DeletedUser
Guest
Bonjour à toutes et à tous ! Voici venu le temps des rires et des chants, ... Non, le temps de lire et de noter nos trois concurrents !
Je rappelle les contraintes, fixées par les concurrents :
Époque : Le Moyen-Âge, dans la période 1337-1453
Thème : La Guerre de Cent ans
Contraintes : au minimum 5000 caractères
Participants : Patoche2404, Phlégéton, ChamallOow
Je rappelle à tout le monde que la notation est sur 100, et pour une note plus juste il est plus facile de diviser en sous-note (avec une pour l'orthographe, une pour l'histoire, une pour ceci...à votre sauce )
Les auteurs ont pris le temps d'écrire, vous pouvez prendre le temps de lire et de noter pour leur rendre hommage !
Je rappelle les contraintes, fixées par les concurrents :
Époque : Le Moyen-Âge, dans la période 1337-1453
Thème : La Guerre de Cent ans
Contraintes : au minimum 5000 caractères
Participants : Patoche2404, Phlégéton, ChamallOow
Je rappelle à tout le monde que la notation est sur 100, et pour une note plus juste il est plus facile de diviser en sous-note (avec une pour l'orthographe, une pour l'histoire, une pour ceci...à votre sauce )
Les auteurs ont pris le temps d'écrire, vous pouvez prendre le temps de lire et de noter pour leur rendre hommage !
Rien que le néant. Un trou noir qui dura environ 3 minutes. Même les étoiles furent de la partie. Tout tourbillonnait : ses idées, ses rêves, ses espoirs et même ses déceptions. Un mal de crâne l'empêcha aussitôt de penser davantage ainsi qu'une sensation de froid qui lui envahit le visage comme si on lui avait plongé la tête dans un seau d'eau glacée. Soudain Cassandre ouvrit un oeil . La jeune fille se redressa et réalisa qu'elle se trouvait au beau milieu d'un bois. Peut être était elle au beau milieu du bois de Boulogne cependant elle ne reconnaissait ni l'endroit ni même l'atmosphére qui y régnait.. Il n'y avait ni route, ni lampadaire, ni même un poteau électrique pour indiquer la trace d'une quelconque civilisation.
Où était-elle? Que s'était-il passé? Cassandre essaya de se souvenir en vain de ce qui avait pu causer une telle perte de mémoire. Elle récapitula donc la situation.. :
Nom : Bolé
Prénom : Cassandre
Âge : 20 ans
Signe particulier : Aucun.
Ou etait-elle : Dans un bois, c'est sur ,mais dans quel région? Dans quel pays?
Que s'était-il passé : Néant.
Au loin, les sabots d'un cheval martelait la petite route de terre. Un hennissement la tira de sa rêverie récapitulative. Elle tendit l'oreille et devina que le cheval se dirigeait plus ou moins dans sa direction. Et qui dit «*cheval*» dit «* cavalier*» … songea Cassandre. Le martélement des sabots se rapprochait de plus en plus ce qui fit accélérer le battement cardiaque de Cassandre. Aprés tout, elle était seule au beau milieu d'un bois.. Qui sait ce qui pouvait lui arriver? Elle fouilla dans ses poches à la recherche de son portable. Elle fut surprise de ne pas l'y trouver.. Elle était pourtant sûre de l'avoir avant le «*trou noir*». Elle n'eût pas le temps de penser davantage que déjà un cheval blanc s'avançait vers elle d'un pas vif et rapide. Cassandre rigola. Le cavalier était déguisé en chevalier comme à l'époque du moyen âge. Peut être participait-il à un jeu de rôle ou appartenait-il à une association visant à reproduire des scénes moyen-âgeuse.
Le cavalier possédait tout l'attirail d'un chevalier du Moyen-Âge : l'armure,l'épée, la cote de mailles et bien sûr le cheval. Cassandre se frotta les yeux, et se pinça pour être sûr qu'elle ne rêvait pas.
«*Êtes vous perdue gente damoiselle?*» lui lança le chevalier du haut de sa monture.
Cassandre s'approcha du cheval les yeux écarquillés de surprise.
«* Euh.. En fait..C'est que..*» bafouilla Cassandre ne sachant par quel bout commencer.
Le chevalier descendit alors prestement de son cheval, et enleva son casque. Cassandre découvrit alors un visage au allures de poupin. Le jeune homme devait avoir tout au plus 25 ans. Sa chevelure blonde avait des reflets dorés dû au soleil, et ses yeux trahissaient une grande maturité.
L'homme parut peiné tout d'un coup :
«*Suis je sot ou seulement impoli? Veuillez m'excuser gente dame, je me présente : Albin de BelleFontaine. Je suis propriétaire du bois où nous nous trouvons. Puis je vous dire que vous avez eu de la chance de ne point vous trouver céans un jour de chasse.*»
«*Enchanté Albin.. Mon nom est Cassandre et actuellement j'ignore ce que je fais ici.*» répondit Cassandre l'air génée.
«* Vous seriez vous égarée Madame? Oh mais vos vêtements sont tachées de terre et d'herbes. Permettez moi de vous offrir mon hospitalité pour la nuit. Ne restez point dans cette forêt seule, nombreux sont les brigands qui s'y aventurent et essayent de pénétrer ma demeure.*» lui proposa Albin , un sourire bienveillant aux lêvres.
Cassandre n'aimait pas ce genre de personnage. Malgré son sourire, sa carrure trahissait une habitude innée pour la guerre. Elle remarqua également son épée maculée de sang.. Elle pria au fond d'elle même pour qu'il ne s'agisse pas de sang humain. Elle ne savait pas où elle était, donc elle préféra accepter la propostion d'Albin de BelleFontaine qui l'observait avec des yeux curieux.
Alors qu'il chevauchait vers la demeure d'Albin, Cassandre lui demanda : «* Dites moi Albin, pourriez vous me dire où sommes nous ?*»
«* Nous sommes dans le parc de Valécieu chére damoiselle.. Vous ne vous en étiez point rendez compte?*» réagit Albin vigoreusement.
Cassandre lui lança un regard noir. Comment pouvais t-elle deviner? Valécieu, Valécieu.. Cassandre cherchait mentalement où bien cela pouvait il se trouver. Quoi qu'il en soit, ce Albin de BelleFontaine avait l'air d'un fou.. et cela ne l'a rassuré guère. Cependant c'était le seul qu'elle connaissait, elle décida donc d'entrer dans son jeu.
«* Dites moi Albin, à quel époque sommes nous?*» lui demanda Cassandre
«* Ah damoiselle, vous semblez ignorer bien des choses.. Nous sommes en 1381 sous le régne de Charles VÎ de France. Mais bon il me semble que vous le connaissez : tout le monde connaît le roi. Notre roi est bon.. Certains ménestrel l'appellent même Charles le Bien Aimée*. Que c'est plaisant comme nom!*» s'amusait Albin tout en guidant son cheval à travers la forêt.
«* Euh.. vous savez Albin. J'ai l'impression de mettre perdu dans votre époque. Vous savez, je ne vis pas sous le régne de Charles VI.. Je suis une jeune fille qui vis au 21éme siécle*» lui avoua Cassandre.
«*Au 21éme siécle? N'essayez point de me conter des histoires damoiselle. Avez vous toute votre tête? Ou peut être avez vous reçu un coup? Je crains que vous n'ayez besoin de vous reposer, vous semblez bien lasse*» lui dit Albin d'un coup direct et sans appel.
Cassandre préféra ne pas insister, et décida de remettre ses aveux à plus tard.
Au fur et à mesure qu'ils avançaient dans la forêt, les arbres étaient plus serrées et la lumiére devenait rare. Les oiseaux eux mêmes ne s'aventuraient pas là. Cassandra frissonna et rabattit la capuche de son pull sur sa tête comme pour se protéger de toute attaque de ce monde des ombres.
Albin semblait ne pas s'inquiêter. Au contraire, il sifflotait.
Puis au détour d'une clairière elle découvrit un immense château. Elle frotta ses yeux comme pour vérifier qu'elle ne rêvait toujours pas.
«* Et voici mon humble demeure Mademoiselle Cassandre*» annonca Albin quand ils furent face aux château. Sa «*demeure*» comme il l'appellait était faite de brique sombre, et d'un nombre incroyable de petite tourelles. Chaque tourelle étaient si pointu et si élancée que les oiseaux n'osaient guére se poser dessus de crainte de s'empaler une patte. Albin fit descendre Cassandre de cheval qu'il confia au palefrenier.
Le doute s'installa dans l'esprit de Cassandre.. Albin n'était pas seulement un fou qui aimait le Moyen Âge. Il était vraiment dans son rôle. Il habitait dans un château digne de ceux des rois de France. Il parlait presque en ancien français. Etait-elle vraiment au beau milieu du parc de Valécieu en 1381 ?... Tout d'un coup la tête lui tourna, et elle dut s'appuyer contre un mur pour ne pas tomber.
Une migraine la cloua sur place et une lumiére blanche, presque divine, l'aveugla.
Le trou noir. Le néant l'envelopa de ses bras vides. Lorsque Cassandre repris connaissance, elle était allongée sur un grand lit à baldaquin. La chambre dans laquelle elle se trouvait était sobre mais meublée comme avec goût. Des tableaux de personnages qu'elle ne connaissait guére ornaient les murs. Cassandre remarqua qu'une jeune fille était endormie sur un des fauteuil. Une chevelure brune encadrait son visage aux joues rosés de sommeil. Cassandre s'approcha d'elle à pas de loup.
Au craquement du sol, la jeune fille sursauta et ouvrit les yeux.
«* Ah Damoiselle Cassandre, vous êtes enfin éveillée.. Monseigneur de BelleFontaine et moi même craignons pour votre santé. Vous avez perdu connaissance tout à l'heure.*» s'empressa de lui dire la jeune fille.
Apres quelques minutes de discussions entre les deux jeunes femmes, Cassandre en savait plus sur cette jeune fille que sur elle même : elle s'appelait Marie et était domestique au château de la famille
BelleFontaine depuis prés de deux ans. Cassandre fut surprise d'apprendre qu'elle n'avait que dix-neuf ans.
«* Monseigneur de BelleFontaine vous attend pour le dîner Damoiselle Cassandre*» lui dit Marie, en remplissant une jarre d'eau pour que Cassandre puisse faire un brin de toilette. Cassandre revêtit la longue robe bleue pâle que lui tendait Marie. La jeune domestique peigna longuement les long cheveux blond aux reflet roux de Cassandre.
«* Monseigneur Albin m'a dit que vous pensiez venir du 21éme siécle. Est-ce vrai?*» s'enquit la jeune domestique.
Cassandre leva les yeux au ciel.. Voilà qu'Albin la croyait maintenant! Alors qu'il l'avait remballé vertement lorsqu'elle lui en avait parlé la derniere fois.
Cassandre pénétra dans la grande salle à manger... ou se trouvait Albin en grande pompe.
«Cassandre.. Savais vous que j'ai repensé à votre aveu tout à l'heure?*» lui annonca Albin d'un air fier. Cassandre se méfia de ce regard coquin et provocant. Il semblait avoir bu plus d'un verre de vin.
«* Et qu'avez vous donc à me dire Monseigneur?*» lui demanda Cassandre avec toute l'assurance qu'elle avait.
«* Vous m'avez affimé venir du 21éme siècle n'est ce pas? Eh bien, prouvez le moi! J'avoue que vos paroles m'ont quelque peu surpris au départ. Cependant je suis curieux et j'aimerais savoir votre vérité car chacun a sa vérité n'est ce pas..*» la nargua le chevalier.
Cassandre se tut. Comment prouver qu'elle venait du 21éme siécle? Elle n'avait ni portable, ni Ipod, ni Iphone.. Elle n'avait rien sur elle à part sa robe de princesse. Soudain une idée lui vint à l'esprit.. Elle pouvait lui dire l'avenir. Peut être la croirait-elle.. Avec beaucoup de chance et un sacré coup d'pouce du destin.
Cassandre s'approcha d'Albin, se plongea dans ses yeux bleus afin d'y déceler une menace quelconque.
«*Monseigneur, je n'ai guére sur moi de quoi vous prouver que je viens du futur. Cependant laisser moi vous conter l'avenir.*» lui proposa Cassandre, un sourire en coin.
Albin se retourna promptement et s'approcha d'un pas vif vers Cassandre. Une lueur de curiosité brillait dans ses pupilles.
«* Soit! Je vous écoute Damoiselle*» dit-il en s'asseyant sur un large fauteuil recouvert d'une peau de bête.
