, la pub, s’moyen ça. Oui, je retourne faire des commentaires plus sérieux, ça vaudrait mieux :)
Ton histoire est très prenante, je l’ai bien vécu. Avec une petite préférence pour le duel je pense. C’est tellement détaillé :)
Les insultes sont très recherchées^^ :
Vous êtes les fils d’une femelle hamster et d’un homme puant le sureau !
Il y plein de petits éléments qui rendent le récit plus agréable encore, mais je ne vais pas en faire la liste non plus :p
Si je veux chipoter, je dirais ça : je trouve un tout petit peu dommage que tu ais inclus ce genre de donnée dans le texte :
(un pied = environ 30,50 centimètres)
. En fait, je me suis sentie sortir. Je m’explique. Quand je lis, je suis à fond dedans, et même si ton narrateur recadre parfois tes persos, je reste dans l’histoire. En lisant ce genre de données, je me rends compte que non, ce n’est qu’une histoire, et je n’aime pas cette impression. Je sais, ce que je raconte est bizarre en fait --‘

98/100.
Pas la note maximale, pourquoi ? Parce que je t’en veux énormément, j’ai lu ton récit sur mon netbook, et j’ai les yeux explosés maintenant >< ‘’ Non, j’ai vraiment aimé, et j’attends tes autres récits avec impatience.
 

DeletedUser7903

Guest
Youhouuuu un deuxième lecteur (et votant) :D.

Merci à toi de notre part à tous (je pense :rolleyes:)
 

DeletedUser3091

Guest
Merci à toi Gaudymitch pour avoir pris le temps de noter nos textes et de les commenter, ça fait très plaisir (m'enfin, à part que tu notes large, mais bon) :eek:
 

DeletedUser

Guest
Texte 1:

Un essai prometteur, amusant, J'ai senti que l'auteur avait envie de lâcher les mots aussi vite qu'il les pensait... et s'est emmêlé de temps en temps les doigts sur le clavier. L'effet ressenti est comme un disque que j'écouterai paisiblement, qui se mettrai à sauter en me provocant un sentiment quelque peu désagréable, voir frustrant.

Comme les précédents avis, l'intro aurait mérité d'être fignolée, pas forcement plus de détails sur Cassandre (après tout nous l'accompagnons dans son amnésie partielle), mais un accompagnement dans la glissade temporelle moins abrupt, moins direct, plus subtil, essayant encore plus de créer l'effet ressenti par Cassandre pour que nous en ressentions une chute épistolaire nous menant au même questionnement que le personnage.

L'enchainement des scènes est efficace dans l'idée, mais un cruel manque de matière au cœur même de ces scènes m'a laissé sur ma faim, ma curiosité n'a pas été rassasiée. Je l'aurais bien vu intercéder à multiple reprise dans cette histoire.

Bref, je ne me suis pas ennuyer, je me suis laisser porter par le déroulement du sujet, mais je suis déçu de ne pas avoir eu plus de consistance... comme dans un rêve interrompu par mon satané réveil.
Également dommage ce manque d'approfondissement accentuant le flou
de la situation.

Peut vraiment mieux faire, l'auteur ne doit pas hésiter à faire des brouillons, j'attends la version 1.1 !

65/100


À suivre (texte 2) ...

Texte 2:

Au delà de la brume, l'anéantissement d'une âme !
La perversité à l'état brute lâchée dans une cohérence d'annihilation jouissive!
Une violence sans limite exposée simplement à l'aide de mots
permettant une mise en lumière totale de notre plus noire imagination...
(oui, je sais, on peut toujours faire mieux !)

La répétition pour évoquer le temps qui passe vite
alors que le personnage principal est en pleine introspection,
pataugeant en chacun des instants qui le rapproche d'un chavirage intime,
dans une noyade irréversible vers le côté obscur de son être.

C'est très bien écrit, mais il y a des répétitions qui n'ont pas lieu d'être
et donnant au lecteur l'impression de s'embourber dans un bégaiement descriptif.