«* Votre roi , Charles IV de France, participe à ce que nous appelont La Guerre de Cents Ans. D'apres vos dires nous sommes en l'an 1381... Je peux vous dire que votre roi va s'allier avec Olivier I de Cresson lors de la Bataille de Roosebeck ou il vaincront les flamands dans le sang et la sueur. De lourdes pertes seront à déplorer, cependant ce n'est pas la préoccupation première des rois de votre époque. Enfin je vous rassure, au 20eme et 21 eme siécle non plus, les hommes sont les premiéres victimes des conflits. Si vous saviez le nombre de mort qu'il y a eu lors des Deux Guerres Mondiales.. Enfin non vous ne pouvez pas savoir. Vous allez mourir avant.*» raconta Cassandre tel un professeur d'histoire.
Albin de BelleFontaine écarquillait les yeux : «* Des guerres mondiales? Mais entre qui et qui Damoiselle Cassandre?*»
«* Ah c'est compliqué à expliquer en deux ou trois mots Monseigneur. La Premiere Guerre Mondiale s'est déroulée de 1914 à 1918 et c'était avant tout pour des conflits d'ordre militaire. Cette guerre est souvent qualifié de «*totale*» car beaucoup d'empire se sont effondrés et beaucoup de pays y ont participé. Euh.. La deuxieme guerre mondiale.. s'est déroulé de 1939 à 1945 et ce fut surtout car en Allemagne il y a eu un dictateur nommé Hitler qui avait des rêves de conquête tres expansive*» débita la jeune fille en essayant de se souvenir au maximum de ses cours d'histoires.
Au fur et à mesure que Cassandre lui contait l'histoire, Albin semblait se décomposer sur place :*
«* L'Homme ne changera t-il jamais? Diantre! Pourquoi faut-il que l'être humain soit aussi noir et sombre ? Vous vous rendez compte Cassandre qu'à cause de la folie des hommes nous avons massacré des peuples, et nous en massacrerons d'autre dans l'avenir que vous me contez..*» s'effondra Albin, en tapant du poing sur l'accoudoir de son fauteuil.
«* Monseigneur, je comprend ce que vous ressentez. Cependant je ne partage pas votre avis. L'Homme a certes une folie qui le pousse à toujours vouloir plus , à toujours vouloir conquérir le territoire d'autrui, à toujours vouloir posséder ce qu'il n'a pas. L'Homme a un nombre incalculable de vices, l'Homme est un animal comme les autres Monseigneur à la seule différence que vous avons l'impression d'être plus évolué que d'autres animaux.
Permettez moi de vous faire remarquer que même si l'Homme a un côté profondément mauvais, je suis persuadé qu'en chaque être humain il y a une part de bonté. Un coté sombre et un coté clair voyez vous? Comme le jour et la nuit se marient si bien.. Il en est de même pour l'âme de l'être humain.*» philosophait Cassandre. Elle s'arrêta soudainement de parler. Albin la fixait comme si elle était la Vierge Marie en personne. Il détourna la tête, se leva de son fauteuil et alla se servir un autre verre de vin.
«* Ainsi vous pensez que l'être humain a un bon côté? Et que me répondez vous à tout ce que vous venez de me raconter ma chére.. Pensez vous toujours que l'être humain est bon lorsqu'il peut créer deux guerres mondiales? A vrai dire, je n'en suis pas certain. Le seul but de l'être humain est de faire la guerre. Conquérir, voilà ce qui donne du courage aux hommes. Se battre voilà qui est la base du patriotisme chez nos soldats. Pas un ne voudrait changer leur places contre une place de paysans par exemple. Ses hommes sont assoiffés de sang.. Il haïssent leur ennemis et n'ont qu'un seul but : les tuer.*» enragea Albin.
Un silence s'abbattit en plein milieu du débat. Cassandre sentit venir un vertige. Le revoilà.. Le néant. Il était devant elle, une espèce de lumiére blanche s'avança vers elle. Bizzarement elle n'avait pas peur. Elle avançait pas à pas vers cette lumiére blanche. Le néant pris son esprit. Elle perdit instantanément connaissance.
«*Casssandre!*» s'écria Albin en courant vers elle. Il fut trop tard. Le néant fut désigné vainqueur de ce round final.
Biiiiiiiiiiiiiiiiiiiiip*.
Des murs blancs, des draps blancs, des personnes habillées de blancs.
«* Docteur! Regardez, là voilà qui ouvre les yeux*» s'écria une infirmiére.
C’était un matin comme les autres. Le vent, léger et doux me permettait de naviguer sans bruit.
C’était un matin brumeux. Je ne pouvais voir à plus de deux cents pieds.
C’était un matin comme les autres. C’était du moins ce que je croyais.
Lorsque j’y repense, mon ancienne vie n’est pas si loin. Enfin, ce n’est que l’impression que j’ai désormais. Voilà deux ans, deux longues années, que je suis à la tête d’une flotte. De l’Escadre Française …
Et pourtant, je n’ai jamais eu de connaissances dans le domaine de la guerre maritime. Ce n’est que grâce à mon anoblissement que j’ai pu atteindre cette fonction. Et au final, je me suis toujours demandé si cela avait une bonne chose.
Mais désormais, je ne regrette rien. J’ai pu détruire, massacrer, occire, décapiter et supprimer des flottes anglaises. À chaque fois, plus importantes. À chaque fois, plus grandes.
Mais aujourd’hui, tout va changer. Ma vie, ma philosophie, mes envies … mon âme elle-même va se corrompre, s’altérer, se modifier, se détériorer et se dégrader. Maquillée et contrefaite, elle vivra en moi. Je ne serais plus que l’image viciée et dépravée de ce que j’étais autrefois. Je ne serais simplement plus moi, mais quelqu’un d’autre. Un lui dénaturé et déformé, pourri et avarié. Flétri au plus haut point. Mais tout cela, signera la fin de cette journée.
23 Septembre, de l’an 1338. Je suis à la tête de la plus grosse flotte de guerre française de ces dernières années. La brume cache nos navires à l’approche de la côte des Pays-Bas. Le peu de vent nous permet d’avancer, sans craindre que des oreilles tendues puissent entendre le claquement d’une voile.
La plus grosse flotte française des dernières années. Plus de quatre-vingt-dix navires. Des navires armés au-delà de l’imaginable. Au-delà du possible. Quarante-huit galères de combat, fortifiées, cuirassées, blindées. Bardées et hérissées d’armes, mais aussi d’artillerie. Artillerie, que nous avons mis longtemps à maitriser lors de nos combats navals. Et deux magnifiques caraques de guerre. Elles-mêmes ouvrages de défense et d’attaque. À la vue de ces navires, tout homme voudrait s’enfuir, lâchement, sans honneur.
Mes hommes, mes guerriers, mes soldats et mes marins se sont entraînés de longues journées et de longues nuits durant. Pour me faire honneur, et pour prouver leur loyauté envers la couronne française. Ils ont maintes fois versé leurs sangs lors de batailles. Ils ont maintes fois prouvé leurs valeurs ! Prouver leurs loyautés ! Prouver tout ce qu’un homme digne de confiance est capable de prouver. Si je l’ordonnais, ils donneraient leurs vies pour leur roi, et cela sans même hésiter, discuter ou tergiverser.
Mes hommes, mes guerriers et mes soldats. Des hommes, et bien plus que cela.
La brume se lève. Pour la première fois, je vois mon objectif clairement. Cinq magnifiques et immenses Nefs anglaises, traîtres à notre couronne, à notre nation. À notre empire. Mon cœur bat la chamade. J’entends l’affolement qui s’empare des marins ennemis. Je peux le comprendre. À la vue d’une telle flotte, je prendrais également mes jambes à mon cou. L’adrénaline se déverse en moi, altérant le temps. Augmentant mes capacités à réagir promptement. J’entends mes soldats hurler leurs envies, leurs désirs et leurs soifs de bataille. Je les jalouse et convoite également la folie des marins anglais, de se frotter, qu’ils osent, à mon navire. Je le veux par-dessus tout.
J’entends les capitaines commander à leurs marins de hisser les dernières voiles, de façon à prendre l’élan, la vitesse, la vélocité et la célérité nécessaires pour porter un coup à l’intérieur du port d’Arnemuiden. J’ai hâte. Hâte de sentir l’échine des navires se briser sous les coques de mes navires. D’entendre les hurlements de peur et fureur. De crainte et de détresse. D’épouvante et démence.
Perdus dans mes pensées, l’adrénaline courbant l’appréhension du temps, mes navires percutent la petite flotte anglaise, balançant par-dessus bord de nombreux marins et soldats ennemis. J’entends les hurlements des futurs noyés. Je souris, pensant à leurs détresses, souhaitant une mort lente et douloureuse à ces derniers.
Ma flotte continue d’avancer, inexorablement, fatalement et inévitablement vers son but. Son objectif, sa cible. Mes combattants sautent de navire en navire, massacrant de nombreux adversaires, capturant de nombreux marins.
Je me joins à cette folie meurtrière avançant à côté de mes caporaux et de mes sergents. Mon arme massacre, extermine, découpe, assassine, fauche, égorge, étripe, écrase et saigne ceux qui ont la démence et la débilité de se dresser devant moi. Je nage en plein délire meurtrier. Divagation de mon esprit sur les champs de bataille. Et c’est là, à ce moment précis que je l’aperçois. Le commandant de cette force navale. Je me focalise sur ce nouvel ennemi. Je me focalise sur le son de sa voix. J’entends comme un soupçon d’anxiété et d’épouvante. Une once de frousse. Un commandant, et un fier guerrier m’avait-on dit. Mais devant ne se tiens qu’un homme, gisant dans une mare de pisse, tremblotant face à mes armées. Toujours avec un esprit divaguant mon épée s’abat, lui détachant allégrement la tête du corps.
Elle chute, inlassablement vers le pont. Le sang gicle par saccade de son coup béant, ouvert sur son âme. Le sang, chaud et au goût ferreux me couvre de la tête aux pieds.
Je distingue les vivats et les acclamations de mes fiers combattants. L’armée anglaise n’aura que peu résisté. La tête en est tombée. Du coup, le corps ne réagit plus.
Les marins et les combattants ennemis déposent les armes, se mettent à genoux. Mon regard dédaigneux circule de navire en navire. Voyant et comptant des centaines de prisonniers. L’ovation que me porte mon armée réveille en moi une chose que je ne connaissais pas encore ce matin. J’aime le goût du sang. J’aime massacrer les rangs ennemis.
Perversité, malice et dépravation naissent en moi. Égarant mon esprit au-delà des barrières de la conscience. Je ne suis plus moi-même. Je ne suis plus que l’image dépravée de ce que j’étais.
Je regarde autour de moi. Des centaines de prisonniers … Des litres et des litres de sang chaud. Mon vice me demande un tribut. Les Anglais vont connaître le Boucher d’Arnemuiden.
C’est ainsi que j’ordonne le massacre de tous les prisonniers ! Qu’aucun d’eux ne vivent ! Ils n’en sont pas dignes ! La vie se mérite au fil de son épée. Et ceux-là n’en ont plus.
La mer devient rouge, rouge de sang. Et moi, je souris gloussant d’un rire sans fin. C’est ainsi que se termine ma journée. C’est ainsi que j’ai changé.
Bonjour à tous, bonjour à tous ! Je suis la voix off de ce récit. C’est moi qui suis chargé de faire les différentes transitions et de veiller à ce que tout ça ne tombe pas du mauvais côté. Eh oui, parce que ça arrive, figurez-vous ! Et la plupart du temps, on s’attire les foudres des puristes, ce qui fait baisser notre réputation. Pas notre salaire, par c...
Hem, hem, hem ! Bien, je ne vais pas vous retenir plus longtemps. Passons dès à présent aux choses sérieuses !
Suprématie de la Haine
Prélude
Je hais les Anglois.
Je les exècre.
Puis, la fureur dans le sang, je les tue.
Les extermine.
Leur arrache le coeur.
Viens chercher leur âme dans les profondeurs de l’Enfer, là où toute bénédiction est rejetée.
Avec leurs restes, les pends.
Élimine toute trace de vie pour ces chiens, de quelque manière que ce fût.
Je ne dis pas ces paroles en l’air. Car moi, au contraire de certains qui n’ont jamais vu la couleur de la guerre, j’ai participé à bien des batailles. Des carnages, si l’on veut donner leur synonyme. Des morts, j’en ai vu. Il y a ceux qui sont morts en héros, en défendant leur patrie ; d’autres qui ont été tués alors qu’ils faisaient preuve de lâcheté ; et le reste...on ne les connaissait pas.
Je suis Ebbon, le vétéran. Cavalier et officier des troupes françoises, peu de gens ont mieux guerroyé que moi. J’ai trente-sept ans, et je sais que mes journées sont comptées par ce parasite, la vieillesse. La chevelure grise, les traits ridés, les cernes noires sous les yeux, le dos souffrant d’arthrite, je ne suis plus aussi beau qu’avant. Mes mouvements deviennent économiques, la fatigue me frappe quand le repos n’est pas suffisant. Je ne compte plus les morts que j’ai faites, non pas parce que j’en ai causé des dizaines et des dizaines - ce qui, dans un fond, est assez vrai - mais parce que ma mémoire des nombres chute.
Les peines quotidiennes me marquent l’âme, elles deviennent des démons qui troublent mon repos. Elles se balancent devant moi...et me narguent. J’ai été spectateur et victime de trop de crimes. Je ne peux arrêter cela...seulement l’aggraver par la douleur que je répands. Mais j’y reste insensible, car rien ne m’arrêtera jusqu’à ce que j’aie calmé cette vengeance qui m’insuffle la force à chaque combat. Vengeance qui semble impossible à atteindre, qui me ceinture le cou en m’étranglant alors que je m’épuise à escalader une falaise. Et pour cela, je méprise les responsables. Ils hurleront tous lorsque je les tiendrai, lorsqu’ils sauront la sottise qu’ils ont commise. Les cieux peuvent s’incliner devant la détermination qui anime un être humain, inférieur à la puissance de la guerre. Ils peuvent tous se cacher en attendant le sort final, le terme de ces tristes événements.
Je suis Ebbon...Ebbon.
Et vous allez voir MA FUREUR !
Et voici maintenant le récit de cette palpitante aventure !
Soulevez le rideau !
Un épéiste vint couper mes pensées en soulevant un monceau de toile de ma tente. Je ne me pris même pas la peine de le dévisager.
- Voici l’heure, m’annonça-t-il.
L’heure. Cela ne vous signifie rien, cher lecteur ? Tant pis. Je ne me prendrai même pas la peine de vous l’expliquer ; en fait, je perds déjà mon temps à écrire ces quelques lignes. Peut-être ne seront-elles jamais lues et perdues dans les confins de l’oubli.
J’avançai vers l’extérieur tandis que le soldat partait. Dehors, le soleil brillait de ses mille éclats, dans un ciel d’un bleu rassurant. Un temps agréable. Mais pour un duel de cette sorte...gênant. On me regardait, me scrutait, comme si j’étais le pantin de la foule aux exigeances sans limites. Mais moi, indifférent, je continuais à aller vers l’extérieur du campement bondé. Ils ne devaient pas me distraire.
Je suis Ebbon, le vétéran. Et je ne plie devant personne, sauf mes mentors : la peur, la fatigue et la mort.
Nous sommes en l’an de grâce MCCXCVI. La guerre fait rage, les Anglois nous pourrissent la vie avec leurs invasions. Ces cochons sans pattes voient à peine plus loin que leurs bottes, et pourtant ils sont en train de ravager la France de leurs javelots retors et leurs carreaux traîtres. Des multitudes de disettes menaçent de frapper le pays. Des meurtres risquent d’être commis, des incendies de se propager, des réfugiés de s’installer. La solution à toutes ces catastrophes ? Surprendre les envahisseurs grâce à un plan sans faille.
Or, le plan a échoué. Le général Gondebaud est mort. Je le connaissais bien. Il avait tendance à céder à la rage, mais était un bon tacticien. Il savait remonter le moral de ses hommes. C’était sur lui que pas mal de choses reposaient...jusqu’à ce que la rage tue le tacticien. Il avait eu l’idée de faire croire à une embuscade avec une centaine de ses hommes. Pendant ce temps, lui devrait les prendre de l’autre côté, et semer la discorde sur le champ de bataille. Opération réussie. Mais le général ennemi avait flairé le piège...et il avait ordonné à ses hommes de cesser de combattre la centaine d’hommes censés créer le piège. Frustré par cet échec, il s’était mis à maudire les racines de son adversaire, et avait foncé en avant, seul. Quelques secondes plus tard, il luttait contre la souffrance, une flèche dans la jugulaire.
Ç’avait été le chaos. Les François, sans général, s’étaient éparpillés dans tous les sens, se dispersant en essayant de prendre la fuite. Les Anglois avaient profité de cet avantage pour nous donner la chasse, nous cernant de tous côtés pour mieux nous tuer. Quand je vous disais qu’ils étaient fourbes. Moi, je n’étais qu’un petit officier presque sans importance, personne ne pouvait me faire confiance. Mais dans la panique omniprésente, les survivants, environ un millier sur quatorze mille au départ, s’étaient tous ralliés à mon cheval, et nous nous enfuyâmes vers une destination inconnue. Notre seul but : vivre une journée de plus, voire plusieurs si l’on arrivait à les semer.
Résultat des courses : les Anglois avaient réussi à nous rattraper en moins d’une journée. S’étaient ensuivies des négociations. Un diplomate, accompagné d’un interprète, était venu nous demander de nous rendre. En échange, nous aurions la vie sauve, et la possibilité de nous replier pendant une durée de cinq jours. La promesse, bien qu’alléchante pour celui à qui il ne reste plus beaucoup de temps sur cette terre, ne m’avait pas rendu dupe.
- Vos intentions sont-elles honorables ? lui avais-je demandé.
- Oui, avait dit l’interprète après avoir traduit la question précédente et écouté la réponse du diplomate, elles le sont.
En rigolant, je lui avais par la suite rétorqué :
- Eh bien, vous pourrez toujours les proposer au Diable, le dos rouge de coups de fouet ! Je vous crache dessus, vous, votre famille, votre roi et votre nation ! Puisse votre âme connaître des jours hantés par la douleur, la souffrance de savoir que vous avez échoué ! Je vous noie dans un sac avec votre langue, et je vous expédie dans ce qui s’appelle la décrépitude de la victoire !...Vous êtes tellement poltrons que vous osez nous demander de coopérer ! Moi, je vous jure que je ne mourrai pas en lâche comme vos ignobles corps à la cervelle liquéfiée, et si je meurs, je reviendrai du royaume des défunts pour venir vomir sur les bottes de votre damné roi toutes les peines que nous vous avez infligées ! ALLEZ TOUS EN ENFER !!!
Peu de temps après, suite à cette entrevue tendue, un chevalier au nombre de coutelas, dagues, épées, haches et lances quasi illimité, vint me voir. Bizarrement, il avait le visage voilé par un masque de cuir noir, comme s’il tenait à ce qu’on ne le remarque pas.
- Mon seigneur, le général Stilleman, m’a dit de vous défier en duel, avait-il déclaré dans un accent anglais déplorable. Aussi, je viens, et je vous injure que, tant que vous serez vivant, je ne me permettrai pas de m’allonger dans la tombe ! Alors, que dites-vous de cela, espèce de minable François ? Je vous ai insulté, vous êtes obligé de me défier à l’escrime !
Ses deux yeux d’un bleu scintillant ne laissaient percevoir aucune émotion.
- Votre prétendu général est tellement dégonflé qu’il ne se prend même pas la peine de se bouger pour le demander à votre place ? Des asticots doivent sortir de sa bouche pour qu’il ne le fîsse pas. Néanmoins, j’accepte votre défi. Le duel aura lieu demain midi, sur chevaux. Avec lance, épée et pavois. Si l’un gagne, il aura le droit de s’emparer de ces terres, de la Bretagne à la Normandie.
- Quand vous échouerez, les survivants seront tous morts, avait-il ajouté en s’éloignant.
Et maintenant, voilà que j’étais en train de marcher vers le lieu du combat, après une nuit blanche faite de réflexion. Impossible de dormir en sachant qu’il s’agirait peut-être de son dernier sommeil avant la mort. Je m’étais ainsi promené dans tout le camp improvisé, où des hommes se voyaient obligés de partager la même tente parce qu’ils avaient perdu leurs affaires lors de la panique générale, deux jours avant. J’avais vérifié soigneusement le stock d’armes en prévision pour le moment sanglant, au cas où mes propres armes seraient sabotées. Là-dessus, aucun problème. J’avais aussi pris garde aux deux chevaux, à l’extérieur du camp. Les bêtes étaient bien nourries, du fourrage leur avait été récemment donné. Mais malgré cela, je n’étais toujours pas rassuré. Ces Anglois, tels que je les connaissais, étaient prêts à tout pour saper les forces ennemies. Je veillais donc durant des heures entières interminables, jusqu’au lever du soleil.
Je m’approchais de plus en plus du lieu où se déroulerait le duel, entre l’armée du général Stilleman, constituée d’environ vingt mille hommes aguerris, et mon campement d’un nombre ridicule de mille soldats inexpérimentés. J’étais la bête qui allait combattre son chasseur. Le gladiateur, dans l’amphithéâtre, allant tuer ce qui aurait pu être un ami pour le seul plaisir de la foule. L’été battait son plein, et l’herbe, fleurie et sèche au sol, ne demandait qu’un peu d’humidité pour mieux pouvoir se développer. Un temps à paresser dehors à l’ombre de tout souci, quoi. Ce qui n’était absolument pas le cas pour moi. Mais je sais tuer, particulièrement de manière rusée en usant de surprise et de distraction. Car quel est le point faible de la plupart des êtres humains ? La déconcentration, due à un élément perturbateur, déclenchant à coup sûr l’avant-mort.
Je suis Ebbon, le vétéran. Et que Jésus soit maudit si je ne vois pas la victoire de la France voir le jour. Que tous ces illuminés qui croient en la paix éternelle soient crucifiés sur un bûcher, la corde autour de leur belle gorge.
Sans m’en rendre compte, j’étais à présent arrivé à destination. Les hommes de Stilleman avaient délimité, sous ses ordres, le terrain qui nous était consacré, à moi et à mon adversaire. Des planches de bois rudimentaires, deux de hauteur et dix de longueur, avaient été placées à l’horizontale afin que tout le monde puisse voir le spectacle. Un monde fou était rassemblé tout autour, des Anglois se mélangeant aux François. Ils étaient tous en équipement militaire, n’ayant absolument aucune confiance à leurs voisins. Afin de me protéger du soleil au zénith, je plaçai mes mains au-dessus de mes yeux, et entrai sur le terrain, soudain peu confiant. Les deux montures étaient chacune placéees à égale distance, tout au bout de l’espace de combat. Mon adversaire, lui, se tenait déjà prêt, sur la selle de son cheval de couleur noire. Je remarquai qu’il portait toujours son masque, ce qui m’horripila.
- Alors, comment se porte notre fier Frenchie ? ironisa-t-il en me voyant. A-t-il été prier pour garder sa vie, avant de se faire laminer comme une fillette de sept ans ?
Des provocations. Allons bon, il croit me déstabiliser, comme ça. Croit-il qu’un vieillard comme moi soit aussi naïf, après avoir enduré cent campagnes ?
Il paraissait attendre ma réaction avec impatience, s’imaginant qu’il allait se produire quelque chose qui lui permettrait de m’avoir en quelques fractions de seconde. Idiot.
Décidément, je hais les Anglois.
Mon hongre bai, lui, attendait, l’air impassible. Il agitait la tête nerveusement. Il savait ce qui l’attendait. Et dans la plupart des duels, c’était la monture du perdant qui mourait en premier. Enfin bon. Je n’allais pas me soucier de cette bête juste bonne à galoper vers sa perte. Je ne la connaissais même pas. Mon cheval avait été tué dans la bataille, deux jours avant.
D’un seul mouvement, je montai, déplaçant ma montagne de muscles usés brusquement. Je pris les rênes et les enroulai autour de ma main gauche d’une façon experte. Les rayons du soleil me percèrent de nouveau les yeux, et je me retins de grommeller. Pas bon pour se battre, ça. Cela pouvait fausser tous les réflexes, et me tromper sur les intentions de mon adversaire. Mais lui était dans la même situation que moi.
Une forme indéterminée vint vers moi et me tendit tout d’abord ma lance. Elle était longue, et lourde. La première arme pour faire tomber l’ennemi en le blessant légèrement. La deuxième, pour l’affront à mort, me fut donné : l’épée, symbole suprême du sang qui coule peu à peu au nombre des blessures engendrées. Et pour me défendre, le pavois, ce grand et épais bouclier, que l’on me donna en dernier. Je me retrouvai avec toute cette cargaison, et mon dos protesta de douleur. Un vieux qui se retrouve étouffé par ses armes ! Cela me fit rire jaune. J’étais bien obligé de laisser les rênes sur le garrot, ce qui ne me garantissait pas un bon équilibre. Lance dans la main droite, pavois dans la gauche. Et pour ce qui était de l’épée, je la rangeai dans mon fourreau.
La foule criait d’excitation, attendant impatiemment l’action. Je pouvais même entendre quelques injures angloises, qui, même si leur sens m’échappait complètement, ressemblaient fort bien à des insultes. Pour peu, on m’aurait envoyé des légumes pour me donner une réaction systématique.
- Quand tu veux, fillette ! s’exclama mon adversaire, les yeux bleus se fixant durement sur moi.
Je vérifiai mon plastron, au cas où il ne serait pas bien ajusté. Les jambières en métal, aussi. Si elles m’échappaient, tout se fracasserait, et mes chances de survie seraient divisées par deux. Néanmoins, je ne portais pas de heaume, soucieux de bien voir. Contrairement à l’imbécile d’Anglois qui se tenait prêt à charger sans prévenir, dont la visibilité devait être fortement réduite, avec son masque qui devait lui coller la peau sous une chaleur pareille. De son visage, je ne pouvais scruter que son épaisseur de cheveux châtains raides et courts.