Je me suis senti à l'écart du cœur de la bataille (trop courte à mon goût),
manquant d'accélération dans l'action!
...Alors que j'adore les histoires de batailles navales!
Le problème est que je me suis senti coincé dans la tête du perso,
bien que certaines tournures de phrases font mouche dans la description de cet orgasme sanguinolent,
me provocant une boulimie littéraire... j'aurai bien laissé le perso dans ses pensées macabres
pour me retrouver nez à nez avec cette boucherie.

Quand à la construction du texte, il aurait mérité un découpage plus minutieux
afin d'offrir une lecture plus fluide et en concordance avec le rythme.
La ponctuation est pauvre (dommage!), laissant une lassitude de ton, qui,
heureusement, est éclipsé par la richesse du texte.

Bref, j'ai aimé le côté introspectif hyper-détaillé du personnage,
souligné de sang bouillonnant dans la plume de l'auteur.

Une continuité dans cette recherche de style est à encourager !
(Dexter, on t'a reconnu ! :D)

79/100


À suivre (texte 3) ...

Texte 3:

Bon !^^ Je ne sais pas trop comment commencer !
Ce délire "fantasyste" m'a beaucoup plu ! C'était comme dans un bouquin...
à la différence que j'ai du me racheter des yeux après les avoir cramé sur l'écran ! lol.
Que dire ?
Tout d'abord, on entre dans une histoire très terre à terre.
J'ai beaucoup aimé la narration, j'ai lu cette partie comme si je buvais un verre de lait
(et j'adore le lait!^^ Surtout entier! ... les autres laits on dirait de l'eau, beurk!)
La partie du duel est très prenante et le texte suit le rythme de notre avidité à ce moment-là. -Cool!-

Ensuite.... On chavire ! On chavire dans un univers fantasmagorique !^^
D'abord, on voit des emblèmes de religion […]
(pour ne pas divulguer l'histoire à ceux qui n'ont pas eu le courage de le lire),
et ok, on se dit "références".
Après, c'est la chute dans un univers ab-so-lu-ment inconnu...
Ce qui est génial, car on se retrouve dans la même galère que le personnage principal!
Là, on a l'impression de marcher sur des dalles de pierres instables ( ;) ),
on ne sait absolument pas où l'on va et quand nous allons atterir,
mais on y va ! ...
On s'attend à tout et n'importe quoi et on espère que tout cela à un sens...
éh oui ! Il y en a un !!
Dans ce "joyeux" bordel, on commence à croire que l'auteur déraille complètement (drogue, alcool, sexe, etc.)
...mais, petit à petit,
des zones d'ombres s'illuminent pour donner un sens à l'histoire...
On commence à ressentir un début de lassitude, puis,
un événement inattendu s'installe
et donne le change à une action qui permet de faire le lien avec l'histoire réelle du début,
qui a demeuré en attente dans le fond de ma tête.


Alors certes, on peut critiquer, mais malgré la naïveté de l'image du bien et du mal,
je serai certainement incapable (sauf sous prod neuro-stimulants !^^)
de reproduire une telle complexité d'imagination.
-Chapeau bas!-

Oui, c'est long ! Peut-être même trop !! Il y a certainement moyen de raccourcir certains passages.
Mais c'est surtout la fatigue occulaire qui provoque ce jugement... Donc, à voir !

Petit bémol également: l'emportement de l'auteur!
Au cœur du texte, là ou le narrateur nous a abandonné, et où le texte est très dense,
j'ai eu du mal à comprendre le cheminement des idées... voir même, je n'ai pas tout saisi !
Manque de clarté dans la construction des paragraphes, absences de saut de lignes quand il le faut,
ce qui provoque un mélange de scènes par endroit pendant la lecture.
C'est franchement dommage, car la logique ne suit plus et j'ai été obligé de revenir sur mes pas!
... un peu comme dans un rêve....

L'épilogue: très bon réflexe !
Si certains penses que cela n'apporte rien à l'histoire,
au moins ça permet de freiner l'inertie de notre lecture sans frustration,
le temps que nous nous habituions à l'idée que cela finisse.
Les choses reprennent le cours de l'histoire,
ça permet l'insertion de ce texte dans les annales de la notre.
Beau tour de passe-passe !

Chapeau l'artiste !
Mais relies-toi et prends le temps de corriger ce qui doit l'être.
La fluidité de la lecture fait tout l'Art !

90/100
__________________

Bravo à tout les 3 (Cham, je t'ai reconnue ! ;) ) Continuez de nous faire rêver, qui sait,
peut-être qu'un jour vous serez sur l'étalage des librairies de nos villes.

À suivre ! :)

 
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DeletedUser

Guest
Merci à tout les lecteurs :).. Pour avoir eu le courage de lire nos textes !
 

DeletedUser

Guest
Bien, en ce qui me concerne, je ne poserai pas de notation, car je n'ai ni d'information sur les barèmes, ni sur les critères de jugement... On m'a parlé de vote, ainsi je vote...

A noter également que ceci n'est qu'un choix en fonction du concours, avec les motivations liées au concours :p Pour la critique littéraire, je vous donne rendez-vous ICI.

Donc, en ce qui concerne le premier texte. Il respectes les critères prérequis, même si tourné sur de la fiction, le sujet était toléré dans les règles de base.
Pour le second texte, tout est juste dans les clous. Forcément puisque c'est une fiction basée sur des faits réels... Un peu cours pour certains, certes.
Et enfin pour le troisième texte... Même si le concours ne donnait pas de limite de thème ou autre... Je penses que l'auteur est un peu dans l'excès ;)

En terme de classement, je dirait donc :
Texte 2
Texte 1
Texte 3

Si vous avez des critères de notations à me fournir, je me ferait un plaisir de noter ces textes... En attendant, vous avez mes préférences...



[Edit après lecture des autres critiques]
-Et oui, je préfères juger sans connaître le point de vue des autres avant d'avoir le mien :p-

Je penses qu'une fois ce concours terminé, on devrait pouvoir discuter un peu et débattre les points de vue de chacun, y compris l'avis des auteurs sur leur propre œuvre et ce qu'ils voulaient faire passer dedans...
Au vu du niveau des votants et des arguments avancés, je penses que ce serait un beau plus pour les auteurs... Après, dites-le moi franchement si je me plante, hein :p
 
Dernière édition par un modérateur:

DeletedUser

Guest
Bonjour,

Je n'ai lu pour l'instant que je premier texte, et je vais essayer de lire les deux derniers le plus rapidemment possible.

TEXTE 1

Le texte est très intéressant et agréable à lire. J'aimais bien le début, mais vers la fin, il y a trop de fautes et d'erreur. Croit-tu par exemple qu'une personne du XIV siècle va croire ce que le personnage dit ? Qu'il sait ce qu'est une guerre mondiale ? Qu'il n'est pas ignorant ? Il va plutôt te prendre pour un fou. :D Ce que je veut dire, c'est que vers la fin, il y a trop de fautes de ce genre, ce qui casse la lecture. Une personne de ce siècle ne comprendrait pas ou presque pas je pense ce que dit une personne du XXI siècle. Il ne parlait pas du tout pareil que nous maintenant je crois.
Quelques erreurs de ce type ont donc un peu perturbé la lecture, qui cependant à été très agréable.

Ensuite, le débat philosophique à la fin, il était un peu tiré par les cheveux. Une personne du XVI siècle ne raisonné pas du tout comme ajourd"hui.

La lecture étant tout de même agréable et le récit intéressant, je te met la note de 75/100.

Essaie de penser à tout ça la prochaine fois, mais merci pour l'agréable lecture. :)

J'Editerais les notes et commentaires plus tard ...
 

DeletedUser3091

Guest
Que de monde !
Alors, Lélou, on attend que les derniers aient fini de voter et on fait le bilan, ou on prolonge la durée ?
 
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N'est pas ouverte pour d'autres réponses.
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