- Alors, on a peur ? Je croyais pourtant que tu avais assez de courage pour donner un coup de talons ! À moins que...tu n’en aies pas l’expérience ?
Comme seule réponse, j’ordonnai à mon hongre d’aller au triple galot. La sensation de vitesse fut instantanée, et j’aperçus l’Anglois faire de même. Le terrain était grand, il me restait encore des dizaines de mètres à parcourir avant d’atteindre ce chien. Je préparai ma lance, la tendant droit devant moi. Le vent provoqué par la vitesse me sifflait à l’oreille, me susurrait d’aller moins rapidement pour la laisser tranquille. J’entendais ma bête râler en essayant de conserver son souffle désespérément. Mais hors de question de ralentir. Mes yeux, fatigués par la vieillesse, tentaient de voir l’avancée de l’ennemi. Il allait plus vite que moi. Ce qui ferait que s’il me portait un coup, la vitesse accumulée provoquerait un choc beaucoup plus lourd, peut-être même la mort instantanée si je n’avais pas de chance.
- Va épousailler une sangsue ! crus-je entendre dans tout ce flou.
Mais l’insulte, plutôt que de me rendre furieux, me fit sourire.
Et soudain, ce fut le choc.
D’un seul coup, je fus percuté par quelque chose de pointu au flanc, qui me fit tomber comme une masse par terre.
Je m’écrasai sur l’herbe, et ma vue redevint normale. J’avais le corps trempé de sueur, et j’avais mal sur le côté. Je regardai la plaie. Heureusement, ça n’était pas entré profondément. Je relevai la tête. Mon cheval s’était cabré, et il attendait tel un pieu, pensant que j’allais revenir. Celui de l’Anglois trottait en laissant sortir de l’écume de sa bouche, et son cavalier agitait triomphalement sa lance, dont le bout était empreint de liquide rouge.
Ne me permettant même pas de reprendre mon souffle, je tirai ma lame d’un coup sec, son tranchant n’appelant que la mort par vagues de fausse détresse. Mon adversaire était toujours à cheval, et avançait vers moi, me menaçant de sa lance.
- Anglois ! lui criai-je. Espèce de poltron ! Si tu as le moindre courage, viens t’battre comme un homme, à pied ! Ton père devait être un rat, et ta mère une chèvre, hé, tête d’asperge ! Regarde ! Tu as tellement peur de tes origines que tu t’caches sous un masque !
L’insulte parut avoir effet sur lui, car ses yeux se mirent à se plisser de façon grotesque, et on pouvait voir, malgré le cuir noir, un mouvement évident de sourcils. C’est alors qu’il descendit brusquement, la haine sur le visage. Il tenait déjà son épée dans ses mains, qui devait peser minimum dix kilogrammes, ses autres outils de tuerie laissés nonchalamment par terre.
- Allez, viens, gros tas ! poursuivis-je.
- Tu crois si bien dire, mais tu es encore moins intelligent qu’une fourmi, et moins courageux qu’un lapin !
- Jolie comparaison, ironisai-je.
Et nous nous tournâmes autour, chacun défiant l’autre de son bout d’acier pointu auquel dépend la vie. La foule ne parlait plus. Maintenant, régnait un silence de mort, en attendant le résultat. Un coup bien placé, et l’un tuait l’autre sans plus de cérémonie. C’était la triste loi du sang versé. Cela paraissait interminable, bien que cela ne dure que quelques secondes. Secondes d’intense concentration, de doute et de certitudes pourtant peu justifiées. Dans ce monde de calme pourtant terrifiant, on avait une autre vision du monde pour le moins déconcertante. La vie est-elle si importante que ça, finalement ? Ou n’est-ce que le chemin fictionnel qui permet de progresser vers le plus grand mystère jamais résolu, y-a-t-il quelque chose après le décès ? Des cloportes ne seraient-ils pas plus bénéfiques à la Terre que nous ?
Finalement, le calme se rompit.
Ce fut moi qui envoyai un coup de taille, ne manquant l’Anglois que de quelques centimètres.
L’action démarra d’un seul coup.
Mon adversaire envoya une série de coups d’une vitesse surnaturelle, que moi-même eus du mal à parer et à anticiper. Je pus à peine passer à l’attaque face à ce déluge meurtrier, en train de m’épuiser peu à peu. Le tintement des lames était le seul bruit que l’on pouvait entendre, mis à part les mouvements de recul et d’avancement que nous pouvions faire.
Sacrément bon, pour un homme provocateur.
Et moi, dans ma vie, je n’avais fait que deux duels, le premier avec un homme gros et peureux, le deuxième face à un homme robuste qui se servait trop de sa furie. Là, c’était différent. Bloquages, esquives, j’étais obligé de tout faire à la fois pour éviter de me faire avoir. Celui-là, il préférait fatiguer avant de porter le coup final...et ça, c’était la patte des grands escrimeurs.
Il fallait à tout prix que je fasse quelque chose pour éviter cette calamnité.
Alors, je plongeai par terre, roulant autour de moi-même vers mon ennemi du plus vite que je pouvais.
- Qu’est-ce que...? entendis-je.
Mais il eut à peine le temps de réagir, car un coup de pied d’une violence inouïe s’était fait ressentir dans son entrejambe.
Et, comme n’importe quel être humain, il abaissa sa lame, pouvant à peine supporter cet horrible flot de douleur qui était en train de le submerger. Ma chance, dont il fallait profiter.
Mon épée – qui n’était pas très lourde – se ficha dans son tibia gauche, détériorant l’os. Un cri, tant de douleur que de rage, m’assaillit les oreilles.
- Ta mort se fera dans l’irrespect et le déshonneur, me dit-il d’une petite voix aiguë.
Mais je m’en contrefichais royalement, parce que c’était lui qui allait mourir dans l’irrespect et le déshonneur. Déjà, il était à moitié perdu, ne pouvant ainsi plus se mouvoir correctement pour marcher. Je roulai de nouveau, mais cette fois-ci de sens inverse. Je me levai. Le souffreteux était à plusieurs mètres de moi, et ne pouvait donc pas me porter de coup. De toute façon, il ne pouvait plus trop en faire.
- Alors, qui est moins intelligent qu’une fourmi ? lui lançai-je.
Un éclair de colère apparut dans ses pupilles, et il tenta d’avancer vers moi, avec son unique jambe droite, l’autre pendouillant bêtement. Il poussa un râle semblable à celui d’une bête folle furieuse.
- Je t’aurai, me dit-il.
- Et si vous abandonniez, à la place ?
- Dans tes rêves !
Et il redoubla ses tentatives. Mais vu l’état dans lequel il était, il fut à peine capable d’avancer quelques mètres. Et s’il bougeait plus, sa jambe lui enverrait un nouveau message d’extrême douleur.
Soupirant, j’allai à sa rencontre en marchant, l’épée toutefois dressée. On ne savait jamais, il pouvait me donner un coup sans que je ne m’y attende. Il était salement amoché. Il méritait maintenant comme titre « estropié », et il ne pourrait sans doute plus courir à nouveau.
J’étais tout prêt de lui, à présent. Si bien que je pouvais voir la terreur qui était en train de posséder son âme.
- Ne me tue pas, me supplia-t-il.
Mais je restai sourd à ses paroles, et commençai à brandir mon épée.
- CHIEN ! cria-t-il soudainement, repris d’une soudaine vigueur.
Il tenta un coup d’estoc maladroit vers mon buste, mais il semblait avoir oublié que j’étais protégé par mon plastron. L’incompréhension trôna sur ses traits autour de ses yeux.
C’était un imbécile. Tous les Anglois sont des imbéciles. Pris d’un soudain excès de fureur, je le relevai alors qu’il demeurait sur le sol en attendant son sort. Ce fut si brusque que sa jambe gauche émit un craquement, le faisant gémir de nouveau.
- Allez, debout !
Il avait tellement mal qu’il n’eut même pas la force de parler. Je l’attirai à moi, le débarrassant de son arme inutile à présent. Sa tête reposait sur mon épaule, et je lui murmurai à l’oreille :
- Quand ton général te rejoindra, plus tard, tu lui diras que tu es mort parce que Son Excellentissime Fainéant Anglois Stilleman t’a envoyé au combat. D’ailleurs, tu lui annonceras d’attendre parce que je viendrai pour venir lui découper le gras du ventre. Tu es d’accord ?
Le champion anglois s’apprêtait à répondre quelque chose, mais quelque chose lui coupa son récit.
C’était le tranchant d’une lame, qui défit sa gorge...
Je ramassai la tête qui était tombée au sol dans un giclement de sang immédiat, la saisis et la montrai à la foule béate.
Pas de cris de joie, rien. On aurait cru un enterrement, après que le cadavre de la personne soit dans sa toute dernière résidence. Je crachai le sang qui avait en partie taché mon visage. Puis, je lançai le trophée rond à un général anglois plus que surpris assis sur le fauteuil d’une estrade improvisée, et quittai le terrain sans rien dire de plus.
- Prenez ça, et fichez-moi le camp dans votre pays au plus vite.
L’interprète traduisit mes paroles. Mes hommes m’accompagnèrent vers le campement. Aucune parole ne fut échangée jusque-là. Puis, une fois à l’abri, ce fut la grande ruée. Tout le monde hurlait, chantait, et même quelques-uns bondissaient partout pour mieux se défouler. On me criait aux oreilles « On a gagné ! On a récupéré la Normandie et la Bretagne ! » et on clamait des « EBBON ! EBBON ! » presque partout dans tout le camp.
- Laissez-moi me reposer, simplement, ordonnai-je.
Puis j’allai vers ma tente. À l’intérieur, se trouvaient des armes de guerre ainsi qu’un lit de fortune, constitué de branches coupées et de paille. Je m’assis sur le lit, et cette absence de mouvements me fit du bien. Au fond, je savais que je ne pouvais pas encore mourir. Tant que je n’aurais pas balayé la France de ces profanes, je ne saurais trouver le repos.
Un bruit de bottes se fit entendre, et je levai la tête. Un de mes soldats, à voir sa cuirasse.
- Laissez-moi vous enlever votre équipement, vous devez mourir de chaud.
C’était vrai. Ce combat m’avait grandement échauffé, et l’air, ne pouvant véhiculer à l’intérieur de mon armure, n’avait pas arrangé les choses. Je me laissai donc faire, et je sentis des mains défaire les sangles de mon plastron, enlever mes jambières. Je me sentis soudain bien mieux, en pourpoint et pantalon noirs. Je voyais la transpiration sur ma peau, à tel point que l’on aurait cru que je m’étais baigné dans un lac juste avant.
J’étais content. Nous avions récupéré les terres encore envahies il y avait quelques minutes et apparemment perdues.
J’étais inconnu de la nation. Et pourtant, je pensais qu’à mon retour à la capitale le roi me tendrait une fière chandelle. Une chandelle que j’avais acquise au fil des années qui passent.
- Vous avez soif ? me demanda le soldat.
À l’évocation du mot « soif », mon cerveau fit le lien avec l’eau. Une eau qui luit au soleil et qui ne demande qu’à être bue. La salive me venant à la bouche, j’opinai.
- De l’eau ou du vin ? le questionna-t-il de nouveau.
- De l’eau. Le vin ne désaltère pas assez.
Il s’exécuta, et pendant ce temps je rêvais à un accueil de triomphe, à des vivats sans fin. Le roi lui-même me mettrait au rang de général, et là où les Anglois me verraient passer, ils ne dormiraient pas de la nuit. Chaque fois qu’un Anglois entendrait le nom « Ebbon », son visage pâlirait. Chaque fois qu’un groupe d’épéistes anglois sauraient que je suis venu pour les tuer, ils s’entretueraient et fuiraient. Chaque fois que je sortirais mon épée, l’on tremblerait. Et dès que je ferais un mort de plus...certains auraient l’unique chance de s’évanouir, d’autres pas. Car je suis Ebbon, le vétéran, et que de mon vécu je sais m’adapter à toutes les situations envisageables.
Une coupelle apparut sous mon nez, que je saisis. Sans plus attendre, j’avalai son contenu, et je souris quand mon gosier fut enfin rafraichi. J’en bus une autre gorgée, et fis signe au guerrier de partir :
- Merci, vous pouvez vous en aller.
- Je ne pense pas, non.
Furieux de cette réponse, je dévisageai le curieux homme et m’apprêtai à lui demander de quel droit il osait me parler ainsi, quand je me raidis en voyant quelque chose de singulièrement frappant.
Un masque...un masque qui couvrait son visage, sauf ses deux yeux bleus perçants.
- Je suis Narsès, et je suis revenu du plus profond de l’Enfer, me dit-il d’une voix hostile. Je viens chercher ce qui me revient de droit.
- Ce qui vous revient de droit ? Mais vous êtes complètement fou ! Je vous ai dit d’attendre l’arrivée de votre roi !
Narsès parut indifférent et se contenta d’observer la toiture.
- Après des décennies, cela fait étrange de revoir le monde des vivants...
Puis il se réintéressa à moi.
- En tous les cas, tu vas mourir mon vieux. Dommage pour toi.
- La raclée d’il y a vingt minutes ne vous a donc pas suffi ?
Une dague jaillit alors d’un seul coup dans sa poignée, et instinctivement je mis ma main sur mon fourreau. Mais quelque chose me parut bizarre. Je regardai, et je constatai avec horreur une chose : ma lame n’était plus là, celui qui était devant moi me l’avait prise sans que je ne m’en rende compte !
J’eus beau essayer de me défendre en esquivant, je sentis quelque chose d’affreusement pointu dans ma poitrine, se frayant un chemin dans mon coeur.
Lorsque je m’éveillai, j’eus sans doute la plus grande surprise de mon existence.
Je me trouvais dans un royaume où le feu, l’eau et la glace, l’ombre et la lumière étaient réunis de façon inexpliquée. J’entendais des cris, des prières et des rugissements de joie, et pourtant j’étais seul. Seul tel une bougie dans les abysses du désespoir. En temps normal, et dans d’autres circonstances, j’aurais été terrorisé par tant de confusion, comme si je me retrouvais sur les murailles d’un siège, debout sur les merlons. Je me demandai un instant si je n’avais pas perdu la vue. Pourtant si, puisque je voyais des reflets jaunes, rouges et verts devant moi, dansant et se déplaçant. J’avais l’impression d’avoir été assommé et que ces résultats n’étaient que des conséquences.
Je marchai – ou plutôt, flottai, nageai ou volai, impossible à déterminer – et les couleurs paraissaient me suivre. Il m’aurait semblé qu’elles seraient restées derrière moi, et pourtant un peu plus loin elles étaient là. M’indiquaient-elles de me suivre ? Ou, comme je le disais tout à l’heure, était-ce une détérioration de ma vue ? Impossible de le savoir. Pourtant, je continuai à avancer, avec la désagréable impression d’avoir perdu le sens du toucher.
Les couleurs continuaient à me suivre de la même manière. On aurait cru voir les traits d’un tableau populaire. Sous mes pieds, je pouvais remarquer de la glace d’une épaisseur d’un mètre, créant un espace d’un blanc impeccable. Et pourtant, le feu et l’eau étaient bien présents, bien que je fusse incapable de dire ce qu’il en advenait. En fait, dans ce lieu désolé, j’étais incapable de dire quoi que ce soit d’autre.
- Oui, oui, j’arrive ! Laissez-moi au moins le temps de souffler un peu, d’accord ?
Cette parole tout à fait loufoque provenait d’une source inconnue, mais je pouvais distinguer son ton très mélodieux et innocent. Je pouvais entendre un souffle régulier. Je m’imaginais instantanément un athlète en action dans un entraînement d’endurance. Je lui obéissais donc en l’attendant.
Quand d’un seul coup une intense lumière m’envahit, si bien que je dus me couvrir les yeux de mes mains. J’attendis quelques secondes, et regardai enfin, pour avoir une deuxième grande surprise.
J’étais au milieu de nuages vaporeux, debout alors que j’aurais dû tomber d’à mon avis plusieurs milliers de mètres. Outre les nuages, le ciel était d’un rose et violet agréable, révélant l’aube ou le crépuscule. Je n’étais plus dans le noir, et les couleurs avaient disparu comme si elles n’avaient jamais existé. Ce n’était plus de la douce inquiétude que je ressentais, mais un très grand bonheur. Et, devant moi, devinez qui il y avait ?...
Un vieil homme chaleureux barbu, au sourire permanent et vêtu d’une toge qui changeait de couleur incessamment, virant du bleu au orange.
- Je t’ai débarrassé de ta non-faculté à voir dans la mort. Tu resteras ici pour l’éternité, parce qu’il n’existe pas de temps dans le trépas. Mais pour l’instant, avant de rendre le Jugement dernier, je te propose une petite devinette. Mon premier est de l’eau lancé en grande quantité. Mon second est dans les fruits. Et mon dernier résonne loin. Qui suis-je ?
Incapable de ressentir la moindre perte de moral, je réfléchis, sachant que tout ceci n’était qu’un jeu. Oui, un jeu. Un jeu d’échecs, où des pions défendent les rois, des cavaliers défendent les pions, des tours donnent l’alerte pour permettre aux fous, c’est à dire les gens de mon genre, de sauver la mise. Et, l’enjeu étant la survie, chaque camp se sert de coups de traître pour persécuter son adversaire. Et pour éviter que personne ne s’ennuie, les émotions interviennent, toutes très différentes.
- Jésus-Christ, dis-je alors.
La personne acquiesça.
- Eh oui, je suis bien Jésus. (Il rit.) Pas mal, non ? Rien ne vaut une bonne partie de rigolade pour bien commencer l’immortalité ! Mais je m’éloigne, il faut que je te dise où tu iras. Au Paradis, repos des âmes, ou en Enfer, terreur des damnés. Mais m’est avis que la première solution sera la bonne.
Il se mit alors à poser une main douce sur ma tête, et ferma les yeux un court moment, l’air profondément concentré. Puis, aussi vite que c’était venu, il la retira. À ma grande surprise, il avait l’air profondément déçu. Allais-je en Enfer ?
- Malheureusement, ce n’est pas encore l’heure pour toi. Ta vie n’est pas encore achevée ici, mon brave. (Il me saisit par la manche, et parla à toute vitesse.) Maintenant que tu es au courant, il me faut vite te parler avant qu’il ne soit trop tard. Écoute-moi. Ne laisse pas ta fureur envers les Anglois t’emporter. Il faut les respecter. Tu as un rôle à jouer dans ta patrie, et ils pourraient t’être très utiles à l’avenir. Tu comprends ?
- Oui, mais pourquoi...?
- Méfie-toi du masque, Ebbon. Il est couvert de cicatrices.
Et sans pouvoir parler davantage, je me sentis expédié et tiré vers le bas sans explication. Alors que je m’éloignais, j’entendais sa voix qui baissait de plus en plus.
- Salut à toi, fier François ! Tu reviendras ici pour ton salut ! Je te recontacterai !
Plus tard, après une chute démente, je retombai sur le sol d’un seul coup, gardant mes bras devant moi pour couvrir ma tête. Mais le choc fut presque inexistant. En fait, j’avais juste l’impression d’être tombé d’un petit mètre. J’étais presque déçu de ne pas être resté en haut. Il faisait bon vivre, là-bas. Surtout qu’à l’endroit où je me trouvais, à l’instant présent, rien n’était favorable à l’être humain.
Un paysage aride et extrêmement chaud, absent de toute végétation. La terre était noire comme du charbon, et le soleil n’existait pas. Pourtant, la lumière était présente, bien qu’assez faible. Le ciel était rouge, et, chose extrêmement étrange, des poteaux triangulaires hérissés de pics se dressaient avec arrogance sur le terrain. Ils étaient quasi transparents tant ils étaient blancs, des figures géométriques de toutes sortes et de toutes couleurs se reflétaient dedans. Ils projetaient même parfois des éclairs marron. Il devait y en avoir des centaines, tant ils se perdaient de vue dans le lointain.
Ce n’était pas possible. Ce n’était pas réel, je rêvais, tout simplement. Ou alors, peut-être étais-je assommé par ma chute ?
C’est alors qu’une voix me parvint, me murmurant de pénétrer dans l’un d’eux, que je serais récompensé par la gloire, l’honneur et tout le tralala. Je haussai les épaules. Qu’est-ce que je risquais ? La vie n’était qu’un jeu d’échecs, de toute façon. Alors je choisis celui qui était deux pas à gauche de moi, et le franchis sans appréhension.
Comme sensation, vraiment, il n’y avait pas plus bizarre ! J’avais été chatouillé et étreint par une douce inconnue pendant ce qu’il me semblait des siècles et des siècles, et pourtant une seconde plus tard j’étais de l’autre côté. C’était exactement le même environnement, sauf que les poteaux avaient disparu. Ce qui libérait de l’espace supplémentaire.
Insouciant, je commençai donc à cheminer tranquillement. Mais je m’aperçus qu’il y avait quelque chose d’anormal. Fronçant mes vieux sourcils blancs, je constatai avec étonnement que j’allais plus vite qu’à la normale sans pour autant faire le moindre effort nécessaire. J’allais à la vitesse d’un destrier en pleine course, et je ne savais trop pourquoi. Peut-être les mouvements étaient-ils plus favorisés que dans mon monde ?
Riant jaune de cette découverte, j’inspectai les lieux. Mis à part quelques bêtes squelettiques qui se faufilaient sans rien dire, il n’y avait personne ici. Et l’espace paraissait illimité. Cela commença à m’inquiéter, puis un noeud se forma dans ma gorge. Et comment ferais-je pour survivre, ici, sans eau, sans autre nourriture que le courage ? Je n’allais pas m’en sortir, ça c’était clair. Et aucune possibilité de faire chemin arrière, puisque j’avais remarqué que le panneau que j’avais emprunté avait disparu dès que j’étais arrivé ici.
Le désespoir m’envahit petit à petit, et je cessai de courir afin de préserver au maximum mon énergie vitale.
Des heures passèrent. Des heures où j’essayais vainement de trouver une solution à mes problèmes. Rien. J’étais perdu. Pourtant, j’avais envie de regagner le ciel pour que mon Jugement dernier soit accompli...mais la douleur avant ma mort inévitable, et surtout ma peur d’être souillé et d’aller en Enfer me traumatisaient.
Ma gorge se faisait sèche. Et je n’avais aucune outre, rien pour me désaltérer.
D’autres heures passèrent – enfin selon la durée je pense – si bien qu’une autre journée dut se lever. J’essayais pourtant de dormir, mais aucun moyen pour cela. Le sommeil devait aussi ne pas être incluse dans la charte de la survie, ici.
J’essayais de m’occuper à autre chose. Me rouler les pouces, par exemple. Ou essayer de creuser le plus profondément sous terre au seul moyen de mes mains, ce qui limitait mes possibilités.
Encore d’autres heures s’écoulèrent. J’avais tellement chaud que je retirai mon pourpoint et mes bottes. Mes yeux fourbus n’arrivaient toujours pas à se fermer, et j’étais pourtant si fatigué ! Je tentai toujours de trouver un moyen. Toujours rien, à part si j’avais quelque pouvoir shamanique inexploré.
Trois, cinq, dix, vingt. Je ne savais plus à quel période de la journée on se trouvait. Mais j’agonisais tellement que je ne me faisais pas cette peine. Ma gorge brûlait comme si j’avais avalé de l’huile tout récemment.
Je crois que finalement, ce n’est pas si fictionnel que ça, me dis-je alors que je marchais avec hyper rapidité.
Rageur, je donnai alors un coup de pied dans un caillou qui traînait par terre, qui fut presque lancé avec difficulté tant je me sentais faible.
- HÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ ! Doucement, doucement ! Veillez à respecter la loi de la postérité des roches, sinon cela n’a absolument plus aucun sens ! [...] Bon. Je vous pardonne, mais à une condition : que vous ne recommenciez plus. Ceci est fragile, messire, voyez-vous, et je ne tiens pas particulièrement à ce que vous tuiez tout ce en quoi j’ai toujours cru. Car, voyez-vous, et je ne sais pas si vous êtes au courant, la foy est toujours récompensée, de quelque manière que ce fût. Alors, quand vous vous déciderez à vous améliorer, (blablabla et patati et patata, broum, badam bam boum).
Ce moulin à parole provenait d’un prêtre qui avait fait son apparition sans qu’il n’y ait d’explication, sous mes yeux écarquillés. Habillé d’une robe noire, il était plutôt chétif, avait les yeux vifs et levait le doigt comme pour me faire la morale. Ses cheveux étaient en couronne sur son crâne mat.
- ...Donc, si vous avez bien entendu mes consignes, vous allez vous résigner à abandonner votre pèlerinage qui se résume plutôt à une malédiction, croire en la foy et...
Soudain il s’arrêta, me dévisageant sous tous les aspects, ses yeux verts me scrutant comme si j’étais une bête de somme.
- Mais...Mais ma parole, vous êtes Ebbon ! Celui que je recherche depuis une journée entière, suite à un ordre du ciel ! Vous devez être affamé et assoiffé.
- Un peu, oui, lui rétorquai-je. Mais pour quelle raison est-ce que vous me cherchiez ?
- Je ne sais pas, justement, me répondit-il en toute franchise. Mais voyez-vous, je suis le premier défenseur des roches de toute la France, et je trouve que pour un François de ce nom, franchement, vous me décevez. On ne lance pas un caillou comme ça, figurez-vous ! Je crois qu’une petite cure de croyance vous ferait le plus grand bien. Résumons donc tout ce que je vous conseille de faire...
- Et comment Diable est-ce que vous avez fait pour apparaître d’un seul coup, comme cela ? le coupai-je brutalement, énervé.
Le prêtre se courba en arrière et plaqua ses mains contre lui, l’air de souffrir.
- Ne prononcez plus ce nom, je vous prie ! Ah, décidément vous êtes un retors, vous ! (Il parut un instant perdu dans ses pensées.) Oui, oui, vous me demandiez comment j’avais fait pour apparaître d’un seul coup.
- Dépêchez-vous de me répondre, ça devient vraiment agaçant. Par quel moyen, comment et pourquoi ?
- Par quel moyen ? Eh bien, à l’aide des Triangles de Perfection. Comment ? En vous cherchant et en vous voyant faire du mal à ce pauvre caillou. Et, euh, pourquoi...
- Oui, pourquoi ? m’impatientai-je puisqu’il hésitait.
- Eh bien, parce que je fais partie des masques noirs profanateurs, autrement dit les Suppôts du Balcon.
***
Pendant ce temps, Stilleman, grand général des Anglois, fulminait.
Comment se faisait-il que son plus grand champion, véritable destructeur aux batailles, ait été vaincu ? Cela le dépassait. Il était invincible. Imbattable. Stilleman n’avait pas douté un seul instant de ses capacités. Et pourtant, en quelques minutes, sa fierté aussi solide que le béton avait été éradiquée. Disparue comme si elle n’avait jamais existé. Cet homme, Ebbon, devait être un sacré guerrier pour ainsi en venir à bout. Pas pour la rapidité – car avouons-le, il ne l’était pas – mais pour son expérience et sa défense irréprochables. Ce devait sûrement être grâce à sa longévité hors du commun. Des vieux qui devraient être loin sous terre pourtant toujours en train de combattre, c’était rare. Mais on pouvait facilement les éliminer, en connaissant bien leurs faiblesses. Pour cet autrefois inconnu, il avait remarqué un certain manque d’équilibre quand il devait plier les genoux et basculer en arrière, pieds accrochés au sol.
Il se souvenait du duel. Stilleman soutenait son champion à cent pour cent, convaincu qu’il parviendrait à gagner. Déjà, ce ridicule François, Ebbon, avait été éjecté de sa monture par un coup de lance frénétique. Complètement sonné, le général l’avait vu gésir comme un imbécile sur le sol, puis se relever à la façon d’un ivrogne. Et il avait provoqué, insulté le champion. Stilleman avait été persuadé qu’il ne faisait qu’accélérer sa perte. Or, le programme n’avait pas du tout été comme ça. En un temps qui avait semblé infime, il avait fait une de ses bottes secrètes, qui s’était déroulée en un quart, même un quart de quart de seconde, le blessant grièvement. Surprise ! Peu après, celui qui était le grand favori avait été défunt, et le général anglois avait eu droit à sa tête. Un visage d’horreur sur le futur. La braise qui incendie le coeur.
Après cet échec, il s’était résolu à retourner en Angleterre pour subir le courroux du Roy. En silence, il avait ordonné à ses hommes, le moral le plus bas, de se préparer à quitter les lieux dès le lendemain. Ç’avait vraiment été la journée du charognard moqueur, comme l’appelaient ses compagnons de guerre à l’âge où il n’était qu’un simple soldat, fervent guerrier de la nation.
Jusqu’à ce qu’un événement plus qu’inattendu se produise.
Alors qu’il résidait dans sa tente résigné, un homme lui était apparu. En fait, c’était plus précisément un esprit, car il était dépourvu de chair. Stilleman avait cru s’évanouir. Il ne l’avait aperçu qu’en se retournant. Son coeur avait failli lâcher. Il était difficile d’expliquer ce qu’il avait vu. C’était en quelque sorte un savant mélange d’un spectre et d’un cadavre pourri. Une aura noire l’entourait, mais au lieu de le rendre encore plus sombre, elle l’illuminait. Sa voix était horriblement grave.
- You are...the general Stilleman ?
- Yes, avait-il répondu d’une voix tremblante. But what do you make therefore in my tent, by which right, and especially how ? I can very well send you my bowmen, if you want. They wait outside, and will carry out the slightest order which I can give them.
- What I make here ? I come to claim that I should already have since a very long time ago. By what right ? What I just said to you. How ? In help of Triangles of Perfection. (Il avait regardé un moment d’un air absent le mobilier : un fauteuil en coton visiblement sculpté par un expert, un lit à baldaquin et un bureau avec un encrier, une plume et du parchemin, ainsi qu’une chaise pour être installé confortablement. On aurait cru qu’il y avait eu un vrai déménagement et qu’il avait fallu tout un char pour transporter tout ça.) You live in comfort, here. Too much, even. A little of blood on the cloth would prettify the decor a marvel.
Mais qu’est-ce que j’entends ??? Je m’absente à peine trois minutes, et voilà que c’est devenu du grand n’importe quoi ! Et à votre avis, comment vont-ils faire, les autres, pour comprendre ce qu’il se passe ??? Allez, arrangez-moi ça ! Il faut que ce soit en français !
...Bon, reprenons.
- Vous êtes...le général Stilleman ?
- Oui, avait-il répondu d’une voix tremblante. Auriez-vous un tailleur plus riche que le mien qui puisse me faire de meilleurs vêtements ? Ce serait très gentil de votre part. Tenez, si vous voulez vous asseoir, prenez mes belles fleurs sur le bureau. Elles sont moins splendides que le jardin d’Eden, mais elles sont plus ravissantes que la belle-soeur de mon cousin.
- Ah bon ? Très bien, je vais pouvoir en profiter pour les mettre dans ma bleue maison. Auriez-vous...
Mais nooooooooon !!! Les dialogues sont censés être sérieux, là...On n’est pas dans D&CO, ici ! Plus nazes comme doubleurs, franchement, y’a de la concurrence ; même pas capables de lire correctement leur texte !
- Vous êtes...le général Stilleman ?
- Oui, avait-il répondu d’une voix tremblante. Mais que faites-vous donc dans ma tente, par quel droit et surtout comment ? Je peux très bien vous envoyer mes archers, si vous voulez. Ils attendent dehors et réaliseront le plus petit ordre que je peux leur donner.
- Ce que je fais ici ? Je viens pour réclamer le dû que je devrais déjà avoir depuis il y a très longtemps. Par quel droit ? Ce que je vous ai juste dit. Comment ? À l’aide des Triangles de Perfection. (Il avait regardé un moment d’un air absent le mobilier : un fauteuil en coton visiblement sculpté par un expert, un lit à baldaquin et un bureau avec un encrier, une plume et du parchemin, ainsi qu’une chaise pour être installé confortablement. On aurait cru qu’il y avait eu un vrai déménagement et qu’il avait fallu tout un char pour transporter tout ça.) Vous vivez dans le confort, ici. Trop, même. Un peu de sang sur la toile embellirait à merveille le décor.
Le général avait senti une vague de terreur le submerger, et la chaleur avait enveloppé son corps pour évacuer ce sentiment. Il s’était senti comme perdu. Mais soudain, comme le vent apporte le frisson, une idée avait germé dans son esprit.
- Et quel est votre fameux « dû » ? avait-il demandé en dissimulant sa joie.
- Un corps à habiter, une nouvelle vie à ronger. Le fait de se sentir vivant de nouveau.
Stilleman avait eu grand-peine à ne pas montrer un sourire triomphant sur son visage carnassier droit et aux yeux marron perçants.
- Et si je vous offrais cette récompense, m’aideriez-vous à accomplir ma vengeance ?
- Bien sûr, à condition que cette entreprise ne requière pas plus d’une mort.
- Cela, je vous le garantis. Mais pour l’instant, occupons-nous du corps.
Le monstre avait disparu, mais le général avait pu toujours sentir sa présence menaçante à ses côtés tandis qu’il allait à l’extérieur et quittait progressivement le campement. Démoralisés, aucun homme ne lui avait demandé où il se rendait. Bientôt, ils étaient arrivés au lieu où s’était déroulé le duel. Il y avait toujours les barricades en place, et l’estrade était vide. Par terre, dans une mare de sang, le corps du champion Anglois sans tête reposait.
- Voilà, lui avait alors dit Stilleman. Vous devez sûrement savoir ce que vous...devez faire.
Le spectre-âme avait réapparu, et son aura noire s’était disloquée. Ses contours étaient devenus soudainement plus précis tandis qu’il tâtait le corps du champion. Quelques instants étaient passés, puis il avait arrêté et avait reproché au général :
- Il n’a plus de tête.
Le ton de ses propos laissaient entendre des pensées bien sombres.
- Normal, elle s’est détachée du reste du corps, avait répondu Stilleman en contenant son effroi croissant.
- Elle est ici ?
L’Anglois avait sorti de la poche de sa tunique verte un visage couvert d’un masque noir, des yeux bleus fixant le vide, du sang suintant encore de son cou. L’autre l’avait prise, et les mêmes changements s’étaient opérés en lui. Ensuite, il avait regardé le général en la gardant précieusement dans ses mains.
- Intéressant. Très intéressant.
- Alors, est-ce que vous pourrez vous la mettre ? J’y tiens particulièrement.
- Oh, mais ce sera avec un grand plaisir, avait-il dit dans un claquement de langue. Vous me rendez un fier service. Je m’en charge dès maintenant.
Ce qui s’était passé ensuite avait paru incroyable aux yeux du général. Il s’était mis dans une sorte de danse machinale, mais une danse hors de l’ordinaire. Il se mouvait non avec la grâce de la lumière, mais avec la séduction de la terreur. On eût dit une sorte de destruction de tout le vécu magnifique de l’environnement, de la naissance de la croûte terrestre à l’évolution de la toute dernière herbe. Ce spectacle avait duré des minutes entières, longues telles l’aube qui point après une nuit sans sommeil. Et, au bout de toute cette attente, le spectre-cadavre avait disparu. À la place, se trouvait un nouveau champion en un seul morceau, tout en armure et la transpiration visible sur sa peau. Son masque de cuir, d’un noir foncé, ne trahissait aucun sentiment.
- Ah...Cela fait du bien. Je vais maintenant pouvoir tuer cette personne au plus vite. Qui est-elle ?
- Vous le trouverez dans le camp des François, à quelques centaines de pieds d’ici (un pied = environ 30,50 centimètres). Il s’appelle Ebbon. Vous le trouverez facilement, c’est celui qui a des yeux gris clair et les cheveux et barbe blancs.
Et aussitôt à la vitesse de la lumière, il avait de nouveau disparu.
L’opération s’était très bien passée. Trop bien, même. Moins d’un quart d’heure après, on entendait des râles de rage et de stupéfaction au loin. Cette créature était puissante. En un clin d’oeil, elle avait assassiné ce minable François qui avait réussi à battre son meilleur guerrier. Stilleman s’était empressé de rassembler ses hommes étonnés voire surpris, et de les emmener dans ce qui était le dernier regroupement de la résistance Françoise. Tel un conquérant, le général, heaume au bras et main sur le pommeau de l’épée, avait été inspecter les lieux. Mais tout était vide, sauf le champion dont il n’arrivait jamais à retenir le nom qui restait debout à la manière d’un piquet, droit comme un i. Quand Stilleman s’était approché de lui, il l’avait regardé d’une façon si indifférente que son coeur s’était transformé en glace.
- Je vois que vous avez rempli correctement votre part du contrat, avait dit le général. Merci beaucoup pour votre aide. Mais...dites-moi, pourquoi n’y a-t-il personne ici ?
Le monstre avait regardé d’un air nonchalant tous les individus présents, des milliers. Cela n’avait eu l’air de ne lui faire aucun effet. L’atmosphère, empoisonnée, avait fait chavirer l’estomac des fiers Anglois, qui ne savaient toujours pas ce qui se passait.
- Je les ai envoyés voir mon maître. Ils ne doivent pas être tout à fait réjouis, là-bas. En fait, ils n’ont la capacité d’éprouver plus aucune émotion. Vous, vous ne savez pas ce que c’est. Mais croyez-moi, cela se produira...un jour où l’autre.
- Et où ? avait-il demandé, essayant d’ignorer ce sentiment de terreur continu.
- Cela ne vous regarde pas. Je ne suis pas en obligation de répondre à vos questions ; comme vous l’avez justement dit, j’ai rempli ma part du contrat. Pour l’instant, vous êtes tous prisonniers. Prisonniers, vous m’entendez ? des griffes de la mort. Mais pas de n’importe quelle mort : d’une mort éternelle et virtuelle, ne s’arrêtant qu’au pire stade, celui de l’oubli. Vous oublierez tout. Même que vous êtes humains. En quelques heures, vous essaierez de vous envoler, puis paniquerez. Et ce ne sera pas tout. Vous vous mettrez à vous manger vous-même, persuadés que votre chair est une malédiction. Vous n’aurez même plus l’humanité de pleurer, ni de gémir ou crier. Vous ne sentez pas la peur vous envahir ? Moi, je la perçois. Je la contrôle. Et ce, grâce à vous et à votre flagrante bêtise.
Stilleman se souvenait encore de ce moment avec horreur. Des cris de terreur pour ceux qui tenaient le plus à la vie, des cris de rage pour les impétueux, et des cris de pitié pour les plus lâches avaient retenti dans toute la vallée. C’était à ce moment précis qu’il avait compris sa terrible erreur. Au départ, il voulait sa revanche sur le vieillard qui avait contrecarré ses plans. Avec l’arrivée de cette créature, il s’était dit que faire mourir Ebbon dans le doute de ne pas savoir s’il avait véritablement tué son adversaire serait affreusement délicieux. Mais maintenant...il savait qu’il n’aurait pas dû recourir à ces extrêmes moyens à la légère.
Tous s’étaient volatilisés dans tout ce bruit de chaos. Tous, sauf lui et à sa proximité, son diplomate Stanley, le tout jeune mais aux capacités hors normes, qui avait convaincu bien des personnes. Celui qui avait pris le corps du champion les avait regardés tous deux, ses yeux les scrutant, paraissant inspecter leur âme. Le général n’avait pu s’empêcher de trembler un peu devant lui.
- Écoutez-moi, vous deux. Je vous sauve pour le moment de l’oubli. Mais vous êtes condamnés, comme les autres. Vous, Stilleman, vous savez des choses, je vous interrogerai. Vous, Stanley, vous m’apprendrez les différents langages de ce monde.
Le général confirmait intérieurement ce qu’il avait pensé : cette horreur lisait leur âme, elle connaissait leur nom.
Trois jours après, il était dans ce qui paraissait être le plus profond des abîmes, une terre d’un noir cendreux inhabité, sans soleil mais avec des quadrilatères de toutes formes surmontés de triangles équilatéraux qui projetaient avec leurs tracés rouges la lumière. Aucune plante n’était dans les règles de cet endroit maudit jusqu’à la moëlle. Il y allait souvent, quand le champion ressuscité le questionnait. Sinon, il passait le reste du temps dans sa tente. À chaque fois, il avait essayé de s’échapper ; mais bizarrement, une barrière invisible, un lien mental l’empêchait d’aller à l’extérieur pour monter sur un cheval, prendre un bateau et revenir dans le château du Roy pour lui expliquer la situation désespérée. Et il se fichait des conséquences. Au contraire, ç’aurait été un service que lui aurait rendu son souverain en le tuant.
Stanley avait été frappé d’un mystérieux cancer la veille au matin, qui l’avait tué. Stilleman, lui, s’efforçait de répondre aux nombreuses questions du spectre-cadavre, qui n’étaient parfois pas si simples que cela. Il lui arrivait qu’il soit obligé de répondre à « et après la mort, donc, qu’est-ce qu’il y a ? » dont il parvenait à s’esquiver d’une manière ou d’une autre. Il avait l’impression d’être surexploité, qu’il l’embêtait avec toutes ces énigmes simplement pour le rendre encore plus coi. C’était vraiment terrifiant, de ne rien savoir sur l’origine de cette peste ambulante.
Cela faisait trois jours. Il se demandait combien il lui restait de temps à vivre. Il cria d’un seul coup toute sa rage à travers cette terre dévastée. Si seulement il avait encore son épée...mais elle avait disparu, et il ne pouvait même pas avoir la joie de percer les poumons à son geôlier.
Il avait échoué. Et tout cela à cause de son laisser-aller.
Je suis Ebbon.
Le vétéran, le distributeur de souffrance.
Rien ne peut m’arrêter.
Pas même ces chiens d’Anglois, asservis par le désir de conquête.
Anglois qui se trouvaient devant moi, me menaçant de leurs bouts d’acier.
Ils m’entouraient. Ils étaient au total huit, sept et demi si l’on comptait celui qui avait un bras tranché et la clavicule touchée, gémissant par terre.
Le combat avait à peine commencé. Il était rude, l’action était à son comble.
Je brisai les côtes de l’un d’eux, qui s’effondra avec l’autre. Un autre Anglois au regard haineux me donna un coup d’estoc, que je parai tout en donnant un coup de pied à son camarade à ma gauche en plein visage. Puis ce fut un enchaînement de coups qu’ils me livrèrent, que je bloquai à grand-peine. Une lame traversa le dessus de mon bras. Je donnai une sévère réponse à l’aveuglette, et je sentis un corps tomber lui aussi.
Huit – trois = cinq.
Cinq qui mourraient dans les prochaines secondes à venir.
Les actions se succédèrent. Je laissai couler du sang de la poitrine de l’un d’eux, l’achevai au coeur alors qu’il regardait avec stupéfaction sa blessure, évitai une contre-attaque verticale de l’autre, détachai les jambes de celui qui était à mon extrême droite, m’acharnai sur lui en lui assenant des coups répétés avec le plat de mon épée. Immédiatement, je sautai sur les trois restants en poussant un cri de guerre, fis sortir mon arme à travers la nuque d’une autre malheureuse victime. De suite, j’exécutai un choc frontal lequel fit expédier les têtes de l’autre côté. Il ne restait plus rien, à part la force de la mort.
En moins d’une minute, je m’étais débarrassé de mes ennemis.
- Impressionnant, commenta Ridéric, le prêtre. Vous êtes doué.
Je regardai les morts qui jonchaient le sol noir, du sang imbibant leurs vêtements et coulant par terre.
- Je ne suis pas doué. Ce sont juste eux qui étaient inexpérimentés. Regardez, ils ne portaient même pas d’armure.
- C’est normal, c’étaient juste des reproductions irréelles de guerriers.
Au même moment, les Anglois disparurent ainsi que toute trace de ce qu’il s’était passé, c’est-à-dire leurs corps, leurs membres déchirés et le liquide rouge foncé qui en était sorti.
- Et si c’étaient des reproductions, comment se fait-il qu’ils n’aient pas de protection ? Je ne comprends pas.
- Les Suppôts du Balcon n’ont pas encore assez de connaissances sur la guerre humaine, dit le prêtre en enlevant son capuchon, dévoilant son nez en bec d’aigle proéminent. Ils sont en train de découvrir les coutumes et habitudes de notre civilisation.
Je le regardai, me demandant s’il serait bon de le questionner un peu plus à ce sujet.
Depuis ma rencontre avec cet énergumène, j’avais pu, à l’intermédiaire des Triangles de Perfection – ces poteaux des plus étranges –, retourner dans mon monde, qui même s’il est dur, se révèle plus correct que la terre noire sans végétation. Boire et manger m’avaient été disponibles, et j’avais pu profiter de cet espace si naturel, si beau, mais si ignoré, tandis que nous faisions nos provisions. Quand un chef de guerre décide de s’emparer de telle ou telle terre, il ne pense pas au sol qui la recouvre, mais à sa valeur nutritive et à l’exploitation qu’il peut en faire.
Ensuite, j’avais tenté de poser des questions à Ridéric à propos de son appartenance aux Suppôts du Balcon. Il avait refusé sèchement de me le révéler. N’osant pas en demander davantage, nous étions retournés dans ce monde infertile. Je me souvenais de cette impression d’être attiré par une main, exactement ce qui m’était arrivé lorsque j’avais quitté Jésus et son Jugement dernier. En silence, le prêtre m’avait fait signe de le suivre, et nous étions arrivés dans un Triangle de Perfection ma foi peu différent des autres. Le sol était toujours le même. Le seul changement était que trois cercles concentriques tournoyant dans le ciel noir éclairaient le tout. Nous avions avancé, moi dépendant de sa route. Et, plus loin, se trouvait une lumière verte, rouge et orange qui scintillait. Encore plus loin, j’avais vu une cathédrale immense qui ressemblait plus à une de ces mosquées d’Orient tant elle était arrondie. Autre détail qui m’avait frappé : ses contours étaient noirs, comme si un doux manteau recouvrait le bâtiment. Et, en nous approchant un peu plus, j’avais remarqué que la lumière provenait d’un immense clocher qui tanguait de façon anormale.
- Ce n’est pas normal, tout ça !
- Pas autant que l’outrage que l’on porte aux roches, avait objecté Rodéric.
- Ah, je crois qu’on est en train de faire du mal à un caillou sensible !
- Où ça ? Où ça ? avait-il répété nerveusement en regardant dans toutes les directions, ne se préoccupant plus de la cathédrale.
- Ben, dans votre tête. Elle est petite et il faut bien chercher, mais on arrive quand même à la trouver entre deux nerfs, à force, avais-je répondu tout en avançant vers le clocher.
Le clocher paraissait avoir un système automatique. Je me demandais comment cette lumière pouvait marcher, sans qu’on ne s’en occupe. Je n’avais jamais vu ça. On aurait dit un bateau sur l’océan qui basculait tantôt d’un côté tantôt de l’autre, sans jamais s’arrêter mais en marchant toujours aussi correctement. Je ne saurai dire ce que j’avais éprouvé à ce moment-là. Je m’émerveillai de l’horreur, voilà tout.
- Je me demande bien qui a fabriqué ce truc, m’étais-je interrogé à haute voix. Pas un apprenti-architecte, en tout cas.
Le prêtre, sa couronne de cheveux visible, tâtait sa croix en bois en marmonnant des paroles indistinctes. Ses petits yeux noirs irradiant de folie fixaient le ciel d’un air rêveur. Je m’étais demandé s’il comptait prier Dieu maintenant ou si je devais le bousculer pour qu’il le fasse plus tard.
- Ridéric ?...
- Oui, mon Fils ?
- C’était juste pour vous demander si je devais attendre que vous ayez terminé pour que vous m’en disiez un peu plus là-dessus.
- Pardonnez-moi, avait-il dit en retirant ses deux mains osseuses de son joujou. J’étais en train de lutter mentalement contre le mal que l’on a fait à ces pauvres pierres.
- Ah, je vois que vous avez donc trouvé l’âme soeur ! avais-je raillé. Il va falloir déloger le caillou d’vot’ crâne.
J’avais étudié de plus près le monument. Il dégageait une atmosphère envoûtante. Peut-être des ondes de sympathie ?
- Au moins, elle est plus utile que de l’huile condensée, on peut frapper avec, avait rétorqué l’autre en me rejoignant.
Je ne regardais même plus la cathédrale, je ne me préoccupais que de cet engin. Pouvait-on s’en servir comme arme de siège ? Avait-t-elle une très grande valeur, à la vente ?
J’avais presque envie de l’embrasser, de prendre cet oeuvre dans mes bras et de l’étreindre comme s’il s’agissait d’une personne vivante.
- Faites attention, Ebbon.
Je m’étais retourné.
- Eh bien, quoi ?
- N’essayez pas trop de la fixer des yeux, elle ne ferait qu’avaler votre cupidité. Je connais ceci. Les Suppôts du Balcon s’en servent pour obtenir des informations de quiconque en est ensorcellé. C’est un filet pour les poissons, en quelque sorte. N’y posez surtout pas vos lèvres, vous serez irrémédiablement emmené dans un monde encore plus infernal que celui-ci.
Il s’était assis, l’air anxieux.
- Écoutez-moi bien. Je vais vous parler des Suppôts du Balcon...
Mais il s’était arrêté dans ses paroles, car d’un seul coup une horde d’Anglois avait surgi, l’un d’eux portant une bannière représentant trois lions dorés aux griffes et langue bleus sur fond rouge, que je détestais par-dessus tout. Quelqu’un avait marmonné des paroles angloises – que je détestais aussi par-dessus tout –, puis ils nous avaient foncé dessus, épée devant eux, m’entourant petit à petit.
Et maintenant, je les avais tous vaincus.
- Venez.
Je me rapprochai et m’assis près de Ridéric qui avait repris la manie de tenir sa croix entre ses deux mains, et fixait le sol d’un air profondément contrit. Ses sourcils étaient plissés, révélant une profonde tristesse inavouée jusqu’à présent.
- Il fut un temps où j’étais jeune homme cherchant à servir ma ville en même tant que ma nation. Il fut un temps où le goût de la guerre équivalait à celui de la nourriture avec laquelle je survivais. Je voulais tuer et devenir un grand héros, comme les autres de mon époque. La milice ne pouvait évidemment que me soutenir dans ce choix ; c’était la période de l’insouciance, des mains dans les poches. Et, en même temps, j’aurais défendu ma famille comme un grand soldat, défiant quiconque d’hostile s’approcherait des portes de ma cité à moins d’un demi-kilomètre, que ce soit un infirme ou un démon. Ma vie était excitante, à la risquer toujours. J’assaillais parfois des brigands ou des Anglois soit à l’arc sur les remparts en pierre, soit à l’épée longue sur la plaine. Je ne perdais jamais, le sang tachait mes vêtements comme s’il s’agissait d’un trophée naturel, et je me commençais à me faire une solide réputation, après des plusieurs sièges endurés. C’était trop simple. Si bien que mes camarades commençaient à avoir des doutes sur moi. Jamais je ne recevais de blessures, même lacéré d’épées de tous les côtés. À la suite d’un test sur moi où mon supérieur me donna des coups sur les côtes, on me traita de sorcier en me voyant sans une égratignure et m’emmena au bûcher de suite. Mais les flammes n’eurent pas non plus d’effet sur moi. On tenta alors de me noyer dans un sac, ce qui ne les avança pas non plus. Profondément énervés, ils décidèrent alors tout simplement de m’expulser de la ville pour que je n’y revienne plus jamais, ni, après l’envoi d’un message, que je puisse aller librement dans chaque regroupement urbain de ma région. Moi, persuadé que je ne possédais aucun pouvoir magique, je me sentais innocent. J’acceptai donc, morne, ma situation et devins solitaire. Je peux vous dire que ce n’est pas drôle, de manger des racines à longueur de journée, sans autre occupation que marcher et rêver. Je dirais même que c’est encore plus morose qu’aller fondre des roches.
» Jusqu’au jour où quelque chose d’inattendu se produisit. J’étais en train de m’asperger d’eau sur la rive du lac. Quand soudain, je vis une figure sombre dans cette étendue de vitalité. Elle était scrutatrice, presque sévère. Elle était entourée de cheveux blancs bouclés très longs. Je me mis alors bien évidemment à crier devant cette horreur apparue devant mes yeux. Mais elle se mit alors à devenir plus brillante, et son expression s’était déformée, la rendant bienveillante. Déjà, en plein jour, j’étais frappé de terreur par ce surnaturel. Alors, en pleine nuit où les humains ont le plus peur, vous imaginez bien ce que ça aurait donné !
» N’aie crainte, me dit-elle sereinement. Bizarrement, cette voix ne paraissait pas être vraie, mais retentissait plutôt dans mon crâne. Je ne suis pas là pour t’effrayer. Je suis Dieu, le tout premier protecteur de l’Humanité, créateur de la Terre, inventeur de la vie mortelle, oracle des jours futurs. Et je...
- Il se la joue bien, Dieu ! lançai-je. On voit bien qu’il est fier de ce qu’il est !
- C’est peut-être vrai, mais vous venez de m’interrompre, me dit-il d’un air agacé.
- Et je suis venu pour te livrer une information des plus capitales, poursuivit le prêtre. Ridéric. Connais-tu le Diable ? Je lui répondis que oui, que c’était une sorte de deuxième nom pour moi. Eh bien, je t’annonce quelque chose de pas très encourageant : tu es son fils. Fils qu’il a conçu avec une mortelle il y a de cela deux décennies. À l’image de ta mère, tu as donc gardé une enveloppe charnelle humaine. Mais de ton géniteur, tu as un physique indestructible, une incapacité à mourir. Donc, il est normal que tu sois rejeté des villes. Tu n’as qu’une seule solution pour accomplir ce qui doit être accompli : rejoindre ton père dans les entrailles de l’Enfer.
» Mais tu peux aussi décider de ne pas suivre cette voie et rejoindre le côté du bien, de la paix et de l’harmonie. Me rejoindre pour veiller au repos des hommes, bien que tu ne coûtasses pas un châtiment si terrible pour ta race, ne jamais connaître la mort.
» Il te reste donc un dernier choix. Loin de là, dans un monde profondément inconnu, se terrent des démons, possédés par le savoir et la connaissance, inoffensifs. Ils ne connaissent pas le monde dans lequel tu vis, et cherchent à en apprendre le moindre filon. Ces hommes-là, on les appelle les Suppôts du Balcon. Si tu envisages cette possibilité, dis-le-moi, et je t’y emmènerai...pour l’éternité.
» Pour ma part, Ebbon, même si j’étais un peu secoué par toutes ces révélations d’un seul coup, je ne me sentais pas d’aller en Enfer ! J’aurais encore préféré me décapiter tout seul et rejoindre le Paradis. J’hésitais entre rejoindre notre Saint-Père et aller me frotter à ces mystérieux personnages. Finalement, j’optai pour la première solution, et en fis part au reflet. Quasi immédiatement, je rejoignis une terre aussi dévastée que le plus torride des déserts. Cette terre, messire.
» Je fus accueilli presque avec dérision, par un être au charme aussi envoûtant que révoltant. Il était tripède, avait des crochets aussi longs qu’une lame, qui montaient puis se pivotaient vers le devant jusqu’à dix centimètres, de sorte qu’elles présentaient une sérieuse menace à l’ennemi qui se trouvait en face de lui. Il avait des écailles noires, des cornes rouges lui poussaient sur le torse. Son front était courbé, ses yeux blancs, et comme je le remarquai plusieurs jours après, ses pieds comptaient quatorze orteils de chaque qui ressemblaient plus à des griffes. Un être du mal, quoi. Et pourtant, je parvenais à l’apprécier, pire, à l’aimer. Et dire que les autres Suppôts du Balcon lui étaient absolument identiques !
» Il n’existait pas d’habitation, là-bas. J’appris à passer ma vie dehors sur cet inverse de notre beau monde, à y dormir. On ne mangeait et ne buvait pas, là-bas. Et pourtant, toutes ces privations ne me firent aucun effet. Peut-être parce que j’étais le fils du Diable ? Sans doute. Je ne savais rien sur eux, leur mode de vie. Je leur posai d’innombrables questions au fil des jours. Et on me répondit qu’avec le temps et si j’étais observateur, j’en connaîtrai un rayon sur eux.
» Mais un jour – enfin, peut-être s’agissait-il d’une nuit – se passa quelque chose qui bouleversa à jamais l’existence des Suppôts du Balcon. J’en étais à peut-être des années de ma venue, ou peut-être simplement quelques dizaines d’heures. Je n’en savais rien. Toujours est-il que j’étais en train de m’éloigner du regroupement afin de me promener quand je trouvai un masque noir, par terre, que bien évidemment je ramassai.
» En le rapportant aux Suppôts du Balcon, ceux-ci parurent en savoir plus que moi. Ils l’étudièrent en marmonnant des paroles dans un langage tout à fait incompréhensible, que je n’avais jusqu’à présent jamais entendu. Puis, l’un d’eux m’aborda. Es-tu sûr que tu l’as bien trouvé toi-même ? Sois franc. Bien sûr, je lui répondis que oui. Il se mit alors à avancer vers moi dangereusement, comme si je venais de commettre quelque hérésie. Les autres essayèrent de l’en empêcher, mais il refusa et commença à essuyer la crasse sur ses immenses crochets. S’ensuivit alors une bataille démente entre ces êtres, et à chaque fois que l’un d’eux se ressaisissait et déclarait qu’il valait mieux s’arrêter, un autre lui répondait en le frappant. Chacun voulait avoir le masque pour une raison qui m’échappe encore. Je le pris donc dans la confusion, m’échappai discrètement et déchirai cet objet de la discorde, le réduisis en morceaux. Je ne sais pas ce qui m’arriva par la suite, mais une immense pierre me fut balancée.
» Puis, je me réveillai. Mais pas à l’endroit auquel je m’étais habitué. J’étais revenu dans notre monde, sous une épaisseur de couvertures, dans un lit d’un monastère. Des moines me dirent que j’étais tombé devant leur lieu de croyance la veille, et qu’une bonne partie de ma tête avait été fracturée, que l’on m’administrait des soins. Ne croyant pas à ma chance, je me fis religieux, et entrai dans le culte dévoué à ce saint des saints, notre bien-aimé Dieu, jusqu’à devenir prêtre. La pierre qui m’avait rendu dans cet état me traumatisa à jamais, et je devins le tout premier protecteur des roches, ces matériaux sans arrêt maltraités, que ce soit dans n’importe quelle expérience.
» Et depuis, j’ai la faculté de retourner dans le monde des Suppôts du Balcon. Il n’en reste plus que trois survivants. Moi-même, un ancien hargneux et comme me le révéla Dieu plus tard, une âme vivante qui erre dans notre monde. De plus, ces bâtiments bizarres ont été construits par je ne sais quels moyens.
Le prêtre se tut. Moi, j’essayai d’enregistrer les informations données. Il n’avait pas eu une vie facile. Oh que non. Je m’en rendais compte. Brusquement, je me demandai quel âge il avait. Trente ans ? Quarante, peut-être ? Ou même...plus ? Avait-il une vie illimitée ?
Je me levai scrutai alors cette fameuse cathédrale. Son entrée, grande ouverte, ne paraissait contenir personne. Et pourtant, avec mon expérience de vétéran, j’arrivais sans difficulté à imaginer le piège à loup que c’était. Une entrée non protégée et demandant presque qu’on y pénètre, ce n’était pas normal. Non, on cherchait à ce que quelqu’un se fasse avoir. Mais qui ? La réponse était presque évidente : l’un des deux Suppôts du Balcon.
Par contre, la notion du pourquoi m’était inconnue.
- Bon, fit le prêtre en se levant à son tour, il faudrait peut-être penser à poursuivre notre route. Engageons-nous dans la cathédrale, il doit bien y avoir quelque chose d’intéressant.
- Non.
- Pourquoi « non » ?
- Parce que, parce que, répondis-je agacé en voyant l’indifférence de Ridéric, parce que ça sent la bonne vieille embuscade à plein museau ! Le clocher, déjà. Rien que lui, il a servi avec ses lumières à nous attirer sans aucune crainte. Et vous croyez que c’est une invitation, les portes de la cathédrale ? Vous ne comprenez r...Hé ! Revenez !
En effet, le prêtre était parti vers l’édifice, m’ignorant totalement. Je doublai les interpellations, en vins même à l’insulter afin qu’il se mette en rogne et revienne furieux pour régler des comptes. Ne voyant aucun résultat, je lançai :
- Je crois que je viens de buter contre un rocher ! Il a basculé de l’autre côté !
Même cela ne fit pas d’effet à Ridéric, alors qu’en temps normal il serait à coup sûr venu vérifier. Il était totalement sourd à mes paroles, et tenait sa croix dans sa paume. Il était à présent rentré à l’intérieur de la bâtisse. Jurant et essayant de contenir mon mal de dos grandissant dû à mon fort âge, je courus pour le chercher. Je ne le voyais déjà plus, aussi forçai-je l’allure. Ce genre de sport n’était plus pour moi, me dis-je. Au lieu de passer mon temps à imiter un lapin, je devrais être sur un banc devant ma maison, à paresser tranquillement en profitant de la brise. Enfin bon, ma maison, ma maison...je n’en avais plus vraiment, depuis ce qui s’était passé, il y avait de cela plus de quinze ans.
Les Anglois étaient venus incendier la chaumière que je partageais avec mon frère et ma soeur, au bord de la Manche. N’étant qu’un simple boulanger nourrissant ma ville, Dieppe, et mon frère bijoutier, nous n’avions su nous défendre de ces véritables furies, amenant leur lion paître notre bon lys. Nous avions fui. Ma soeur, Elvira, était morte dans les flammes, touchée par la fumée qui l’avait assommée. Quant à mon frère, il avait été tué quelques jours plus tard d’une morsure de loup à la gorge, alors que l’on tentait désespérément de chasser pour survivre, contournant toute la loi de la justice seigneuriale et bravant la corde. Seigneur qui n’avait pas été fichu de nous aider au gré de nos plaintes devant lui, deux jours auparavant.
Désespéré, j’avais alors décidé de m’enrôler dans l’armée. On m’avait accepté, et très vite j’avais été muni d’une épée dont je savais à peine m’en servir avant même de participer à ma toute première bataille. Bataille auquelle je m’étais sorti vivant de justesse. Dès lors, je m’entraînai avec acharnement, presque jusqu’à l’épuisement, n’ayant qu’une seule idée en tête : venger ma famille.
Pour me récompenser de mes efforts et après avoir survécu à trois batailles, j’avais été gradié officier, et je faisais mon travail avec assiduité, sachant que je ne trouverais pas le repos tant que ces abrutis de première classe ne seraient pas tous en train de perdre leur sang dans l’eau de la Manche. Des années que je faisais ça. Et aujourd’hui encore, je continuais.
Tous mes souvenirs me revinrent d’un seul coup. Mon enfance, devant un oncle hilare alors que je réclamais encore de la soupe aux choux ; ma sagesse croissante alors que je travaillais aux champs avec Fastrade, mon frère ; ma nouvelle vie en ville, et mon métier ; la venue des Anglois ; l’incendie ; l’armée, avec sa loi du chacun pour soi ; les batailles, dont certaines où je m’en étais tiré d’un fil ; la mort du général Gondebaud ; la retraite avec mes « hommes » ; le duel ; Jésus-Christ ; le monde des Suppôts du Balcon ; la peine, la soif et la faim ; Ridéric ; et maintenant, ma course vers la cathédrale.